Photos : Adèle Exarchopoulos pour Antidote : Excess hiver 2018-2019.
Texte : Edouard Risselet.
Stylisme : Yann Weber. Coiffure : Perrine Rougemont @Caren. Maquillage : Angloma @Sisley.
Cinq ans après La Vie d’Adèle qui a bouleversé la sienne, la jeune actrice poursuit sa carrière au cinéma avec passion et reconnaissance, en parallèle de son récent rôle de mère. Adèle Exarchopoulos revient sur sa découverte fortuite du théâtre, raconte sa rencontre avec Louis Vuitton dont elle est ambassadrice et explique pourquoi l’hypocrisie est, selon elle, le plus grand manque d’élégance.
Elle incarnait à tout juste 19 ans l’héroïne de l’un des films les plus acclamés et polémiques de ces cinq dernières années. Adèle Exarchopoulos, tombée presque par hasard dans les bras de la comédie alors que ses parents – totalement étrangers de l’industrie du cinéma – l’encourageaient à se trouver une activité, doit sa notoriété au destin. Après s’être vue remettre des mains de Steven Spielberg sa propre Palme d’or, décerner le César du meilleur espoir féminin et proposer des rôles ordinairement réservés à l’élite hollywoodienne, elle en a plus que jamais conscience et chérit les faveurs que lui valent à présent son statut d’actrice confirmée.
Parmi eux, celui d’accéder à la mode et de devenir, sans qu’elle ne le réalise encore vraiment, l’une des ambassadrices de la maison Louis Vuitton. Davantage séduite par la sensibilité du directeur artistique et l’accueil réservé par les équipes que par la qualité des sacs à main, Adèle Exarchopoulos privilégie toujours l’humain. Aux côtés d’Ismaël, fils né l’an passé de son union avec le rappeur Doums, elle concilie désormais ses vies de mère, de femme et d’actrice.
ANTIDOTE. Après le raz de marée de La Vie d’Adèle, on t’a vue partout, tu t’es faite plus rare depuis, volontairement ?
ADÈLE EXARCHOPOULOS. Oui et non. La Vie d’Adèle m’a amenée à m’exposer pour les bonnes et les mauvaises raisons : les bonnes parce qu’il y avait une promotion à honorer et on a eu la chance d’être célébrés dans beaucoup de festivals prestigieux, de voyager avec le film et de le défendre, les mauvaises parce qu’il y a eu tous ces problèmes de polémiques sur lesquels on a dû revenir, s’exprimer ou se défendre. Maintenant, je me dévoile quand c’est justifié. J’essaie de prendre la parole quand j’ai des choses à dire.
Est-ce qu’à 19 ans, on vit facilement cette ascension ?
Ça peut être délicat parfois parce qu’on n’a pas forcément conscience du regard des gens, de l’influence que nos propos peuvent avoir, des dimensions qu’une interview peut prendre. Je viens d’une famille qui ne fait pas du tout partie de cette industrie. Ma mère est infirmière, mon père a plusieurs travails : il donne des cours de guitare dans des MJC, il travaille à Bercy, la salle de concert. Ça n’a aucun rapport. Avec La Vie d’Adèle, tout a été une forme de première découverte et je pense que c’est celles dont on se rappelle le plus, même si elles peuvent parfois être douloureuses. Sur le moment, j’ai pris beaucoup de plaisir, autant à travers les voyages que, parallèlement, à mon entrée dans le monde de la mode. Forcément entre mon premier tapis rouge avec La Vie d’Adèle et la victoire de la Palme d’Or, j’ai eu accès à beaucoup de choses. C’est à ce moment que tu réalises qui t’a suivi, qui a cru en toi, tu apprends à reconnaître la vérité et identifier les gens qui seront là pour toi. Je pense qu’au-delà de tout ça, l’essentiel dans ces instants, c’est la personne avec qui tu les partages, plus que l’aventure en elle-même parfois.
À gauche : Robe, lunettes, collier et boucles d’oreilles, Louis Vuitton.
À droite : Pull, short et collier, Louis Vuitton.
Tu as pris des cours de théâtre en parallèle du collège, d’où t’es venu cet intérêt pour la comédie ?
En fait, mes parents m’ont dit de choisir une activité. Je n’étais pas spécialement passionnée de quelque chose ou, du moins, je ne l’avais pas encore trouvé, et il y avait ce cours de théâtre dans mon quartier dans le 18e, rue Lepic. Du coup, j’ai commencé là-bas. C’était purement du plaisir, j’ai découvert quelque chose que j’adorais mais ça ne m’a pas traversé l’esprit un seul instant d’en faire mon métier. J’étais jeune, je n’avais pas du tout l’ambition de devenir actrice, mais plutôt de travailler dans la restauration. Un jour, par le fruit du hasard et du destin, il y a une directrice de casting qui est venue et tout est parti de là. J’ai commencé à jouer dans des courts-métrages. Quand j’ai compris que ça pouvait être un métier, j’ai tout de suite voulu en être. Je prenais tellement de plaisir à raconter une histoire, à incarner un personnage.
Après, j’ai eu la chance de rencontrer Abdel (Abdellatif Kechiche, ndlr ), ce qui a forcément modifié le cours de ma carrière. Il m’a demandé de faire un casting, il n’était pas là aux premiers essais, puis je l’ai retrouvé dans un bar où il a l’habitude d’aller à Belleville, on s’est vus beaucoup avant qu’il me dise que j’étais retenue. J’avais l’habitude de dire : « oh, trop bien, trop contente ». À l’intérieur de moi, j’étais en train de danser, j’étais comme une folle. Le film ne devait d’ailleurs pas s’appeler La Vie d’Adèle, il l’a décidé quand on l’a fini, je l’ai découvert quand on a été sélectionnés à Cannes. C’est quelqu’un qui fait beaucoup d’improvisation, il y avait beaucoup d’acteurs non-professionnels sur le tournage, leur demander de m’appeler par mon prénom permettait de faciliter le jeu.
Quels sont les modèles du cinéma avec lesquels tu as grandi ?
