Béatrice Dalle : « Il faut se battre pour la liberté de tous•tes »

Article publié le 20 octobre 2021

Interview par Bruce LaBruce extraite d’Antidote Karma issue hiver 2021-2022 . Traduction in situ : Iris Luz. Photographe : Lee Wei Swee. Stylisme : Lisa Jarvis. Coiffure : Michel Demonteix. Maquillage : Guy Espitalier. Coordinateur Mode : Nikita Radelet. Production : Romain David @ Lotti Projects. Assistant photographe : Christopher Armani.

Comptant parmi les actrices françaises les plus punk de sa génération, Béatrice Dalle est devenue une figure incontournable du cinéma français depuis sa révélation en 1986 dans 37°2 le matin. Interviewée pour le numéro « Karma » d’Antidote par le réalisateur canadien Bruce LaBruce, avec qui elle partage un besoin avide de liberté ainsi qu’un goût avéré pour la provocation, elle revient dans cet entretien mené via Zoom — entre Paris et Toronto — sur ses nombreux points communs avec le réalisateur, se livre sur son amour incommensurable pour Jésus et Virginie Despentes et explique son penchant pour les bad boys, les hommes gays et les rôles borderline.

BRUCE LABRUCE : [Il s’exclame en voyant Béatrice Dalle apparaître à l’écran, NDLR] Ma belle, ma belle !
BÉATRICE DALLE : J’ai mal à la tête, j’ai pas dormi, j’ai une sale gueule !
Ça te dirait de faire toute l’interview dans la peau de Nadia, ton personnage dans Domaine, de Patric Chiha ?
Ça me va parfaitement !
Ça ne devrait pas être difficile ! Il y a beaucoup de toi dans ce personnage. Je viens de le revoir, j’adore ce film ! Savais-tu que John Waters l’avait cité comme le meilleur de 2010 ?
[Béatrice Dalle allume une cigarette, NDLR] C’est un de mes films préférés !
Comme tu le sais, le thème de ce numéro d’Antidote est « Karma ». Selon moi, il y a deux types de karma : le karma instantané, comme quand tu fais quelque chose de mal et que ça se répercute plus tard dans ta vie, une sorte de punition ; et le karma « cosmique », avec lequel on est puni·e dans une vie postérieure, à travers notre réincarnation. Quelle est ta relation au karma ? Je sais que tu es une grande fan de Jésus…
Oui, je suis très croyante. Je suis chrétienne et pratiquante. Je crois tellement au Christ que c’est lui mon karma. Je le trouve tellement sexy en plus ! Depuis que je suis petite, je discute avec lui. Je vais dans les églises et je lui demande si je peux faire telle ou telle chose. Et tant qu’il ne me dit pas non, je le fais. Avant de prendre de la drogue, par exemple, je lui demande toujours si je peux. Et il ne me dit jamais non [rires, NDLR] !
Béatrice Dalle : Manteau, Ann Demeulemeester. Pantalon, Saint Laurent.
À vrai dire, Jésus semble être un mec plutôt tolérant et compréhensif ! Bref, pour me mettre dans le mood « Béatrice Dalle », j’ai revu certains des films dans lesquels tu as joué, comme La Sorcière de Marco Bellocchio – qui est magnifique – et Lux Æterna de Gaspar Noé. Étrangement, j’ai trouvé ces deux films très similaires. Dans les deux, des gens brûlent, il y a des meurtres…
Ah oui ? Le film de Bellocchio, c’était mon deuxième en tant qu’actrice. Je ne comprenais pas encore ce qui m’arrivait. Pour Lux Æterna, la première indication que Gaspar m’a donnée, c’était : « Tu es actrice, je suis metteur en scène : vas-y, joue ! ». Donc contrairement à Bellochio, avec Gaspar c’était moi qui « drivait » le film. Aujourd’hui, je sais ce que j’aime et ce que je n’aime pas. La relation avec le·la metteur·se en scène est donc beaucoup plus précieuse, il y a un vrai échange. Je ne fais plus que des films pour leur metteur·se en scène. Je ne leur dis jamais non. Je suis là pour leur apporter ce qu’il·elle·s désirent, et plus encore. L’histoire, mon rôle, je m’en fous. C’est comme un·e peintre. Quand Van Gogh peint une chaise, on s’en fout que ce soit une chaise. Mais parce que ce sont les yeux et l’âme de Van Gogh, ça devient sublime.
Que penses-tu du statut de muse ?
Être la muse de quelqu’un, c’est le plus beau des statuts. Je me souviens une fois au musée m’être arrêtée devant des tableaux du Titien. Je regardais ces femmes qu’il a peintes et j’ai réalisé à quel point j’aurais aimé avoir inspiré un peintre de ce niveau-là. Lui ou Francis Bacon, pour sa vision des gens. Quand je vois la manière dont il représente son amante, je me dis : « Quelle chance ! Qu’est-ce qu’elle devait représenter pour lui pour qu’il la peigne de cette façon ? »
Tu aurais aimé coucher avec Francis Bacon ?
Oui ! Mais mon préféré, ça reste Jean Genet.
Tu aimes sortir avec des homosexuels, donc ça aurait pu arriver…
C’est vrai que j’aime les mêmes mecs que Jean Genet !

