Valérie Donzelli, cinéaste de l’amour (avec un grand A)

Article publié le 1 décembre 2015

Art

Texte : Violaine Schütz

Mercredi 2 décembre, l’actrice et réalisatrice qui a mis le monde du cinéma à ses pieds avec le puissant La Guerre est déclarée, sortira Marguerite et Julien, son nouveau film au thème sulfureux, qui raconte la liaison (vraiment arrivée au début du XVIIe siècle) entre un frère et une sœur. Mais le vrai sujet du film, c’est l’amour, impossible, violent et fort, traité comme une maladie dont on ne peut sortir indemne. On dit des grands réalisateurs qu’ils font toujours le même film. Dans ce cas, Valérie est une grande, qui dans chacun de ses longs métrages n’a cessé d’explorer ce sentiment, son intensité, sa folie. Un sentiment, qui au vu des événements des dernières semaines, semble être le dernier rempart contre la haine. Propos recueillis par Violaine Schütz.

Après le projection presse de Marguerite et Julien, Valérie s’assoit, elle a passé une dure journée. Et s’en excuse. De dures semaines, à l’image de Paris ? Depuis des semaines, l’amour est brandi tel un remède (refuge) contre un état proche de la guerre. Son film tombe à pic. Il raconte l’histoire de la passion , dévorante et incontrôlable unissant Julien (Jérémie Elkaïm) et Marguerite de Ravalet (Anaïs Demoustier), fils et fille du seigneur de Tourlaville (un fait divers réel, ayant eu lieu au XVIIe siècle). Une aventure qui scandalise la société qui les pourchasse et va les conduire à leur perte.

Peux-tu nous parler de la genèse de ce film ?
L’intrigue de Marguerite et Julien s’inspire d’une histoire vraie, celle de Julien et Marguerite de Ravalet, qui avaient défrayé la chronique au début du XVIIe siècle en entamant une relation incestueuse mais je ne connaissais par leur existence. J’ai découvert leur légende quand on m’a offert le scénario de Jean Gruault destiné à l’origine à François Truffaut, publié en 2011. (Truffaut a refusé le projet, jugeant le sujet trop à la mode au début des années 70, période de la libération sexuelle, ndr).

Qu’est-ce qui vous a plu dans cette histoire ?
Elle faisait écho à des thèmes qui me sont chers et que j’avais déjà traité dans mes précédents films, comme La Reine des Pommes ou La Guerre est déclarée. Et puis après avoir fait dans l’autobiographie dans mes longs-métrages précédents, j’avais besoin de m’éloigner de moi-même. Cette histoire semblait dans la continuité de mes obsessions, sans parler de moi. J’avais envie de raconter autre chose que ma vie, et le fait que ce soit une histoire vraie m’a aidé à aborder le thème de l’inceste, auquel je n’aurais pas osé sinon, pensé.

Pourquoi n’avoir pas choisi un film historique, en mélangeant les époques et en multipliant les anachronismes ?
Parce que l’amour est un sujet éternel. Et qu’il y a bien meilleurs réalisateurs que moi pour reconstituer des faits historiques. Ce qui m’intéressait c’était le mythe, la légende. C’est pour ça que la liaison entre le frère et la sœur sont racontées dans le film par une jeune femme, dans un orphelinat. Il s’agit d’une rumeur, d’un ragot sur deux personnages qu’on peut voir comme des rock stars, des « héros » modernes, des fantasmes, des gens traqués. Il existe plusieurs versions des faits, d’ailleurs.

C’est la première fois que vous faites un film avec un aussi gros budget ?
Oui on a eu 5/6 millions pour le faire, onze semaines de tournage, un casting comprenant Géraldine Chaplin et Sami Frey…beaucoup d’acteurs, de figurants. Je voulais faire le film le plus beau possible, surtout que c’est rare qu’on donne autant d’argent à des femmes pour faire des films. Et c’est quand même cool de se dire qu’on vit dans un pays prêt à financer un film traitant de l’inceste, un sujet pas franchement commun ! Pour ça, ça fait du bien de vivre en France.

On est souvent dans l’univers du conte, fan de Jacques Demy ?
Oui et au départ, j’avais écrit une comédie musicale, mais ça ressemblait trop à Peau d’Âne. Mais j’ai surtout regardé des films de Pialat, pendant que je tournais, qui n’avaient rien à voir avec Marguerite et Julien, mais m’ont beaucoup appris, apporté.

Le regard que vous portez dans ce film, semble très féminin….
Oui, c’est une femme qui raconte l’histoire dans l’histoire, au sein de l’orphelinat. Et quand j’ai lu le scénario de Gruault, c’est le personnage de Marguerite qui m’a surtout intéressé. C’est une femme libre, insoumise, moderne, qui résiste aux assauts physiques de son mari, qu’elle a été forcée d’épouser. Il y a cette idée que son corps lui appartient, et que j’avais envie de filmer.

Vous semblez obsédée par l’idée de l’amour qui se vit comme une maladie, intense et passionnel, dans vos cinq films en tant que réalisatrice (si on compte celui pour Arte) ?
Oui, c’est vrai, et là, je voulais parler de grands sentiments, d’aventure, de nature, de quelque chose de vaste, de grand, et cette histoire d’amour impossible se prêtait à ça. Je voulais tourner des images audacieuses, romantiques, romanesques, le vent, les falaises…C’est l’amour qui m’intéressait chez ce couple, pas le sujet sulfureux de l’inceste. L’amour est à la fois la maladie et le remède. Il fait souffrir et soulage en même temps.

En fait on parle d’inceste, mais on parle de n’importe quel amour différent, non ?
Je n’aimais jamais de regard moralisateur sur l’inceste, et je n’ai pas voulu choquer. Ce qui m’intéressait c’était la question de la différence. Qu’est-ce que c’est de vivre un amour jugé anormal, de braver les interdits, l’impossible, le jugement des autres, quitte à se blesser gravement ou à en mourir. C’est difficile de s’identifier à une liaison entre deux membres de la même famille, peu de gens l’ont vécues, par contre beaucoup de monde peuvent comprendre le déchirement de la passion, le fait d’éprouver des sentiments sauvages, forts et compliqués qui les dépassent. C’est malheureusement bien plus répandu.

Marguerite & Julien
De Valérie Donzelli, avec Anaïs Demoustier et Jérémie Elkaïm
Sortie le mercredi 03 décembre

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