Ça m’est vraiment tombé dessus. Je me suis nourrie a posteriori et je me considère comme quelqu’un qui aime beaucoup le cinéma. J’adore le cinéma italien par exemple, je suis une grande fan de séries. J’ai une vision assez large, je vais adorer aussi bien les premiers films d’Abel Ferrara que Princesse Mononoké. Je ne me suis jamais restreinte à un seul genre. Il y a plein d’acteurs et d’actrices que j’adore, je suis une grande fan de Patrick Dewaere par exemple, de Jack Nicholson, de Sean Penn. Il y en a tellement que je ne pourrais pas en choisir un seul.
En 2013, tu te vois remettre la Palme d’Or des mains de Steven Spielberg, est-ce qu’à cet instant, tu réalises ce qu’il se passe ?
Pas du tout, je me dis : « wow, trop bien ». Ça se réduit à une festivité, je ne réalise pas ce qui est en train de se passer, je sais juste que je passe un moment avec des gens que j’admire. La simple idée qu’ils aient vu mon travail et qu’ils aient vu notre film me bouleverse déjà. Mais je ne comprends même pas qu’il y a alors une dérogation à la règle de Cannes et qu’on va chacun être honorés d’une Palme d’Or. Cannes, c’était aussi un moment que j’ai partagé en famille, j’avais amené des amis dans ma chambre, mes proches voyageaient avec moi. En vrai, il n’y a rien de mieux que de partager un moment de bonheur avec les gens que tu aimes. J’étais tellement contente que mon père soit là, qu’il soit fier de moi.
« J’ai le sentiment d’avoir la vie normale d’une fille de 24 ans qui a beaucoup de chance de vivre de sa passion et de pouvoir en faire profiter les gens que j’aime. »
Tes parents qui ne viennent pas de cet univers, comment l’ont-ils vécu ?
On est assez pudiques dans le fond même si ça paraît étrange après qu’il ait vu ce film. Il a eu l’amour d’aller au bout de ce film pour regarder mon travail et en même temps la pudeur de ne jamais m’en parler. Je crois que ce qu’il y a de plus beau pour eux, c’est la chance qui m’est donnée de faire quelque chose que j’aime. Ils se disent que leur fille est privilégiée car elle a l’opportunité de vivre de sa passion et ça n’est pas donné à tout le monde.
Avais-tu le sentiment, sur le tournage du film, de participer à un chef-d’œuvre ?
Non, mais je me rappelle d’une fois où, en rigolant, Léa et moi, on s’est dit : « Imagine, on a tourné comme ça et c’est nul ». Plus sérieusement, on n’est jamais sûr du résultat, on est dans une telle immersion qu’on n’a jamais le recul. Abdel n’est pas du genre à te faire visualiser les rushs. On se demandait où tout ça allait nous mener : « la puissance qu’on a vécue sur le tournage va-t-elle être honorée à l’écran ? » J’avais, c’est certain, le sentiment de vivre une expérience qui était particulière, mais de là à imaginer que le film allait devenir un classique aux yeux de certains, pas du tout.
As-tu revu le film depuis ?
Non, j’avoue que ça ne me vient pas à l’idée. Je ne suis pas forcément à l’aise avec l’idée de me regarder jouer.
Sur Instagram, tu es souvent entourée de tes copines, tu as le sentiment d’avoir la vie normale d’une fille de 24 ans ?
J’ai le sentiment d’avoir la vie normale d’une fille de 24 ans qui a beaucoup de chance de vivre de sa passion et de pouvoir en faire profiter les gens que j’aime. Je suis une maman jeune, j’ai une certaine exposition. Bien sûr, parfois, je me dis : « ah et si j’étais à la fac, si j’avais suivi mon plan où je faisais six mois-six mois. » Au final, j’en reviens toujours à la conclusion que je me sens extrêmement chanceuse.
Veste, robe, cuissardes et boucle d’oreille, Louis Vuitton.
Tu restes très discrète sur ta vie privée lors des interviews, mais en dévoile une partie sur les réseaux sociaux. Pour garder le contrôle sur ce que tu choisis de montrer ?
En un sens, Instagram, c’est le seul endroit où j’ai l’impression d’avoir mon âge. J’ai conscience du fait que ça va être regardé. C’est comme en plateau télé quand on te donne la parole, autant ne pas dire que des bêtises. En même temps, je suis assez mature pour savoir qu’il y a une grande part de superficialité quand je choisis un filtre pour une photo de mes copines et moi en train de manger des pâtes. Ça reste un terrain de jeu mais bien sûr j’ai les pleins pouvoirs sur ce que je décide de dévoiler. En interview, je ne trouve pas ça forcément intéressant. Même si je me sens privilégiée, au fond, j’ai la même vie que les autres : j’ai mes galères, mes complexes, mes moments de bonheur…
Tu t’en sers aussi pour t’investir dans certaines causes et notamment la condition des migrants.
En fait, je n’ai pas envie de m’investir rapidement juste pour m’investir, ou parce qu’on attend de moi que je le fasse. Il y aurait un manque de sincérité. La conscience, je l’ai eue avant d’avoir la célébrité, mon humanité aussi. C’est des choses que mes parents m’ont transmises, c’est normal pour moi d’aider mon prochain et les gens en difficulté. Quand j’ai pris conscience qu’on allait me mettre en lumière, qu’on allait me donner la parole, j’ai voulu la donner à ceux qui étaient dans le silence. S’il faut mettre mon nom quelque part, je serai présente, mais je veux le faire à 100%, je n’arriverais pas à faire les choses à moitié pour laver une forme de culpabilité.
Quand j’ai travaillé avec cette association, le Bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants, le BAAM, c’était aussi pour rendre la dignité à des gens qui sont comme nous. Personne n’est à l’abri et il ne faut pas être trop confortable dans ses baskets. Ça me paraît évident en fait, on est indignés par la façon dont nos politiques vont les accueillir, nos voisins, les gens qu’on considérait avant de les considérer eux.
Lors de tes discours ou de tes interviews, on t’a parfois reproché ton manque de classe, tu en penses quoi ?
Ben parfois, je les comprends (rires). Mais pour moi, ce serait un manque de classe d’autant plus grave de ne pas être fidèle à moi-même et de ne pas être qui je suis, et donc dans une forme d’hypocrisie. Si pour être politiquement correct, il faut avoir un accent neutre, ne pas se positionner quand il y a des événements, ne pas mettre de joggings, ou ne pas mettre de joggings avec des talons, dans ce cas, je suis la mauvaise personne, il vaut mieux changer de chaîne. Souvent, c’est beaucoup de femmes qui critiquent, et ça me semble dommage dans le sens où il ne faut pas oublier que je ne suis pas une femme politique ni la représentante d’une association féministe.