« En France, Jeanne d’Arc a été récupérée par l’extrême droite. Pour moi, c’est la première transgenre de l’histoire ! Il faudrait qu’on la récupère comme telle. »

Pour en revenir à l’idée de muse, aujourd’hui, les gens n’aiment plus utiliser ce mot parce qu’il induit l’idée d’un rapport de force, d’une femme soumise au regard d’un homme. Qu’en penses-tu ?
J’en ai vraiment rien à foutre !
Même le terme « auteur » est délaissé par la culture woke. Parce qu’il incarne celui qui est révéré, une figure autoritaire. Que penses-tu de ces théories woke ?
Ça me rend triste. J’ai l’impression qu’aucun des films de Pasolini ne pourrait être réalisé aujourd’hui. Dans Salò ou les 120 Journées de Sodome, par exemple, je n’imagine pas une seconde que les acteur·rice·s du film puissent refaire aujourd’hui ce qu’il·elle·s ont osé faire dans ce film.
Pour en revenir au karma et à la réincarnation, penses-tu que tu aurais pu être Jeanne d’Arc dans une vie antérieure ?
J’aurais beaucoup aimé ! Donner sa vie pour une cause, je trouve ça très romanesque. Mais en France, Jeanne d’Arc a été récupérée par l’extrême droite. Pour moi, c’est la première transgenre de l’histoire ! Il faudrait qu’on la récupère comme telle.
Béatrice Dalle : Chemise et pantalon, Saint Laurent. Bottes, Rombaut.
Je parle de Jeanne d’Arc, car j’ai remarqué que dans nombre de tes films, comme celui de Bellocchio ou dans Trouble Every Day, de Claire Denis, tu finis brûlée. C’est étrange…
Je n’aime que les tragédies, les opéras sanglants. Parler du quotidien, ça ne m’intéresse pas. Ken Loach fait ça très bien, mais ce n’est pas pour moi. La vie de tous les jours, ça m’ennuie, donc le faire au cinéma, ça ne m’intéresse pas. À chaque fois que j’ai eu des enfants dans des films, par exemple, soit je couchais avec, soit je les tuais !
J’adore les films dans lesquels des enfants meurent [rires, NDLR] !
Moi aussi [rires, NDLR] !
Je viens d’ailleurs de revoir Escape Me Never, ce long-métrage avec Ida Lupino, Errol Flynn, Gig Young et Eleanor Parker. C’est sur deux frères compositeurs. L’un, campé par Errol Flynn, est très extraverti et couche avec plein de femmes, tandis que l’autre est ennuyeux à mourir. Eleanor Parker sort avec ce dernier, mais tombe amoureuse d’Errol parce qu’il est wild. Lui, de son côté, sort avec Ida Lupino, qui a un bébé, et toute la première partie du film tourne autour de ce bébé qui parasite l’histoire des autres personnages. Résultat, tu n’attends qu’une chose : qu’il meure ! Quand ça arrive, vers la fin du film, tu te dis « Dieu merci ! Ce putain de bébé est enfin mort.» Et tout le monde peut enfin vivre et baiser les un·e·s avec les autres [rires, NDLR] !
[Rires, NDLR] Tu sais, on m’a toujours dit : « Dans la vie, il y aura forcément un moment où tu voudras un bébé. » Mais non ! Ce n’est pas parce que je suis une femme que je suis une reproductrice ! Je n’ai jamais voulu d’enfant. Je n’ai pas du tout l’instinct maternel. Donc ce genre de rôles borderline, ça me va parfaitement ! C’est ça que j’aime dans le cinéma. Comme dans la littérature, on a le droit de tout faire, de tout dire. Un jour, j’étais dans une émission de télé avec des personnes chargées de la censure et je leur ai demandé par curiosité : «Est-ce qu’il y a une formation pour devenir censeur·e ? ». Parce que quand t’es boulanger·ère, maçon·ne ou docteur·e, t’as une formation… Et il·elle·s l’ont très mal pris, comme si je les insultais ! Ce n’était pas du tout le cas, mais il se trouve qu’il n’y a aucune formation pour ça. Alors au nom de quoi ces gens sont habilités à savoir ce qui est bon pour moi et ce qu’il est bon de montrer ou de ne pas montrer aux enfants ?
