L’édito de Maxime Retailleau, rédacteur en chef du nouveau numéro d’Antidote
La révolution du Care
Alors que le dérèglement climatique continue de s’amplifier et se manifeste déjà de multiples manières à travers la planète, le monde se retrouve confronté à un choix quasi manichéen : regarder la réalité en face et faire preuve d’anticipation, ou continuer de faire l’autruche avant de subir les conséquences de ses actes de plein fouet. Or le mythe irrationnel de la croissance économique infinie – sur une Terre aux ressources limitées –, qui structure encore le mode de pensée dominant à l’heure où le concept de « décroissance » peine à convaincre, est comme une drogue dure et parfaitement légale qui nous a été injectée quotidiennement depuis la naissance, dont on devient dépendant avant même d’être en mesure d’en formuler la critique. Pour entamer sa détox salvatrice et mettre fin à son trip capitaliste, notre société va devoir repenser ses valeurs en remettant en question la sacralisation du profit. Le tout sans se laisser berner par les stratégies philanthro-capitalistes employées par certaines des plus grandes richesses du monde, qui cherchent à se parer de multiples vertus en lançant des fondations souvent détournées pour soutenir le système qui les a placé·e·s au pouvoir, tout en légitimant sa dimension libérale.
Au-delà de s’appuyer sur des discours scientifiques empreints de rationalité, le paradigme écologique bénéficie de l’essor d’une approche transversale du Care, s’articulant autour de l’intime avant de rayonner vers la collectivité. Apprendre à s’aimer soi-même, à prendre soin de son propre corps et de sa santé mentale face aux épreuves et aux éventuelles discriminations constitue en effet le ressort fondamental d’une pratique holistique du Care, où le bien-être, l’altruisme et la sincérité à l’égard de ses convictions personnelles s’entremêlent tout en se renforçant l’un l’autre. Une philosophie au potentiel révolutionnaire, défendue et incarnée par des apôtres d’un nouveau genre, interviewé·e·s dans ces pages. Parmi eux·elles, le duo de designers et artistes straight-edge Fecal Matter, dont les looks extrêmes – fruits d’une auto-acceptation mutilée avant d’être portée à son paroxysme – et régulièrement upcyclés constituent un manifeste visuel en faveur de la tolérance et de la liberté. Des valeurs également portées par le·la poète et militant·e transgenre et non-binaire Alok Vaid-Menon, dont la revendication du droit d’être soi face à la transphobie a inspiré un activisme intersectionnel ainsi qu’une réthorique de l’amour au service de l’égalité.
Les multiples difficultés auxquelles l’auteur·rice américain·e a dû faire face reflètent en grande partie celles que rencontrent les personnes trans en France, dont Redcar, qui publie ici un texte exclusif, accompagné de clichés théâtraux signés par le photographe de ce numéro, Anthony Arquier. Le chanteur y revient notamment de manière poétique et poignante sur la conception de son nouvel album, sa transition de genre et la difficulté de trouver sa place lorsqu’on est un « homme à chatte », dans un monde qui demande encore à la puissance vitale qui brûle en chacun·e de nous de se conformer à ses normes pré-établies, au lieu de les tailler à son service afin qu’elle puisse jaillir dans toute sa splendeur – et ainsi illuminer l’ultime horizon du Care.