Je suis quelqu’un qui fait des films et j’ai 24 ans, donc excusez-moi si je fais des erreurs, ou si tout le monde ne s’identifie pas à moi mais ça n’est pas mon rôle. Je suis comme je suis, et puis ça arrive de mal s’habiller, ça arrive de dire un mot de travers. Bien sûr, il y a des choses ou des maladresses que j’ai pu regretter mais je ne vois pas ce qu’il y a de dramatique et je trouve ça très ennuyeux de commenter chaque look, chaque phrase, chaque photo. Tout ça me passe un peu au-dessus. Pour moi, ce qui compte vraiment, c’est être une bonne maman, me prouver à moi-même que j’ai ma place dans ce métier, savoir si mon petit frère a eu son bac.
Ce serait quoi, alors, pour toi la vulgarité ?
C’est dur à résumer. Je trouve que la vulgarité, c’est quand tu essaies de prouver trop de choses de manière un peu maladroite. Tu pourrais parler avec beaucoup de gros mots et n’être jamais vulgaire pour autant, c’est quelque chose qu’on a profondément en soi. Pour moi, la vulgarité n’est pas une question de goût, c’est quand on s’efforce à essayer de prouver des choses aux autres plutôt qu’à soi-même.
À gauche : Robe, cuissardes et boucles d’oreilles, Louis Vuitton.
À droite : Robe, gilet, sac, sneakers et collier, Louis Vuitton.
Et malgré ces critiques, tu es ambassadrice de l’une des plus grandes maisons de luxe françaises, comment devient-on égérie Vuitton ?
Franchement, je me pose cette question tous les jours (rires). Une fois de plus, par chance. C’est une maison qui m’a très vite habillée. Je m’y suis sentie accueillie, autant par les gens qui travaillent dans l’ombre, que les RP, que Nicolas (Ghesquière, ndlr). C’est une forme de fidélité qui s’est installée naturellement et qu’on a voulu marquer plus tard. C’est plus une rencontre avec les gens qui y travaillent qu’avec la marque en soi je dirais.
Tu sembles proche de Nicolas Ghesquière, comment vous êtes-vous rencontrés ?
Je portais souvent ses créations et j’allais aux événements. Au début, j’étais tétanisée, je ne connaissais rien à la mode. Je me demandais si c’était juste du business. Et quelque chose s’est fait très naturellement avec Nicolas. Quand on s’est rencontrés, on n’a pas parlé que de vêtements, de matières, ça a été quelque chose d’assez humain. Il est très généreux et je comprends encore mieux ses habits maintenant que je le connais, selon sa sensibilité, ses expériences, son regard. On ne se connaît pas non plus tellement mais je sais que les moments que l’on passe ensemble sont sincères et c’est important pour moi.
Qu’est-ce que tu aimes dans sa mode ?
Je trouve qu’il y a une forme d’héroïsme à chaque fois. Ça me raconte un scénario, j’ai envie d’être une partie de ma féminité, mais de l’incarner de façon complètement différente. J’ai autant envie d’avoir un gun dans ma jarretelle que d’avoir une sorte de romantisme poétique le lendemain. Il traverse beaucoup de parcelles différentes de la féminité, dont les plus secrètes.
Tu cultives aussi ce côté garçon manqué…
Totalement. Pour moi, la féminité, c’est très personnel. Je pense qu’on peut faire ses ongles tous les jours, regarder des séries débiles et être ultra-féministe. La féminité peut aussi bien résider dans des traditions que ta famille t’a transmises que dans des choses que tu découvres plus tard. Moi je me sens aussi féminine en jogging-basket que dans une robe longue avec des talons.
Le monde t’as vu nue et ton nom est désormais indissociable d’une certaine idée de sensualité, en as-tu conscience ?
Pour moi, ce qui compte le plus, c’est le regard des gens que j’aime. Me demander alors comment tout le monde me regarde me semble difficile, je n’en ai pas forcément conscience. Mais je sais que, parce que j’ai des formes et j’ai une grosse bouche, je suis considérée comme une femme sensuelle. Finalement et ça peut sembler bizarre, mais je pense être assez pudique. Ma pudeur est dissociée, selon moi, de la nudité que l’on a pu voir. Je peux être plus déstabilisée par une personne qui me regarde qu’en enlevant mon haut dans un vestiaire où il y a 35 personnes. Pour moi, la pudeur, c’est l’importance que tu mets dans le regard de l’autre.
Il y a quatre ans, tu recevais aussi le César du meilleur espoir féminin, comment pallier la peur de décevoir ?
Je pense que j’ai peur de décevoir dans le fond. Je crois que tous les gens qui font ce métier ont peur de ne pas être légitimes. On sait qu’il y a une part de chance et on se demande si on va vraiment être à la hauteur.
Tu as depuis multiplié les tournages, quel est le film dans lequel tu as vraiment trouvé la suite logique à ta carrière, là où tu t’es vraiment sentie à ta place ?
J’ai beaucoup de mal à distinguer l’artistique et l’humain. Je suis tombée sur des gens dont j’ai aimé le regard, j’ai aimé la relation que j’ai eue avec eux. Mais je pense que je n’ai pas eu cette entière satisfaction de regarder un de mes films et de me dire : « c’est bon chérie, t’es au bon endroit » (rires).
Qu’est-ce qui te fait accepter un scénario ?
Avant la rencontre, il y a la lecture. Le fait d’être bouleversée, l’envie de rendre justice à une histoire, je dirais. Je n’aime pas spécialement quand les personnages sont lisses, j’aime quand il y a de la complexité. Souvent, c’est quelque chose d’animal, c’est très bizarre, ça ne s’explique pas. C’est évident, ça va au-delà de la perfection de l’écriture, ça peut être le charme de la maladresse d’un premier film, ça peut être des imperfections dans un personnage qui me bouleversent. C’est jouissif de se laisser aller à l’incarnation de personnages que l’on n’est pas. Il y a pour moi quelque chose d’enfantin dans le jeu. Quand je regarde mon fils, je le trouve tellement chanceux. Si je faisais la même chose dans la rue, on m’internerait et on me bourrerait de médicaments. Il y a une forme de liberté, et j’avoue que ça me rend presque mélancolique. Le jeu, c’est un terrain d’essai.