C’est terrible ! À Hollywood il y a cette association, GLAAD, qui essaie d’obtenir les scripts avant même que les films ne soient tournés pour influencer la façon dont les personnes LGBTQIA+ y seront représentées. Il·elle·s veulent tout contrôler ce qui a trait à la représentation de l’homosexualité. Je trouve ça tellement anti-art ! T’arrive-t-il de débattre avec le·la réalisateur·rice de ton personnage, de la manière dont il doit être incarné ?
Ça dépend du·de la metteur​·se en scène. Avec Michael Haneke [Béatrice Dalle a joué dans Le Temps du loup, NDLR] par exemple, je ne proposais rien, parce que je savais qu’il avait le film dans sa tête de A à Z. Mais si le·la metteur en scène me demande d’improviser, comme Gaspar [Noé, NDLR], alors je fais tout pour le·la satisfaire. Je fais ce qu’on me demande. Tout me va, que ce soit de l’improvisation ou des choses très précises. Je ne suis pas une actrice, je suis un soldat.
Béatrice Dalle : Chemise et pantalon, Saint Laurent. Bottes, Rombaut.
J’aime cette idée ! Une warrior ! Avec quel·le réalisateur·rice as-tu eu la relation la plus conflictuelle ?
[Elle réfléchit, NDLR] Abel Ferrara ! Avec lui, c’est la bagarre tous les jours [elle cogne ses deux poings l’un contre l’autre, NDLR]. Mais c’est pas grave, parce que dès qu’il dit «Moteur ! », il devient un grand metteur en scène. J’ai dû jouer dans 90 films et je les ai tous choisis. Je n’ai jamais fait un film pour de l’argent. À chaque fois, c’était simplement parce que j’en crevais d’envie. J’aime vraiment tous·tes les metteur·se·s en scène avec qui j’ai travaillé. Si j’ai accepté, c’est parce qu’ils·elles me plaisaient.
Je pense cependant qu’il y a toujours une forme de sadomasochisme dans la relation entre un·e acteur·rice et un·e réalisateur·rice. Je dirais même que tous·tes les acteur·rice·s sont des masochistes et que tous·tes les réalisateur·rice·s sont des sadiques…
Oui ! Mais je trouve aussi que les acteur·rice·s sont des chochottes ! Les hommes particulièrement. Ils sont super fragiles. Je déteste les acteurs qui se plaignent, il y a plein de gens qui ont des vies tellement dures. On n’a pas le droit de se plaindre quand on fait un métier comme celui-là.
Je ne veux pas jouer les Barbara Walters, mais j’aimerais en profiter pour parler des hommes de ta vie. Tu sembles attirée par les mauvais garçons. Peut-être est-ce justement parce que ces hommes sont les exacts opposés de ces acteurs geignards dont tu parles ?
[Rires, NDLR] Ouais, absolument !
Comment se fait-il que la prison soit à ce point un vivier de petits amis pour toi ?
[Elle éclate de rire, NDLR] Parce que c’est un lieu très érotique ! C’est un monde de garçons donc déjà, l’atmosphère y est très particulière. Et puis je viens des rues, je fréquente des mecs pas faciles depuis que je suis petite.
