Les tempêtes sentimentales de Zaho de Sagazan

Article publié le 12 juillet 2024

Texte : @Henri_Delebarre. Photographie @aliforoughi. Stylisme @yannweber. Maquillage @tiinaroivainen. Coiffure @vincentdemoro. Manucure @amacauvas. Set designer @raven_doing_things. Assistante styliste @cruellabi. Assistant photographie @_______petar. Production @aurea.productions.

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Bercée par l’électro, les chansons de Barbara ou de Brel et fan – entre autres – de Kraftwerk, Zaho de Sagazan compte aujourd’hui parmi les jeunes chanteuses françaises les plus en vue. Certifié disque de platine au printemps dernier, un an après sa sortie, son premier album La Symphonie des éclairs lui a valu les louanges de la presse, et lui promet un avenir radieux. Rencontre. Retrouvez son interview ci-dessous, issue du numéro printemps-été 2024 d’Antidote


Veste aux manches oversize et sac à dos Alma, Louis Vuitton.
Avec sa voix grave, ses paroles poétiques nimbées de sonorités électroniques et ses mélodies jouées au piano, Zaho de Sagazan s’est glissée, le temps d’un éclair, dans les oreilles de nombreux·se·s auditeur·ice·s, pour envahir leur cœur tout en douceur. Paru le 31 mars 2023, son premier album, La Symphonie des éclairs, l’a propulsée sur les scènes des Zéniths aux quatre coins de la France, après un nombre incalculable de salles confidentielles et une nuée de festivals, enchaînés inlassablement, les uns après les autres.
Du haut de ses 24 ans, déjà couronnée par quatre Victoires de la musique en février dernier, Zaho de Sagazan dit ne pas encore avoir eu le temps de réaliser l’ampleur de son succès. Née à Saint-Nazaire, d’une mère institutrice et d’un père artiste-performeur, elle a grandi entourée de sa sœur jumelle et de leurs trois aînées, dans une famille portée par une grande liberté créative. Avec elles, Zaho de Sagazan joue dans un nombre infini de court-métrages amateurs, chante et danse comme une folle sur un matelas disposé au milieu du salon familial avec, en bande-sonore, les chansons de « Mozart, l’opéra rock » qui tournent en boucle. Mais lors de son adolescence tourmentée, croulant sous le poids de ses émotions, elle plonge corps et âme dans la musique, assise seule au piano de sa grande sœur qui pratique le chant lyrique, et y trouve une échappatoire lui permettant autant de tromper l’ennui que de mettre des mots sur ses ressentis. Avec l’aide de sa mère, elle aiguise sa plume et se nourrit de la chanson française, dont elle décortique les paroles poétiques. Vers 15 ans, elle commence alors à partager des vidéos de ses performances sur Instagram, après être tombée follement amoureuse du chanteur britannique Tom Odell, dont les cris du cœur la transperce. Toujours visibles, comme des témoins de son évolution due à un travail acharné, ces vidéos montrent la naissance d’une artiste complète, articulant chaque syllabe avec précision, maniant les rimes, les silences et les allitérations avec brio, et incarnant sa musique à travers des chorégraphies démembrées, non sans rappeler les performances de son père. Modeste, drôle et volubile, elle est revenue avec nous sur son parcours, sa manière de gérer son ascension rapide ou encore sa rencontre avec le directeur des collections féminines de Louis Vuitton, Nicolas Ghesquière.
Henri Delebarre : En février, tu raflais quatre des cinq Victoires de la musique pour lesquelles tu étais nommée. J’imagine que ça été un tsunami d’émotions…
Zaho de Sagazan : Carrément ! [Rires] J’étais très stressée, parce que j’ai toujours envie que les gens avec qui je travaille soient contents. En plus, je déteste la télé, en général. Bref, je suis sortie de ma prestation en pleurs. Et puis ça ne s’est plus arrêté parce qu’on est directement allés dans les gradins, et la première Victoire m’a été décernée. C’est pas quelque chose dont j’ai rêvé toute ma vie, mais je savais que beaucoup de personnes dans mon entourage seraient ravies. Je me souviens d’un moment de rêve, d’hallucination. Je crois qu’on ne réalisait pas du tout sur le moment. Et en même temps je voyais mon éditeur pleurer pour la première fois, donc je me suis dit : « Oh putain, c’est un gros truc quand même » [rires].
Tu enchaînes les concerts avec une énergie folle. 115 en 2023  ! Et là tu viens de démarrer une tournée des Zéniths, entrecoupée par de nombreux festivals cet été et d’autres dates… Ça t’arrive de ressentir de la fatigue ?
Oula ! Mais c’est ma meilleure copine ! On se le disait encore tout à l’heure avec Lucie [sa manageuse, rencontrée au lycée, NDLR], on en a ras-le-cul d’être crevées [rires]. Mais je suis plus heureuse que fatiguée, donc ça va. On a un métier qui nous envoie beaucoup d’énergie, on a trop de chance, on rencontre plein de gens, ça nous réveille.