Est-ce que le fait d’être mère influence désormais tes décisions ?
Il n’y a pas encore un scénario que j’ai lu en me disant que je devrais le faire ou que je ne pourrais pas le faire parce que je suis maman. Par contre, il y a des désirs que je n’avais pas nécessairement auparavant. J’adorerais faire une voix de dessin animé par exemple ou un film pour enfant.
Quelles sont les valeurs que tu défends ?
La fidélité, autant en amitié qu’en amour. Pour moi, il y a une part de loyauté dans la fidélité. C’est un grand débat et je trouve qu’il n’y a pas de règle dans les émotions et dans la manière dont les gens peuvent se l’approprier. Je respecte complètement les couples qui ont une liberté mais c’est vrai que c’est quelque chose que j’affectionne. C’est une manière de montrer de la loyauté même à travers une possible frustration. C’est pour ça que j’adore les chiens (rires). J’ai un peu la fidélité d’un chien.
Tu disais qu’Abdellatif Kechiche te manquait, tu espères retourner avec lui un jour ?
Je n’oserais pas lui dire non, car il te donne cette liberté incroyable de jeu et de ton. Je pense qu’il ne me reprendra jamais mais en tout cas, je n’hésiterais pas, j’irais direct.
Il a présenté cette année Mektoub My Love, tu l’as vu ?
Je ne vais pas mentir, je ne l’ai pas vu. C’est la première année où il y a mon fils et le temps devient très précieux d’un coup, le quotidien laisse moins de place à l’improvisation. Donc trois heures, ça devient beaucoup. Mais je le verrai.
« J’adorerais être dans un X-Men, c’est une obsession, je ne sais pas pourquoi. »
Quels sont les films qui t’ont marquée en 2018 ?
Je ne regarde pas souvent les films quand ils sortent. J’ai revu King of New York avec Christopher Walken d’Abel Ferrara, j’ai adoré, Training Day, ça restera mon classique préféré. Le Client d’Asghar Farhadi, je n’ai pas vu son dernier avec Javier Bardem (Everybody Knows, ndlr), j’ai comme une peur d’être déçue, du coup, je n’y suis jamais allée. J’ai vu A Ciambra de Jonas Carpignano, j’ai adoré. C’est pas très original mais I’m Not Your Negro. Je regarde pas mal de documentaires. J’ai vu Alive Inside avec quelqu’un aux États-Unis qui proposait aux institutions médicales de mettre un iPod à disposition de personnes âgées. Grâce à leur famille, à leurs amis, ou simplement par leur date de naissance, ils déterminent quel chanteur a pu par exemple bercer leur enfance, quels ont été les hits de leur vie. Et les réactions sont incroyables, on dit que la musique adoucit les moeurs mais là, tu vois des gens comme revivre. Certains patients presque dans le coma se mettent à taper des pieds. J’étais en larmes, mais pas de tristesse, je me sentais vivante en fait.
Tu rêves de tourner avec Almodóvar, c’en est où ?
On m’a demandé avec qui j’aimerais tourner mais j’attends pas en bas de chez lui (rires). Je l’ai rencontré plusieurs fois, il est adorable. J’attends toujours qu’il m’appelle (rires).
Léa Seydoux avec qui tu jouais dans La Vie d’Adèle a décroché le rôle prisé de James Bond Girl, tu te verrais toi aussi James Bond Girl ?
Moi, j’avoue que j’adorerais être dans un X-Men, c’est une obsession, je ne sais pas pourquoi. J’adorerais aussi jouer avec Jim Carrey, ou dans un film avec Will Ferrell et Adam Sandler.
Tu seras bientôt à l’affiche dans un film sur l’histoire du danseur Rudolf Noureev réalisé par Ralph Fiennes, est-ce que tu es attirée par d’autres formes d’art que le cinéma ?
J’adore la photographie, je n’y trouve pas un talent, mais c’est davantage un intérêt personnel. J’ai vu une exposition à Paris sur l’un des plus grands photoreporters, James Nachtwey, à la Maison Européenne à Saint-Paul, c’est incroyable. Ça coupe le souffle. C’est l’expo qui réunit le plus de ses œuvres je crois, tu passes du Rwanda à la Somalie, ça fait tout drôle. J’étais à New York il y a pas longtemps, j’y ai vu une expo de Nan Goldin incroyable. J’ai aussi adoré le documentaire Le Sel de la Terre de Wim Wenders sur l’histoire du photographe Sebastião Salgado. C’est magnifique et j’ai aimé ce que ça raconte sur le couple aussi : laisser partir son mari, élever son enfant seule, s’aimer avec autant de liberté, c’est sublime.
Quand tu étais petite, tu t’imaginais visiteuse de prison, tu te verrais faire autre chose aujourd’hui ?
C’est une question que je me pose souvent : « qu’est-ce que j’aurais fait si je n’avais pas été dans ce cours, si je n’avais pas rencontré Abdel ? » Pour être honnête, je n’ai pas la réponse. Peut-être que j’aurais fait ce que j’avais prévu de faire. Puis, je ne sais pas si j’aurais la chance de faire ça toute ma vie, on ne sait jamais.
Qu’est-ce qu’il te reste, selon toi, à accomplir ?
Être une bonne maman, continuer à fonder une famille. C’est ma priorité, mais pour que ton enfant soit heureux, il faut que tu le sois aussi. Ça peut paraître ridicule mais j’ai aussi ma vie de femme, on ne peut pas réduire une femme à une maman même si c’est l’un des plus beaux rôles. Ça a une place fondamentale dans ma vie. J’avais toujours rêvé d’avoir un enfant jeune, de grandir en même temps que lui. Aujourd’hui et au bout d’un an, je réalise que c’est mon fils qui m’apprend plus que je ne lui apprends. Je n’oublie pas non plus le reste. Ton enfant a besoin que tu le rendes fier, que tu accomplisses des choses, que tu aies des choses à lui raconter, à lui montrer, à lui transmettre. Je dois aussi me construire moi, ma relation, ma vie. C’est un chemin intérieur et personnel, il faut apprendre à vaincre ses doutes, à affronter ses peurs. Il me reste tout à accomplir.
