Sous ses airs inoffensifs, la marque de « skincare pour enfants » lancée par l’actrice et entrepreneuse Shay Mitchell transforme le soin en jeu et le jeu en apprentissage esthétique. Suivie par plus de 35 millions de personnes, elle incarne une influence capable de façonner des imaginaires entiers: ceux de l’enfance, de la beauté et de la valeur de soi.
Shay Mitchell, connue pour son rôle dans Pretty Little Liars, a lancé le 6 novembre 2025 la marque Rini, une ligne de soins inspirée de la K-beauty et pensée pour les enfants dès trois ans. La gamme comprend des masques hydrogel hydratants, des soins après-soleil ou apaisants, vendus sous forme de patchs illustrés de pandas, de licornes ou de chiots. Tout paraît léger : c’est coloré, ludique, « éducatif ».
Mais derrière cette apparente bienveillance se dessine un déplacement culturel. En empruntant les codes du jouet pour vendre des produits de beauté, Rini brouille la frontière entre plaisir et performance. Ce qui semble anodin devient une première initiation à l’idée qu’une peau peut, ou doit, être améliorée. C’est là que le risque s’installe : quand l’enfance apprend déjà à se comparer, à se juger, à corriger ce qui n’a pas encore eu le temps d’exister.
Le phénomène s’inscrit dans ce que les réseaux appellent aujourd’hui les « Sephora Kids : des enfants et pré ado-les-cent-e-s captivé.e.s par les routines d’adultes popularisées sur Tik Tok depuis 2023-2024, devenu·e·s un symbole générationnel en 2025. Et si la K-beauty a inspiré cette vague par sa douceur et sa logique de prévention, transposée à l’enfance, elle crée une ritualisation précoce de la perfection où apprendre à se protéger se confond avec apprendre à se corriger.

S’y ajoute une fracture sociale de plus en plus visible. Ces produits, souvent vendus à des prix élevés pour des soins non essentiels, ne sont accessibles qu’a une minorité d’enfants dont les parent·e·s disposent d’un certain confort économique. Le skincare pour enfants ne crée pas seulement une nouvelle habitude de consommation: il renforce une hiérarchie symbolique entre celleux qui peuvent « prendre soin » d’elleux-mêmes et celleux qui n’en ont pas les moyens.
Ce glissement est lourd de sens : il fait du soin un marqueur de statut, et de la simplicité un manque. En filigrane, il ajoute une pression économique et morale sur les familles, déjà exposées aux injonctions de bien-être et de « bonne parentalité ». Ce qui devrait relever du jeu ou de la tendresse devient une nouvelle dépense, un signe extérieur d’attention voire d’amour.

Les dermatologues rappellent pourtant que les soins adaptés à l’enfance se limitent à protéger, nettoyer, hydrater. Au-delà, les bénéfices cutanés ne sont pas démontrés, tandis que la pression esthétique et les irritations sont bien réelles.Et même si la marque ne le revendique pas, l’imaginaire qu’elle mobilise demeure très genré : couleurs pastel, iconographie animale, narratif autour de la douceur. Les enfants qui ne se reconnaissent pas dans ces codes – garçons, enfants trans, non-binaires ou simplement en décalage avec cet univers – peuvent s’y sentir exclu.e.s. Ce qui prétend célébrer la tendresse universelle finit par reproduire une norme étroite de beauté et d’appartenance. Ces débats divisent souvent à tort : il ne s’agit pas d’être « pour » ou « contre » le skincare, mais de réfléchir à ce qu’on transmet. Quand on parle à des millions de personnes, on parle aussi à une génération entière. Et si l’influence de Shay Mitchell est immense, c’est peut-être l’occasion d’en faire un rappel : le soin ne devrait jamais apprendre la perfection, mais la confiance.