Veste sans manches, pantalon droit et boots à semelles compensées, Louis Vuitton.
Tu as dit que tu avais pris conscience que tu devais te comporter en athlète. J’allais te demander si tu avais arrêté de fumer, mais je vois que non [rires – elle tente d’allumer une cigarette qu’elle vient de rouler, NDLR]. Est-ce que tu as malgré tout adapté ton hygiène de vie ?
Ah, mais complètement ! Il y a deux ans, j’étais du genre à me bourrer la gueule une fois par semaine, je fumais beaucoup de joints. Ça m’a fait un bien fou d’arrêter, j’ai beaucoup diminué la boisson aussi. Il y a cette idée du rockeur, mais on ne fait jamais la fête. Après un concert, on rentre, on se fait un petit débrief autour d’un thé et on va se coucher !
Et puis deux heures de concert trois-quatre soirs par semaine, ça fait le cardio. La scène, c’est ma salle de sport. J’ai vu mon corps se durcir. À une époque, je n’avais pas encore accepté cette vie. J’étais dans une fatigue extrême. Et ça rend malheureux, parce qu’on ne ressent plus les choses. Je suis tombée très bas, et je suis remontée ! J’ai appris à gérer. Et on ne prend aucune drogue, on en est fier·ère·s.
Tu parles de l’addiction au joint dans « Aspiration ». Tu n’en as donc plus besoin pour t’inspirer ?
Non, et j’ai toujours trouvé ça ridicule. C’était important de me savoir créative sans substances. Après, ça peut servir à d’autres choses… Ça me servait beaucoup pour mixer l’album. C’est un moment très particulier, compliqué, minutieux. Je suis souvent prise par l’angoisse, parce que j’aime mes chansons plus que tout, et il faut les habiller, mais souvent je ne trouvais pas d’habits adéquats. Donc je fumais un pet’, je réécoutais et je me disais : « Ah ouais nan, en fait ça va pas du tout ! ». Ça ouvre certaines portes de l’esprit. Écouter un morceau défoncée, ça peut le rendre bien plus extraordinaire ou vraiment moins bien. Mais bon, j’ai arrêté et c’est très bien. Par contre, la cigarette j’ai du mal, parce que je suis trop stressée !

« Plus jeune, je ne savais pas ce que je foutais sur cette Terre, je me trouvais nulle en tous points. Puis je me suis lancée dans la musique et je me suis dit : “Je crois que là tu n’es pas si nulle, en tout cas tu as envie de ne pas être nulle et tu es passionnée.” »