Cet article est extrait de Antidote : Excess hiver 2018-2019, photographié par Xiangyu Liu.
Elle incarnait à tout juste 19 ans l’héroïne de l’un des films les plus acclamés et polémiques de ces cinq dernières années. Adèle Exarchopoulos, tombée presque par hasard dans les bras de la comédie alors que ses parents – totalement étrangers de l’industrie du cinéma – l’encourageaient à se trouver une activité, doit sa notoriété au destin. Après s’être vue remettre des mains de Steven Spielberg sa propre Palme d’or, décerner le César du meilleur espoir féminin et proposer des rôles ordinairement réservés à l’élite hollywoodienne, elle en a plus que jamais conscience et chérit les faveurs que lui valent à présent son statut d’actrice confirmée.
Parmi eux, celui d’accéder à la mode et de devenir, sans qu’elle ne le réalise encore vraiment, l’une des ambassadrices de la maison Louis Vuitton. Davantage séduite par la sensibilité du directeur artistique et l’accueil réservé par les équipes que par la qualité des sacs à main, Adèle Exarchopoulos privilégie toujours l’humain. Aux côtés d’Ismaël, fils né l’an passé de son union avec le rappeur Doums, elle concilie désormais ses vies de mère, de femme et d’actrice.
ANTIDOTE. Après le raz de marée de La Vie d’Adèle, on t’a vue partout, tu t’es faite plus rare depuis, volontairement ?
ADÈLE EXARCHOPOULOS. Oui et non. La Vie d’Adèle m’a amenée à m’exposer pour les bonnes et les mauvaises raisons : les bonnes parce qu’il y avait une promotion à honorer et on a eu la chance d’être célébrés dans beaucoup de festivals prestigieux, de voyager avec le film et de le défendre, les mauvaises parce qu’il y a eu tous ces problèmes de polémiques sur lesquels on a dû revenir, s’exprimer ou se défendre. Maintenant, je me dévoile quand c’est justifié. J’essaie de prendre la parole quand j’ai des choses à dire.
Est-ce qu’à 19 ans, on vit facilement cette ascension ?
Ça peut être délicat parfois parce qu’on n’a pas forcément conscience du regard des gens, de l’influence que nos propos peuvent avoir, des dimensions qu’une interview peut prendre. Je viens d’une famille qui ne fait pas du tout partie de cette industrie. Ma mère est infirmière, mon père a plusieurs travails : il donne des cours de guitare dans des MJC, il travaille à Bercy, la salle de concert. Ça n’a aucun rapport. Avec La Vie d’Adèle, tout a été une forme de première découverte et je pense que c’est celles dont on se rappelle le plus, même si elles peuvent parfois être douloureuses. Sur le moment, j’ai pris beaucoup de plaisir, autant à travers les voyages que, parallèlement, à mon entrée dans le monde de la mode. Forcément entre mon premier tapis rouge avec La Vie d’Adèle et la victoire de la Palme d’Or, j’ai eu accès à beaucoup de choses. C’est à ce moment que tu réalises qui t’a suivi, qui a cru en toi, tu apprends à reconnaître la vérité et identifier les gens qui seront là pour toi. Je pense qu’au-delà de tout ça, l’essentiel dans ces instants, c’est la personne avec qui tu les partages, plus que l’aventure en elle-même parfois.
Robe, lunettes, collier et boucles d’oreilles, Louis Vuitton.
Pull, short et collier, Louis Vuitton.
Tu as pris des cours de théâtre en parallèle du collège, d’où t’es venu cet intérêt pour la comédie ?
En fait, mes parents m’ont dit de choisir une activité. Je n’étais pas spécialement passionnée de quelque chose ou, du moins, je ne l’avais pas encore trouvé, et il y avait ce cours de théâtre dans mon quartier dans le 18e, rue Lepic. Du coup, j’ai commencé là-bas. C’était purement du plaisir, j’ai découvert quelque chose que j’adorais mais ça ne m’a pas traversé l’esprit un seul instant d’en faire mon métier. J’étais jeune, je n’avais pas du tout l’ambition de devenir actrice, mais plutôt de travailler dans la restauration. Un jour, par le fruit du hasard et du destin, il y a une directrice de casting qui est venue et tout est parti de là. J’ai commencé à jouer dans des courts-métrages. Quand j’ai compris que ça pouvait être un métier, j’ai tout de suite voulu en être. Je prenais tellement de plaisir à raconter une histoire, à incarner un personnage.
Après, j’ai eu la chance de rencontrer Abdel (Abdellatif Kechiche, ndlr ), ce qui a forcément modifié le cours de ma carrière. Il m’a demandé de faire un casting, il n’était pas là aux premiers essais, puis je l’ai retrouvé dans un bar où il a l’habitude d’aller à Belleville, on s’est vus beaucoup avant qu’il me dise que j’étais retenue. J’avais l’habitude de dire : « oh, trop bien, trop contente ». À l’intérieur de moi, j’étais en train de danser, j’étais comme une folle. Le film ne devait d’ailleurs pas s’appeler La Vie d’Adèle, il l’a décidé quand on l’a fini, je l’ai découvert quand on a été sélectionnés à Cannes. C’est quelqu’un qui fait beaucoup d’improvisation, il y avait beaucoup d’acteurs non-professionnels sur le tournage, leur demander de m’appeler par mon prénom permettait de faciliter le jeu.
Quels sont les modèles du cinéma avec lesquels tu as grandi ?
Ça m’est vraiment tombé dessus. Je me suis nourrie a posteriori et je me considère comme quelqu’un qui aime beaucoup le cinéma. J’adore le cinéma italien par exemple, je suis une grande fan de séries. J’ai une vision assez large, je vais adorer aussi bien les premiers films d’Abel Ferrara que Princesse Mononoké. Je ne me suis jamais restreinte à un seul genre. Il y a plein d’acteurs et d’actrices que j’adore, je suis une grande fan de Patrick Dewaere par exemple, de Jack Nicholson, de Sean Penn. Il y en a tellement que je ne pourrais pas en choisir un seul.