Quand j’étais plus jeune, il m’est arrivé d’avoir des correspondances épistolaires avec des prisonniers. Parfois, je tombais même amoureux de ces meurtriers à qui j’écrivais…
Écrire des lettres c’est l’un des autres trucs qui font que la prison est un endroit si particulier, car ça ne se fait plus ailleurs. Maintenant, c’est des textos, c’est de la merde. Et la prison, c’est aussi un endroit où l’on ne peut rien faire, donc tout y devient extraordinaire. Le moindre petit geste volé est d’une sensualité inouïe.
Ça me fait penser à Truman Capote. Certain·e·s prétendent qu’il a fini par tomber amoureux de Perry Smith, l’un des deux meurtriers dont il relate l’histoire dans son roman non-fictionnel De sang-froid. On dit même qu’ils auraient couché ensemble en prison !
Quand tu sors avec un criminel, tous les deux mois, on te donne accès à une sorte d’appartement au sein de la prison où tu peux passer plusieurs heures avec la personne…
Tu y as déjà eu droit ?
Oui ! 480 fois !
Béatrice Dalle : Veste, Givenchy. Pantalon, Saint Laurent.
[Il bondit sur son fauteuil, NDLR] Et tu as fait l’amour à chaque fois ?!
Bah ouais [rires, NDLR] ! Dix ans de parloir ! D’ailleurs, quand tu sors avec un prisonnier, tu te rends compte que c’est comme si tu te créais aussi ta propre cellule. Tu ne sors plus, parce que tu culpabilises presque en comparant ta vie à la sienne. C’est comme si tu te mettais en prison toi-même. J’ai remarqué la même chose chez les autres femmes de détenus.
Tu sembles avoir brûlé ton adolescence par les deux bouts. Pourrais-tu m’en dire un peu plus à ce sujet ?
J’ai toujours eu l’impression d’être née adulte. Je n’avais absolument rien en commun avec mes parents. Je les remercie de m’avoir nourrie, de m’avoir habillée, mais je n’avais rien à voir avec eux. C’est la raison pour laquelle je suis partie pendant 20 ans. C’est comme si on m’avait parachutée dans une famille au hasard. Mon père est militaire, commando des forces spéciales dans la marine. C’était pas un mec gradé donc on n’était pas riches, mais je n’ai jamais eu faim. Tous les mecs de ma famille sont des militaires…
Tu as donc grandi entourée d’hommes stricts et autoritaires ?
Oui.
Et les femmes de ta famille, comment étaient-elles ? J’imagine qu’elles étaient plus effacées ?
Complètement ! C’était la caricature de ce que je ne veux pas être : une femme qui se marie. À la limite, tu te maries avec un mec riche… Mais même pas, elles, elles se mariaient avec un mec, elles avaient des enfants et voilà. Je ne les critique pas, ça leur correspondait. Mais moi, jamais !
Et où es-tu allée à 14 ans ?
À Paris, dans des squats de skinheads ou de punks.
Ça tombe bien, je voulais qu’on parle des punks. Parce que personne ne sait plus vraiment ce qu’impliquait être punk. J’ai moi-même été punk et la raison d’être des punks, c’est d’offenser, de choquer les gens.
Bien sûr ! Être punk, c’était un vrai engagement politique. Comme tes films d’ailleurs. J’ai toujours pensé que tu étais un combattant de la liberté. En ce moment, je fais un spectacle avec Virginie Despentes. On ne lit que des textes féministes, lesbiens ou anti-homophobie. Je ne suis ni noire, ni juive, ni lesbienne, mais il faut se battre pour la liberté de tous·tes.
Est-ce que tu te considères comme une anarchiste ?
Non, je suis juste une femme libre.