Pull en nylon et lunettes de soleil cat eye, Louis Vuitton.
Ton manque de confiance en toi s’est malgré tout estompé avec le succès ?
Sur scène oui, par contre dans la vie pas du tout. Je suis persuadée que personne ne m’aimera. Ça n’a pas évolué [rires] ! Plus jeune, je ne savais pas ce que je foutais sur cette Terre, je me trouvais nulle en tous points. Puis je me suis lancée dans la musique et je me suis dit : « Je crois que là tu n’es pas si nulle, en tout cas tu as envie de ne pas être nulle et tu es passionnée. » Je bossais comme une folle, j’avais une foi totale en la musique, et j’étais assez persuadée que j’avais quelque chose à y faire.
Bien sûr, il y a plein de moments où je me dis : « C’est trop de la merde ce que je fais ». Mais sur scène, je sais que ce sont des chansons que j’ai bien travaillées, qui plaisent aux gens. Plus les concerts passent, plus je comprends qu’il faut que j’arrête de me regarder. J’ai appris à aimer cette partie de moi complètement chtarbée.
Il y des concerts qui t’ont marquée plus que d’autres ? Positivement ou négativement…
Positivement, plein. Le Zénith de Paris, c’était n’importe quoi. Je suis ressortie en mode : « Je veux faire ça toute ma vie !  ». Ce qui est trop bien, c’est quand tu ne t’attends pas à ce que ce soit mortel. On a fait des scènes à quinze personnes, avec une moyenne d’âge de 85 ans, et ça finissait en club. Je me rappelle des Vieilles Charrues, je jouais à l’ouverture, je me suis dit : « 13h30, personne ne me connaît, ça va être horrible.  » Et en fait, les gens étaient à fond. Je me disais : « Quoi, mais d’où tu connais mes chansons toi ? C’est pas possible [rires] ! ».
Et il y a eu des concerts beaucoup moins faciles… J’ai joué deux fois avant Tiakola, dont la musique est plus ou moins l’inverse de ce que je fais, et dont le public est très différent. Et là, c’était l’humiliation. Les gens me faisaient des fucks, tout le monde parlait, ça faisait des pogos sur « La Symphonie des éclairs ». J’étais à deux doigts de partir… Le pire, c’est quand tu vois dans le public trois personnes et que tu comprends qu’elles étaient venues pour toi. J’avais envie de leur dire : « Revenez une prochaine fois, je vous jure que ça va mieux se passer ». C’était un peu violent, et en même temps intéressant, parce que tu vois un autre public. Mais clairement, ils m’ont chié dessus.

Tu as écumé des scènes complètement différentes. L’intimité des débuts te manque parfois ?
Pour les premiers Zéniths, j’avais très peur de la perdre justement. La scène est loin du public. Rendre ça intime faisait partie de mes grandes obsessions. On a voulu garder ces moments où je parle, où je vais dans le public. Mais toutes les configurations me plaisent.
Ta tournée des Zéniths, démarrée moins d’un an après la sortie de ton premier album, reflète la fulgurance de ton ascension. Comment fais-tu pour garder la tête froide ?
Je suis entourée de mes meilleurs copains depuis le début. Avant, on était huit dans le bus de tournée, maintenant on est quinze. Je ne rajoute que des potes. Donc c’est con, mais je n’ai pas l’impression d’avoir complètement changé de vie. Je dis souvent qu’on a monté très vite l’escalier, mais qu’on a gravi toutes les marches. J’ai fait 250 dates et des premières parties de Zéniths, avant de devenir l’artiste en tête d’affiche. C’est hyper excitant, j’ai plein de défis à mener. Je ne ressens pas le syndrome de l’imposteur, parce que je sais que je suis à la bonne place. On bosse beaucoup en amont.
Et je suis entourée de gens vraiment simples, j’habite à Nantes. Je suis toujours dans la même coloc. J’ai pas du tout envie de suivre machinalement le truc de : je fais un album, je vais à Paris et j’y passe ma vie pour faire des albums, puis je fais une tournée, puis je refais un album… J’ai juste envie de vivre le plus de trucs possibles, de partir deux ans à Berlin, pour comprendre vraiment la musique électro et sortir un album techno un jour. Et après, partir dans une ferme pendant deux ans, apprendre à parler aux vaches, j’en sais rien !