En 2013, tu te vois remettre la Palme d’Or des mains de Steven Spielberg, est-ce qu’à cet instant, tu réalises ce qu’il se passe ?
Pas du tout, je me dis : « wow, trop bien ». Ça se réduit à une festivité, je ne réalise pas ce qui est en train de se passer, je sais juste que je passe un moment avec des gens que j’admire. La simple idée qu’ils aient vu mon travail et qu’ils aient vu notre film me bouleverse déjà. Mais je ne comprends même pas qu’il y a alors une dérogation à la règle de Cannes et qu’on va chacun être honorés d’une Palme d’Or. Cannes, c’était aussi un moment que j’ai partagé en famille, j’avais amené des amis dans ma chambre, mes proches voyageaient avec moi. En vrai, il n’y a rien de mieux que de partager un moment de bonheur avec les gens que tu aimes. J’étais tellement contente que mon père soit là, qu’il soit fier de moi.
« J’ai le sentiment d’avoir la vie normale d’une fille de 24 ans qui a beaucoup de chance de vivre de sa passion et de pouvoir en faire profiter les gens que j’aime. »
Tes parents qui ne viennent pas de cet univers, comment l’ont-ils vécu ?
On est assez pudiques dans le fond même si ça paraît étrange après qu’il ait vu ce film. Il a eu l’amour d’aller au bout de ce film pour regarder mon travail et en même temps la pudeur de ne jamais m’en parler. Je crois que ce qu’il y a de plus beau pour eux, c’est la chance qui m’est donnée de faire quelque chose que j’aime. Ils se disent que leur fille est privilégiée car elle a l’opportunité de vivre de sa passion et ça n’est pas donné à tout le monde.
Avais-tu le sentiment, sur le tournage du film, de participer à un chef-d’œuvre ?
Non, mais je me rappelle d’une fois où, en rigolant, Léa et moi, on s’est dit : « Imagine, on a tourné comme ça et c’est nul ». Plus sérieusement, on n’est jamais sûr du résultat, on est dans une telle immersion qu’on n’a jamais le recul. Abdel n’est pas du genre à te faire visualiser les rushs. On se demandait où tout ça allait nous mener : « la puissance qu’on a vécue sur le tournage va-t-elle être honorée à l’écran ? » J’avais, c’est certain, le sentiment de vivre une expérience qui était particulière, mais de là à imaginer que le film allait devenir un classique aux yeux de certains, pas du tout.
As-tu revu le film depuis ?
Non, j’avoue que ça ne me vient pas à l’idée. Je ne suis pas forcément à l’aise avec l’idée de me regarder jouer.
Sur Instagram, tu es souvent entourée de tes copines, tu as le sentiment d’avoir la vie normale d’une fille de 24 ans ?
J’ai le sentiment d’avoir la vie normale d’une fille de 24 ans qui a beaucoup de chance de vivre de sa passion et de pouvoir en faire profiter les gens que j’aime. Je suis une maman jeune, j’ai une certaine exposition. Bien sûr, parfois, je me dis : « ah et si j’étais à la fac, si j’avais suivi mon plan où je faisais six mois-six mois. » Au final, j’en reviens toujours à la conclusion que je me sens extrêmement chanceuse.
Veste, robe, cuissardes et boucle d’oreille, Louis Vuitton.
Tu restes très discrète sur ta vie privée lors des interviews, mais en dévoile une partie sur les réseaux sociaux. Pour garder le contrôle sur ce que tu choisis de montrer ?
En un sens, Instagram, c’est le seul endroit où j’ai l’impression d’avoir mon âge. J’ai conscience du fait que ça va être regardé. C’est comme en plateau télé quand on te donne la parole, autant ne pas dire que des bêtises. En même temps, je suis assez mature pour savoir qu’il y a une grande part de superficialité quand je choisis un filtre pour une photo de mes copines et moi en train de manger des pâtes. Ça reste un terrain de jeu mais bien sûr j’ai les pleins pouvoirs sur ce que je décide de dévoiler. En interview, je ne trouve pas ça forcément intéressant. Même si je me sens privilégiée, au fond, j’ai la même vie que les autres : j’ai mes galères, mes complexes, mes moments de bonheur…
Tu t’en sers aussi pour t’investir dans certaines causes et notamment la condition des migrants.
En fait, je n’ai pas envie de m’investir rapidement juste pour m’investir, ou parce qu’on attend de moi que je le fasse. Il y aurait un manque de sincérité. La conscience, je l’ai eue avant d’avoir la célébrité, mon humanité aussi. C’est des choses que mes parents m’ont transmises, c’est normal pour moi d’aider mon prochain et les gens en difficulté. Quand j’ai pris conscience qu’on allait me mettre en lumière, qu’on allait me donner la parole, j’ai voulu la donner à ceux qui étaient dans le silence. S’il faut mettre mon nom quelque part, je serai présente, mais je veux le faire à 100%, je n’arriverais pas à faire les choses à moitié pour laver une forme de culpabilité.
Quand j’ai travaillé avec cette association, le Bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants, le BAAM, c’était aussi pour rendre la dignité à des gens qui sont comme nous. Personne n’est à l’abri et il ne faut pas être trop confortable dans ses baskets. Ça me paraît évident en fait, on est indignés par la façon dont nos politiques vont les accueillir, nos voisins, les gens qu’on considérait avant de les considérer eux.
Lors de tes discours ou de tes interviews, on t’a parfois reproché ton manque de classe, tu en penses quoi ?
Ben parfois, je les comprends (rires). Mais pour moi, ce serait un manque de classe d’autant plus grave de ne pas être fidèle à moi-même et de ne pas être qui je suis, et donc dans une forme d’hypocrisie. Si pour être politiquement correct, il faut avoir un accent neutre, ne pas se positionner quand il y a des événements, ne pas mettre de joggings, ou ne pas mettre de joggings avec des talons, dans ce cas, je suis la mauvaise personne, il vaut mieux changer de chaîne. Souvent, c’est beaucoup de femmes qui critiquent, et ça me semble dommage dans le sens où il ne faut pas oublier que je ne suis pas une femme politique ni la représentante d’une association féministe.