« J’ai dû jouer dans 90 films et je les ai tous choisis. Je n’ai jamais fait un film pour de l’argent. À chaque fois, c’était simplement parce que j’en crevais d’envie. »

Ta relation avec Virginie Despentes, c’est la relation la plus puissante qu’il puisse y avoir entre deux femmes…
Je regrette de ne pas être lesbienne, sinon je serais en couple avec elle !
Il y a toujours de l’espoir ! C’est pareil pour moi, j’aimerais pouvoir avoir des relations sexuelles avec tout le monde, les trans, les femmes… Mais je n’ai jamais couché avec une femme. J’ai dû maltraiter une femme dans une vie antérieure. Résultat, on ne m’autorise plus à les toucher ! Mon karma cosmique a été de naître gay [rires, NDLR] ! Parle-moi de ton expérience dans les squats. Il devait y avoir des histoires torrides, des orgies…
Pas du tout ! Aucune orgie ! Je suis arrivée tellement jeune que tous les mecs destroy avec qui je vivais m’ont toujours protégée. De toute façon, quand j’ai un fiancé, je ne regarde jamais ailleurs. C’est pas une histoire de morale, je m’en fous, mais c’est comme ça.
Je ne sais pas toi, mais j’ai toujours eu le sentiment que les punks hétéros étaient très conventionnels sexuellement parlant. Et que tous les skinheads étaient PD !
[Rires, NDLR] J’adore les skinheads PD ! C’est les plus sexy. Les skinheads russes et PD.
Qui ne les aime pas ? On a des points communs Béatrice [rires, NDLR] !
Je crois aussi !
Je voulais aussi te demander s’il t’est déjà arrivé de t’effondrer émotionnellement sur un plateau ? De te sentir poussée à bout par un·e réalisateur·rice ? Et est-ce que tu ramènes les émotions chez toi quand la journée est terminée, ou tu es capable de les mettre de côté ?
Non. Jamais. De toute façon, les émotions que je ressens, je ne les ramène pas chez moi, elles sont en moi. Parce que je ne peux donner que ce que j’ai. Parfois, lors de la promo d’un film, on me demande d’expliquer mon personnage. Mais je ne suis pas un personnage. Je vis mon rôle et je pense que c’est d’ailleurs pour ça que j’ai souvent de bonnes critiques sur mon travail. Je donne mon cœur et mon âme.
Il n’y a donc pas de distinction entre le personnage et l’actrice ?
Non.
Béatrice Dalle : Manteau, Junya Watanabe. Pantalon, Saint Laurent.
Penses-tu que cette capacité à être tes personnages soit liée au fait que tu choisis tes films ?
Bien sûr ! Et je pense aussi que les metteur·se·s en scène ne me choisissent pas pour me transformer. Il·elle·s savent qui je suis et ce que je peux leur donner. C’est ça qui les intéresse. Je ne suis pas une enfant qu’on déguise un jour en bergère, l’autre en fée. Ça ne marche pas comme ça. Sur un tournage, je ne joue jamais, je vis.
Y a-t-il une différence quand tu travailles avec des réalisatrices et non des réalisateurs ?
[Elle réfléchit, NDLR] Il se trouve que j’ai surtout travaillé avec des metteurs en scène gays et j’aime ça, parce que quand le metteur en scène qui te choisit est gay, il n’y a pas ce truc sous-jacent dans sa tête. C’est uniquement parce que tu lui plais en tant qu’actrice. Ce sont souvent ces metteurs en scène qui magnifient le plus les femmes. On le voit dans les films de Pasolini. Dans Théorème, Silvana Mangano, on dirait une statue grecque. Les gays sont très forts pour ça.
Absolument ! Et Patric Chiha a fait la même chose avec toi dans Domaine !
Quand j’ai tourné avec Abel Ferrara, par exemple, j’ai beaucoup aimé, mais il y avait quand même une espèce de petite séduction. Je n’ai pas le temps pour ça. Je crois que 80 % des metteurs en scène avec qui j’ai tourné sont gays. Et vraiment, je vois la différence.

Quatre-vingt pour cent ! Je veux des noms ! Non je plaisante, je sais qu’il y a aussi Christophe Honoré, Gaël Morel…
Mais tu sais, c’est comme dans ma vie : je suis sortie avec plus de gays que d’hétéros !
C’est intéressant ! Tu es la Judy Garland française [rires, NDLR] ! Pour revenir aux mauvais garçons, comment était-ce de travailler avec Vincent Gallo [ils·elles ont joué ensemble dans le film Trouble Every Day de Claire Denis, NDLR] ?
C’est un acteur incroyable. Il est très spécial, il a un vrai traumatisme. Je le connais depuis 30 ans, je sais qu’il dit plein de choses qui choquent les gens, mais j’en ai rien à foutre. Il est intriguant, il est singulier. Sur le plateau, il ne parlait à personne, sauf à Claire [Denis, NDLR], parce qu’ils sont ami·e·s. Avec moi, il a passé tout le tournage comme ça, accroché à ma jambe [elle mime le geste, NDLR]. Je suis très attachée à ce gars-là, je l’aime infiniment.

