L’édito de Maxime Retailleau, rédacteur en chef du nouveau numéro d’Antidote
« Who’s who? »
Si «Persona», le thème exploré à travers ce numéro, est un terme qui renvoyait à l’origine au masque arboré par les acteurs de théâtre romains, dans l’Antiquité, sa portée est désormais universelle, alors que nos extensions digitales sur les réseaux sociaux s’assimilent à une multitude de masques numériques, qui nous révèlent autant qu’ils nous dissimulent. « Le monde entier est une scène », écrivait Shakespeare, et les métavers ne feront pas exception. La mode l’a parfaitement anticipé et compte bien proposer à nos avatars digitaux actuels ou à venir de revêtir des NFT plus beaux, plus cool ou plus rares les uns que les autres.
Cette nouvelle extension du domaine de la lutte s’appuie d’ailleurs sur des ressorts psychologiques profondément ancrés. Au début du XXe siècle, le psychanalyste Carl Gustav Jung donnait au terme « persona » une perspective neuve, en l’utilisant pour désigner la capacité psychique de l’être humain à s’adapter aux normes en vigueur. Notre être social n’est pas le pur reflet de notre identité intime, mais l’articulation perpétuellement évolutive du « moi », du « ça » et du « surmoi », que notre parure vestimentaire (qu’elle soit réelle ou numérique) permet de cristalliser. En résulte un spectaculaire pouvoir de métamorphose, que la chanteuse Charli XCX a sublimé et mis en scène à travers sa renaissance allégorique en femme fatale sensuelle et dangereuse, à l’occasion de la sortie de son cinquième album, CRASH.
Cette réinvention identitaire par le biais de l’art fait d’ailleurs écho à celle de Marie-Pierre Pruvot, alias Bambi, qui s’est créé un personnage scénique renommé passé par les cabarets Madame Arthur et Le Carrousel, ou encore aux facultés transformatives de Violet Chachki et Gottmik, deux des plus célèbres drag queens de la planète.
Si le réel se retrouve souvent paré d’artifices, ces derniers peuvent toutefois prendre l’apparence du réel en retour – dans un chassé-croisé plein d’ironie. C’est du moins l’objectif cinématographique du sulfureux réalisateur Gaspar Noé, qui assume plus que jamais son attrait pour le naturalisme à travers son nouveau long-métrage, Vortex, dont les acteur·rice·s ont pu jouir d’une grande liberté d’improvisation. Son interview est à retrouver en parallèle de séries mode signées par la styliste et photographe britannique Betsy Johnson, à leur tour axées sur la mise en scène et le storytelling.
Les premières photos publiées dans ce numéro ont été prises à Kyiv, le 17 février 2022, sans que nous n’imaginions que l’invasion menée dans l’est de l’Ukraine depuis plusieurs années s’étendrait à tout le pays sept jours plus tard. Accompagnées des témoignages poignants des Ukrainiennes Dasha Deriagina et Margarita Shekel, qui ont respectivement travaillé comme productrice et assistante styliste sur le set, elles se sont emplies a posteriori d’une dimension politique déchirante et totalement imprévue, à travers laquelle Antidote tient à réaffirmer son engagement inconditionnel en faveur de la liberté et de la paix.