Je suis quelqu’un qui fait des films et j’ai 24 ans, donc excusez-moi si je fais des erreurs, ou si tout le monde ne s’identifie pas à moi mais ça n’est pas mon rôle. Je suis comme je suis, et puis ça arrive de mal s’habiller, ça arrive de dire un mot de travers. Bien sûr, il y a des choses ou des maladresses que j’ai pu regretter mais je ne vois pas ce qu’il y a de dramatique et je trouve ça très ennuyeux de commenter chaque look, chaque phrase, chaque photo. Tout ça me passe un peu au-dessus. Pour moi, ce qui compte vrai-ment, c’est être une bonne maman, me prouver à moi-même que j’ai ma place dans ce métier, savoir si mon petit frère a eu son bac.
Ce serait quoi, alors, pour toi la vulgarité ?
C’est dur à résumer. Je trouve que la vulgarité, c’est quand tu essaies de prouver trop de choses de manière un peu maladroite. Tu pourrais parler avec beaucoup de gros mots et n’être jamais vulgaire pour autant, c’est quelque chose qu’on a profondément en soi. Pour moi, la vulgarité n’est pas une question de goût, c’est quand on s’efforce à essayer de prouver des choses aux autres plutôt qu’à soi-même.
Robe, cuissardes et boucles d’oreilles, Louis Vuitton.
Robe, gilet, sac, sneakers et collier, Louis Vuitton.
Et malgré ces critiques, tu es ambassadrice de l’une des plus grandes maisons de luxe françaises, comment devient-on égérie Vuitton ?
Franchement, je me pose cette question tous les jours (rires). Une fois de plus, par chance. C’est une maison qui m’a très vite habillée. Je m’y suis sentie accueillie, autant par les gens qui travaillent dans l’ombre, que les RP, que Nicolas (Ghesquière, ndlr). C’est une forme de fidélité qui s’est installée naturellement et qu’on a voulu marquer plus tard. C’est plus une rencontre avec les gens qui y travaillent qu’avec la marque en soi je dirais.
Tu sembles proche de Nicolas Ghesquière, comment vous êtes-vous rencontrés ?
Je portais souvent ses créations et j’allais aux événements. Au début, j’étais tétanisée, je ne connaissais rien à la mode. Je me demandais si c’était juste du business. Et quelque chose s’est fait très naturellement avec Nicolas. Quand on s’est rencontrés, on n’a pas parlé que de vêtements, de matières, ça a été quelque
chose d’assez humain. Il est très généreux et je comprends encore mieux ses habits maintenant que je le connais, selon sa sensibilité, ses expériences, son regard. On ne se connaît pas non plus tellement mais je sais que les moments que l’on passe ensemble sont sincères et c’est important pour moi.
Qu’est-ce que tu aimes dans sa mode ?
Je trouve qu’il y a une forme d’héroïsme à chaque fois. Ça me raconte un scénario, j’ai envie d’être une partie de ma féminité, mais de l’incarner de façon complètement différente. J’ai autant envie d’avoir un gun dans ma jarretelle que d’avoir une sorte de romantisme poétique le lendemain. Il traverse beaucoup de parcelles différentes de la féminité, dont les plus secrètes.
Tu cultives aussi ce côté garçon manqué…
Totalement. Pour moi, la féminité, c’est très personnel. Je pense qu’on peut faire ses ongles tous les jours, regarder des séries débiles et être ultra-féministe. La féminité peut aussi bien résider dans des traditions que ta famille t’a transmises que dans des choses que tu découvres plus tard. Moi je me sens aussi féminine en jogging-basket que dans une robe longue avec des talons.
Le monde t’as vu nue et ton nom est désormais indissociable d’une certaine idée de sensualité, en as-tu conscience ?
Pour moi, ce qui compte le plus, c’est le regard des gens que j’aime. Me demander alors comment tout le monde me regarde me semble difficile, je n’en ai pas forcément conscience. Mais je sais que, parce que j’ai des formes et j’ai une grosse bouche, je suis considérée comme une femme sensuelle. Finalement et ça peut sembler bizarre, mais je pense être assez pudique. Ma pudeur est dissociée, selon moi, de la nudité que l’on a pu voir. Je peux être plus déstabilisée par une personne qui me regarde qu’en enlevant mon haut dans un vestiaire où il y a 35 personnes. Pour moi, la pudeur, c’est l’importance que tu mets dans le regard de l’autre.
Il y a quatre ans, tu recevais aussi le César du meilleur espoir féminin, comment pallier la peur de décevoir ?
Je pense que j’ai peur de décevoir dans le fond. Je crois que tous les gens qui font ce métier ont peur de ne pas être légitimes. On sait qu’il y a une part de chance et on se demande si on va vraiment être à la hauteur.
Tu as depuis multiplié les tournages, quel est le film dans lequel tu as vraiment trouvé la suite logique à ta carrière, là où tu t’es vraiment sentie à ta place ?
J’ai beaucoup de mal à distinguer l’artistique et l’humain. Je suis tombée sur des gens dont j’ai aimé le regard, j’ai aimé la relation que j’ai eue avec eux. Mais je pense que je n’ai pas eu cette entière satisfaction de regarder un de mes films et de me dire : « c’est bon chérie, t’es au bon endroit » (rires).
Qu’est-ce qui te fait accepter un scénario ?
Avant la rencontre, il y a la lecture. Le fait d’être bouleversée, l’envie de rendre justice à une histoire, je dirais. Je n’aime pas spécialement quand les personnages sont lisses, j’aime quand il y a de la complexité. Souvent, c’est quelque chose d’animal, c’est très bizarre, ça ne s’explique pas. C’est évident, ça va au-delà de la perfection de l’écriture, ça peut être le charme de la maladresse d’un premier film, ça peut être des imperfections dans un personnage qui me bouleversent. C’est jouissif de se laisser aller à l’incarnation de personnages que l’on n’est pas. Il y a pour moi quelque chose d’enfantin dans le jeu. Quand je regarde mon fils, je le trouve tellement chanceux. Si je faisais la même chose dans la rue, on m’internerait et on me bourrerait de médicaments. Il y a une forme de liberté, et j’avoue que ça me rend presque mélancolique. Le jeu, c’est un terrain d’essai.