Veste sans manches, pantalon droit, boots à semelles compensées et sac à main Just In Case Monogram, Louis Vuitton.
D’où tiens-tu cet amour pour l’électro allemande des années 70-80 d’ailleurs ?
J’ai d’abord découvert Koudlam, un artiste français que j’adore, grâce à mon papa. C’est un peu lui qui m’a fait plonger dans l’électro, la cold wave… Et mes producteurs [Pierre Cheguillaume et Alexis Delong, du groupe Inüit, NDLR], avec qui j’ai fait tout l’album, sont amoureux de l’électro, des synthés, des modulaires… Quand je les ai rencontrés, je me suis dit : « Oh putain ! Moi qui ai toujours écouté de l’électro, je vais pouvoir en mélanger à mes chansons ! ».
Tu es souvent présentée comme une chanteuse à textes, héritière de Barbara et de Jacques Brel. L’écriture, c’est quelque chose que tu as toujours pratiqué ?
Pas du tout. J’étais vraiment la meuf de S, celle qui lisait pas. J’adorais les maths, la science et détestais l’histoire-géo. C’est quand j’ai redécouvert le piano que j’ai commencé à m’intéresser, entre autres, à la chanson française. J’y ai découvert la passion des mots. J’ai écouté Barbara et me suis dit : « Attends, mais en quatre phrases elle résume une émotion que tout le monde ressent mais que personne ne sait nommer ». Ma mère a alimenté mon exigence envers les mots. Quand j’ai commencé à chanter, je faisais des anglicismes, puis bon, j’avais vraiment pas un bon accent et je ne comprenais rien de ce que je disais. Donc je me suis mise à écrire en français. Et ma mère m’a dit : « Alors, c’est nul, mais je te conseille d’écouter ça, tu vas voir ». J’écoutais, puis elle revenait me voir en mode : « Est-ce que tu as vraiment compris le texte ? Tu as remarqué comment elle articule ? Toi, on ne comprend rien de ce que tu dis ». Donc je me suis dit : « Ah oui, bon… d’accord, articule ». J’ai compris que ça servait à rien de passer 800 ans à trouver des mots si on les comprenait pas.
J’ai décortiqué toutes ces chansons, pour apprendre. « Dis quand reviendra-tu ? » de Barbara, je l’avais entendu cinquante fois, mais je ne m’étais jamais pris la claque que j’ai reçue quand j’ai commencé à écrire. Je me suis dit : « Cette chanson est parfaite, il n’y a pas un mot à enlever, tout est dans le bon ordre, elle t’emmène dans une histoire ». Ou « L’Écharpe », de Maurice Fanon, c’est extraordinaire, tout est basé sur le réemploi des mots, c’est très lent… [Elle se met à la réciter de manière hachée, NDLR] : « Si je porte à mon cou, En souvenir de toi, Ce souvenir de soie… ». C’est ça qui est magnifique, chaque mot est fondamental, tu ne peux pas en négliger un seul.

« Je suis la reine de l’imagination, j’ai vécu toutes les histoires d’amour du monde dans ma tête. Je suis dans mon lit ou à mon piano, je repense à un mini-crush qui m’est arrivé il y a deux jours et je m’imagine dans une relation hyper conflictuelle avec lui [rires]. »