« Souvent, quand on parle de l’homme viril, on imagine le bûcheron canadien. Mais pour moi un homme viril, c’est d’abord un homme qui assume tout ce qu’il est. Quoi qu’il fasse. »

En tout cas, lui il n’est pas gay ! Mais bon, il porte souvent des vêtements de femme donc on va dire que c’est un gay honoraire [rires, NDLR], même si certain·e·s l’accusent d’être homophobe…
[Rires, NDLR] Ça me fait penser à un truc que j’ai toujours trouvé très bizarre ! Je sors souvent avec des gays, comme en ce moment, par exemple. Et ce sont justement les PD qui nous font des reproches ! C’est très étrange ! Avant, quand je sortais avec JoeyStarr, qui est Noir, ce sont les autres Noirs qui me disaient des trucs du genre : « T’es une pute à blacks ! ». Mais je m’en fous, parce que je n’ai jamais fait de différences. Je suis sortie avec plein d’homos et c’était très bien. Je n’ai pas envie de me mettre des barrières. Je prends l’amour comme il vient.
C’est la même chose pour moi [rires, NDLR] ! Tu sais, j’ai réalisé deux films porno gays dans lesquels les acteurs couchaient avec des femmes. C’était presque un film expérimental. Les acteurs testaient eux aussi leurs limites. Mais le porno, c’est une performance sexuelle, donc pourquoi ne pas essayer de performer avec une femme ? C’est un jeu d’acteur·rice. Ça me fascine, parce que je me suis toujours considéré comme un hétéro refoulé. Et toi, qu’en est-il de tes expériences avec des gays, qu’est-ce qui te plaît tant chez eux ?
Souvent, quand on parle de l’homme viril, on imagine le bûcheron canadien. Mais pour moi, un homme viril, c’est d’abord un homme qui assume tout ce qu’il est. Quoi qu’il fasse.
Et tu penses que les mecs gays assument davantage qui ils sont ?
Ceux qui ont fait leur coming out oui, complètement ! Mon amoureux du moment par exemple, dont je te parlais, est gay et prostitué et il assume tout ce qu’il fait ! Il me dit tout. Donc j’ai entièrement confiance en lui. Qu’il se prostitue, je m’en fous. Ce qui compte, c’est que quand je suis avec lui, je suis bien.
Moi aussi, j’ai eu des copains qui se prostituaient. Et même s’ils baisaient tout le temps avec d’autres gens, je savais que quand ils rentraient à la maison, je devenais le seul et l’unique.
C’est absolument ce que je pense !
Béatrice Dalle : Chemise, Saint Laurent.
Je ne sais pas si c’est le cas en France, mais au Canada et aux États-Unis, il y a une sorte de néo-puritanisme. J’ai des amies féministes que je connais depuis des années, par exemple, qui pensent tout d’un coup qu’un mec de 40 ans qui sort avec une fille de 18 ans, ça ne peut qu’être le signe d’un déséquilibre de pouvoir. C’est une manière très étroite d’envisager la sexualité et l’attirance sexuelle, selon moi. Une personne beaucoup plus jeune que toi peut te trouver attirant·e pour plein de raisons.
Je suis toujours sortie avec des mecs plus jeunes. Et mon mec actuel a 27 ans, donc je te laisse imaginer les conneries qu’on peut entendre !
Moi en ce moment, je sors avec un mec de 25 ans. On me dit constamment qu’il est avec moi par intérêt, pour obtenir un rôle dans un de mes films. Et alors ? Où est le problème ? Je ne comprends pas… Au fait, as-tu des films à venir ?
Oui ! Je serai dans le prochain film de Patric Chiha ! Et dans celui de Fabrice Du Welz.
J’adore Fabrice Du Welz ! Je l’ai rencontré au Festival international du film de Toronto, il est incroyable ! Okay, Béatrice. C’est tout ce que je voulais savoir [rires, NDLR] ! Et je suis certain qu’on travaillera bientôt ensemble !
J’en rêve !
Je le sens ! C’est écrit dans le ciel !
I love you Bruce !

 

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