Est-ce que le fait d’être mère influence désormais tes décisions ?
Il n’y a pas encore un scénario que j’ai lu en me disant que je devrais le faire ou que je ne pourrais pas le faire parce que je suis maman. Par contre, il y a des désirs que je n’avais pas nécessairement auparavant. J’adorerais faire une voix de dessin animé par exemple ou un film pour enfant.
Quelles sont les valeurs que tu défends ?
La fidélité, autant en amitié qu’en amour. Pour moi, il y a une part de loyauté dans la fidélité. C’est un grand débat et je trouve qu’il n’y a pas de règle dans les émotions et dans la manière dont les gens peuvent se l’approprier. Je respecte complètement les couples qui ont une liberté mais c’est vrai que c’est quelque chose que j’affectionne. C’est une manière de montrer de la loyauté même à travers une possible frustration. C’est pour ça que j’adore les chiens (rires). J’ai un peu la fidélité d’un chien.
Tu disais qu’Abdellatif Kechiche te manquait, tu espères retourner avec lui un jour ?
Je n’oserais pas lui dire non, car il te donne cette liberté incroyable de jeu et de ton. Je pense qu’il ne me reprendra jamais mais en tout cas, je n’hésiterais pas, j’irais direct.
Il a présenté cette année Mektoub My Love, tu l’as vu ?
Je ne vais pas mentir, je ne l’ai pas vu. C’est la première année où il y a mon fils et le temps devient très précieux d’un coup, le quotidien laisse moins de place à l’improvisation. Donc trois heures, ça devient beaucoup. Mais je le verrai.
« J’adorerais être dans un X-Men, c’est une obsession, je ne sais pas pourquoi. »
Quels sont les films qui t’ont marquée en 2018 ?
Je ne regarde pas souvent les films quand ils sortent. J’ai revu King of New York avec Christopher Walken d’Abel Ferrara, j’ai adoré, Training Day, ça restera mon classique préféré. Le Client d’Asghar Farhadi, je n’ai pas vu son dernier avec Javier Bardem (Everybody Knows, ndlr), j’ai comme une peur d’être déçue, du coup, je n’y suis jamais allée. J’ai vu A Ciambra de Jonas Carpignano, j’ai adoré. C’est pas très original mais I’m Not Your Negro. Je regarde pas mal de documentaires. J’ai vu Alive Inside avec quelqu’un aux États-Unis qui proposait aux institutions médicales de mettre un iPod à disposition de personnes âgées. Grâce à leur famille, à leurs amis, ou simplement par leur date de naissance, ils déterminent quel chanteur a pu par exemple bercer leur enfance, quels ont été les hits de leur vie. Et les réactions sont incroyables, on dit que la musique adoucit les moeurs mais là, tu vois des gens comme revivre. Certains patients presque dans le coma se mettent à taper des pieds. J’étais en larmes, mais pas de tristesse, je me sentais vivante en fait.
Tu rêves de tourner avec Almodóvar, c’en est où ?
On m’a demandé avec qui j’aimerais tourner mais j’attends pas en bas de chez lui (rires). Je l’ai rencontré plusieurs fois, il est adorable. J’attends toujours qu’il m’appelle (rires).
Léa Seydoux avec qui tu jouais dans La Vie d’Adèle a décroché le rôle prisé de James Bond Girl, tu te verrais toi aussi James Bond Girl ?
Moi, j’avoue que j’adorerais être dans un X-Men, c’est une obsession, je ne sais pas pourquoi. J’adorerais aussi jouer avec Jim Carrey, ou dans un film avec Will Ferrell et Adam Sandler.
Tu seras bientôt à l’affiche dans un film sur l’histoire du danseur Rudolf Noureev réalisé par Ralph Fiennes, est-ce que tu es attirée par d’autres formes d’art que le cinéma ?
J’adore la photographie, je n’y trouve pas un talent, mais c’est davantage un intérêt personnel. J’ai vu une exposition à Paris sur l’un des plus grands photoreporters, James Nachtwey, à la Maison Européenne à Saint-Paul, c’est incroyable. Ça coupe le souffle. C’est l’expo qui réunit le plus de ses œuvres je crois, tu passes du Rwanda à la Somalie, ça fait tout drôle. J’étais à New York il y a pas longtemps, j’y ai vu une expo de Nan Goldin incroyable. J’ai aussi adoré le documentaire Le Sel de la Terre de Wim Wenders sur l’histoire du photographe Sebastião Salgado. C’est magnifique et j’ai aimé ce que ça raconte sur le couple aussi : laisser partir son mari, élever son enfant seule, s’aimer avec autant de liberté, c’est sublime.
Quand tu étais petite, tu t’imaginais visiteuse de prison, tu te verrais faire autre chose aujourd’hui ?
C’est une question que je me pose souvent : « qu’est-ce que j’aurais fait si je n’avais pas été dans ce cours, si je n’avais pas rencontré Abdel ? » Pour être honnête, je n’ai pas la réponse. Peut-être que j’aurais fait ce que j’avais prévu de faire. Puis, je ne sais pas si j’aurais la chance de faire ça toute ma vie, on ne sait jamais.
Qu’est-ce qu’il te reste, selon toi, à accomplir ?
Être une bonne maman, continuer à fonder une famille. C’est ma priorité, mais pour que ton enfant soit heureux, il faut que tu le sois aussi. Ça peut paraître ridicule mais j’ai aussi ma vie de femme, on ne peut pas réduire une femme à une maman même si c’est l’un des plus beaux rôles. Ça a une place fondamentale dans ma vie. J’avais toujours rêvé d’avoir un enfant jeune, de grandir en même temps que lui. Aujourd’hui et au bout d’un an, je réalise que c’est mon fils qui m’apprend plus que je ne lui apprends. Je n’oublie pas non plus le reste. Ton enfant a besoin que tu le rendes fier, que tu accomplisses des choses, que tu aies des choses à lui raconter, à lui montrer, à lui transmettre. Je dois aussi me construire moi, ma relation, ma vie. C’est un chemin intérieur et personnel, il faut apprendre à vaincre ses doutes, à affronter ses peurs. Il me reste tout à accomplir.
Cet article est extrait de Antidote : Excess hiver 2018-2019, photographié par Xiangyu Liu.