Veste en cuir et lunettes de soleil, Louis Vuitton.
Tu écris de manière très lucide sur les relations amoureuses, parfois toxiques, alors que tu dis toujours n’en avoir jamais connu. D’où te viens cette extralucidité ?
Il y a beaucoup de chansons – « Les Dormantes », « Suffisamment » – que j’ai écrites en observant les autres. Je suis passionnée par les gens, j’adore poser 1 000 questions, parler des problèmes. Je voulais être psychologue. « Les Dormantes », c’est ce que ma meilleure copine a vécu, et que j’ai vécu en tant qu’observatrice et supportrice. « Suffisamment », c’est une copine qui me parlait de cette relation. Je suis la reine de l’imagination, j’ai vécu toutes les histoires d’amour du monde dans ma tête. Je suis dans mon lit ou à mon piano, je repense à un mini-crush qui m’est arrivé il y a deux jours et je m’imagine dans une relation hyper conflictuelle avec lui [rires]. C’est pas si compliqué, l’amour est partout, j’ai juste à écrire ce que je vois.
Tu as raconté que ça avait été un enfer pour terminer le single « La Symphonie des éclairs ». Pourquoi ?
Le refrain m’est venu très rapidement [alors qu’elle était dans l’avion, au-dessus des nuages, NDLR], puis j’ai cherché pendant très longtemps ce que j’allais dire de plus, parce que je ne voulais pas faire une chanson qui disait juste que j’aime la pluie quoi tu vois [rires]…
Généralement, tu as le sujet et tu trouves une métaphore. Là, c’était l’inverse, donc c’était un peu compliqué. Toute la chanson est basée sur la métaphore de la tempête, et moi j’ai tendance à aller chercher très loin. J’ai galéré. Je n’écris pas bien naturellement, j’écris beaucoup de merde avant. Je suis retombée sur des audios du premier couplet, c’était horrible. Je me suis dit : « Eh bah heureusement que t’as continué à chercher [rires] ! ». « Tristesse », à l’inverse, je l’ai écrite en une demi-heure, mais ça a été un enfer pour l’arranger. « Les Garçons », c’est la première de l’album que j’ai écrite, quand j’avais 16 ans, mais je l’ai finie tard parce que c’était pas dingue, je ne la voulais pas sur l’album au début. Donc il y a des chansons qui ont pris sept ans à être finalisées, mais en vrai j’ai passé trois jours dessus.

« C’est quand j’ai commencé à regarder mon corps comme une machine extraordinaire, qui me permet de vivre, d’aimer, de rire, que j’ai commencé à le considérer. »


Veste sans manches, jupe bicolore, chaussures à semelles compensées et sac à main GO-14, Louis Vuitton.
Dans « Tristesse », tu chantes : « J’ai beau tout faire, tout dire, pour la faire partir, elle, elle reste là. Et en fin de compte, je me demande même si elle serait pas là un peu tout le temps. » J’ai l’impression que tu parles davantage de dépression, comme Françoise Sagan dans Bonjour Tristesse…
Alors, en fait, quand j’ai écrit « Tristesse », j’étais persuadée qu’on était marionnettiste de ses émotions, que le seul moyen de ne pas être triste, c’était d’être dans le déni de la tristesse. Au début, je voulais vraiment parler du fait qu’on est marionnettiste et que c’est ça la voie du bonheur. Sauf que parfois, les chansons prennent le dessus. Tu écris, et l’inconscient parle à ta place. À la fin m’est venu : « Marionnette on est, et on le reste ». Puis je suis allée fumer une clope, j’ai relu les paroles et là je me suis dit : « Putain, mais la conclusion de la chanson c’est l’opposé de ce que je voulais dire ! ». La musique est ma thérapie. C’est comme une psy, elle t’ouvre le cerveau et tu te dis : « Ah mais en fait j’avais rien compris ». Tant qu’on assume pas qu’on va mal, on ne cherche pas à trouver de solutions. C’est comme s’il y avait du moisi dans ton appart’ et que tu mettais de la peinture dessus. Bah ça reste malsain et ça va revenir. Tout d’un coup, je me suis dit : « Bon, c’est moisi, et on va essayer de gérer le truc ». Mes chansons, c’est toujours des mantras, plus je les chante, plus j’y crois.
Tu parles très ouvertement de santé mentale, comme lors d’un de tes discours aux Victoires de la musique. Est-ce que tu penses au rôle potentiellement militant que tes chansons pourraient endosser quand tu les écris ?
Je pense toujours à ceux·lles qui les écouteront. J’ai envie que les gens ressentent. C’est hyper important de rendre l’intime universel. Par contre, je ne me suis jamais dit : « “La Symphonie des éclairs” va devenir un hymne pour les hypersensibles ». Mais j’essaie de faire en sorte que tout le monde puisse s’identifier. Quand j’ai écrit « Mon Corps », ce n’était pas juste pour parler du mien, mais pour que toutes les personnes qui ne sont pas à l’aise dans le leur s’y retrouvent. Je ne voulais pas parler de bourrelets. Moi, je me trouvais trop grosse, mais je sais qu’il y a des gens qui ne sont pas bien parce qu’ils ont trop d’acné ou sont trop petits… C’était une période où on parlait beaucoup du body positivisme, qui incitait à trouver son corps beau, mais ça me dérangeait. Je me disais : « De toute façon, je ne le trouverai jamais beau, donc ce qui m’intéresse, ce n’est pas de le trouver beau, mais d’arrêter de chercher à le trouver beau ». C’est quand j’ai commencé à regarder mon corps comme une machine extraordinaire, qui me permet de vivre, d’aimer, de rire, que j’ai commencé à le considérer. Mais je ne me suis pas dit : « Je vais briser des tabous ».

Veste aux manches oversize, Louis Vuitton.
Quel rapport entretiens-tu avec la mode ? J’ai vu que tu as notamment tapé dans l’œil de Nicolas Ghesquière, qui dessine les collections femme de Louis Vuitton et a souhaité collaborer avec toi…
Alors de base, la mode, j’en avais rien à foutre, je la méprisais même peut-être un peu… Je me suis habillée chez Emmaüs toute ma vie. D’abord parce que j’avais pas de thunes, ensuite parce que c’est fantastique, aussi pour l’aspect écologique. J’aimais bien les costards. Ça cachait en partie mon bide et ça me donnait un côté un peu classe. Sur scène, je porte un cycliste [dessiné pour elle par Nicolas Ghesquière, NDLR], pour être le plus à l’aise possible. C’est Nicolas qui m’a contactée, après la sortie de mon album, pour me dire qu’il était complètement fan et qu’il m’invitait à son défilé. Moi qui adore les expériences, j’ai regardé Lucie et je lui ai dit : « On va y aller, ça va être marrant ! ». On était en mode : « C’est quoi ce monde ? Trop chelou, il y a tous les gens que tu as déjà vu à travers ta télé ». J’ai vécu ça comme une expérience sociale.
Ce soir-là, j’ai passé toute la soirée avec Nicolas dans son hôtel, avec ma manageuse, Emma Stone et deux stylistes. J’étais en mode : « Wouuuu », complètement bourrée, on a passé la soirée à se marrer comme des oufs. Nicolas me parlait d’art, de ses références. J’ai vu un mec hyper passionné, des étoiles plein les yeux… Et j’avais l’impression qu’il avait tout compris de mon album. Quatre mois plus tard, il m’appelle : « Écoute, ça fait trois mois que je suis sur une collection, j’écoute ton album et ta chanson « Dis-moi que tu m’aimes » en boucle. Je n’arrive pas à imaginer ce défilé autrement qu’avec ta musique. Tu veux bien ? ». Puis il a proposé de m’habiller pour les Victoires. Donc bah vas-y, chanmé ! Je lui ai demandé un truc un peu rétrofuturiste, comme sur ma pochette.
Fin 2023, tu as sorti un EP de trois reprises. Comment les as-tu choisies ?
Simplement parce que je les adore. Et c’était important pour moi qu’il y ait un fil rouge dans cet EP, même si personne ne l’a peut-être remarqué. Je trouvais ça beau de commencer par « La Bonne étoile » de M, qui raconte qu’on est juste une poussière dans un système solaire et qui dit qu’il faut suivre sa bonne étoile. Mais il y des gens qui sont nés sous la mauvaise étoile, sous les 99 ballons de baudruche de « 99 Luftballons » de Nena [un tube allemand des années 80 qui dénonce l’absurdité de la guerre, NDLR]. Cette chanson est terriblement d’actualité. Mais pour finir, « Ah que la vie est belle », grâce à l’amour. Cette chanson de Brigitte Fontaine est merveilleuse.
Le fait que ton père [le performeur, peintre et sculpteur Olivier de Sagazan, NDLR] soit artiste, ça a joué un rôle déterminant dans ta vocation ?
C’est sûr que l’artiste que je suis doit beaucoup à mes parents, surtout à leur personnalité. Avoir un papa qui passe son temps dans son atelier, ça met la création au cœur de la vie. Pour certaines personnes, être artiste, c’est pour les autres, pas pour soi. Moi, c’était proche de moi. Il m’a appris que le talent, c’est de la sueur ; il ne faut pas faire de concessions. Personne ne lui dit comment faire son art, il est complètement libre et je crois que ça a beaucoup joué sur mon envie d’être indépendante, de ne pas me lisser. J’ai dû me battre pour que « La Fontaine de sang » soit la première chanson de l’album. Tout le monde m’a dit : « Non mais c’est pas du tout une manière de dire bonjour aux gens ! C’est un peu violent, tu pourrais plutôt mettre “Les Garçons” ». Et j’étais en mode : « Mais allez vous faire foutre ! » [rires].
Ton père a collaboré avec Mylène Farmer, FKA twigs… Tu pourrais envisager de travailler avec lui ? Tu as déjà collaboré avec une de tes sœurs [la chorégraphe Leïla Ka, NDLR] pour le clip d’« Aspiration »…
J’aimerais bien, carrément ! Après je pense que c’est compliqué de bosser avec son père. Mais ce serait une expérience très drôle. Avec ma sœur, ça fait longtemps qu’on travaille ensemble, elle m’aide de ouf.

Veste aux manches oversize, pantalon en cuir et chaussures à semelles compensées, Louis Vuitton.
Tu as travaillé comme auxiliaire de vie dans un EHPAD pour financer l’album. Pourquoi ce choix ?
Parce que j’ai toujours rêvé d’être dans le médical, dans le soin. J’ai une copine qui avait fait ça un été. Elle m’a dit qu’il y avait une formation de deux jours. Ça m’a mis une claque dans la gueule. Personne ne peut imaginer comme c’est dur. La générosité de ces personnes, c’est un truc de ouf. Elles font 40 heures par semaine depuis leurs 20 ans, à 40 ans elles ont le dos cassé, mais elles continuent de sourire.
Une de tes sœurs est infirmière d’ailleurs. Et tu as dédié une de tes Victoires de la musique aux métiers du soin…
Oui, parce que ce sont des métiers vraiment importants mais très peu considérés. Un docteur à la limite, c’est considéré. Mais infirmier·ère·s, auxiliaires de vie… t’es payé·e 7 euros de l’heure, alors que tu laves de la merde et que ton métier est fondamental. Il est temps qu’on paie plus ceux·celles qui font du soin. Mais comme d’habitude, les métiers qui ne rapportent pas d’argent sont mal payés.

« Le talent, c’est de la sueur ; il ne faut pas faire de concessions. »

Tu écris en ce moment ? Tu as une idée de ce que tu aimerais dire dans ton prochain projet ?
Beaucoup moins qu’avant. J’ai quelques idées, mais je ne sais pas si je vais les garder. La Symphonie des éclairs, c’est un album très intime, qui parle du rapport à soi. J’aimerais que le prochain parle de l’importance des autres dans la vie, et dans le bonheur. J’ai écrit quelques petites chansons là-dessus. Chaque chose en son temps. J’aime bien l’idée d’avancer par chapitres. Il y a un temps pour la création et un temps pour l’expression. Après, s’il faut que je prenne six ans pour faire le deuxième, je prendrai six ans.

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