Rencontre avec Moyo, collectionneur de magazines fétichistes vintage

Article publié le 28 avril 2023

Art

Texte : Maxime Retailleau. Photos : Moyo.

Abraham Toledano, alias Moyo, a accueilli l’équipe d’Antidote au sein de son appartement parisien, où il rassemble une impressionnante collection de livres et magazines fétichistes vintage, notamment japonais et datant principalement des années 1950 aux années 1980. C’est aussi là qu’il accueille ses client·e·s prêt·e·s à faire le déplacement, dont Kanye West, sur fond de musique psychédélique japonaise, pour leur faire découvrir ses multiples trésors et leur raconter leur histoire, qu’il connaît sur le bout des doigts.

MAXIME RETAILLEAU : Après avoir mené différents projets musicaux, tu gagnes aujourd’hui ta vie en revendant des magazines érotiques vintage. À quel moment as-tu décidé d’en faire ton métier ?
MOYO : Mon « métier », c’est un bien grand mot. Avant, j’avais monté plusieurs labels de musique et j’organisais des soirées. Puis j’ai commencé à découvrir les magazines érotiques japonais et j’ai eu un plan pour acheter un lot. J’avais déjà réussi à en acheter quelques-uns, à gauche, à droite, et lorsque j’ai eu le lot, j’ai eu des doubles, et je ne savais pas trop quoi en faire. Donc je me suis dit : « Bon, je vais essayer de les revendre. » Le problème, c’est que je n’ai jamais fait partie de la scène fétichiste et je ne connaissais personne, donc j’ai créé une page Instagram. Puis avec le confinement, ça a explosé. Les gens se faisaient chier, ils avaient de l’argent à dépenser, ils étaient frustrés, et tout le monde s’est lancé dans des collections. Ça a été la même chose pour les disques, leur prix a explosé à ce moment-là.
Ta collection comprend beaucoup de magazines japonais. Qu’est-ce qui t’as tout particulièrement attiré vers eux ?
À la base, je collectionnais beaucoup les bouquins japonais : des livres de graphisme, de design, et des ouvrages érotiques. J’ai de l’amour pour l’esthétisme japonais, pour l’illustration japonaise et aussi pour la mise en page.

Moyo : « Le nombre de magazines BDSM qui existent là-bas est incalculable. »

Ces magazines érotiques collaboraient fréquemment avec de grands artistes, qu’ils soient photographes ou illustrateurs, comme Araki, Namio Harukawa, Hajime Sorayama, Toshio Saeki ou encore Pater Sato. C’est une particularité de la scène éditoriale érotique japonaise ?
Ce n’est pas le cas de tous les magazines japonais, seulement de ceux qui sont devenus cultes. Par exemple, Araki travaillait beaucoup pour SM Sniper. Donc dans presque tous les SM Sniper, à partir d’une certaine date, quasiment au début de sa publication, il y avait cinq ou six pages avec des photos d’Araki. On retrouve aussi ce type de collaborations sur des magazines considérés comme artistiques mais qui n’étaient pas spécialisés en BDSM, même s’il pouvait y en avoir. Le meilleur exemple, c’est Le sang et la rose, auquel tout le monde a participé : Mishima, Kishin Shinoyama, Terayama… Mais ça a été fait par un critique d’art japonais et un écrivain, donc c’est aussi quelque chose de complètement différent, même si ça pouvait dériver sur du fétichisme, parce que le fétichisme est très présent au Japon. Le nombre de magazines BDSM qui existent là-bas est incalculable.
Comment expliques-tu la richesse de l’imagerie érotique japonaise, qui comprend d’ailleurs de nombreuses spécificités, dont l’ero-guro (qui mêle le sexe à la violence voire à la morbidité, avec une dimension souvent grotesque) et les mises en scène de pieuvres dans un contexte sexuel ?
Les femmes qui couchent avec les pieuvres, ça fait partie de la culture japonaise depuis environ 1730. Ça existe depuis très longtemps, et c’était aussi le début de l’ero-guro, qui est né avec ce genre d’estampes et s’est inspiré de récits de bataille par des écrivains, et aussi du marquis de Sade. Puis ce mouvement est revenu plus récemment, avec Toshio Saeki et Suehiro Maruo, et a perduré jusqu’à la fin des années 90.
Est-ce qu’il y a eu un « âge d’or » des magazines érotiques japonais, avant l’arrivée d’Internet je suppose ?
Oui, les années 70 c’était vraiment l’âge d’or des magazines BDSM japonais. Il y en a toujours, mais ils ont un peu perdu en qualité, et en budget aussi, à mon avis. Dans les années 80, ça se vendait encore bien, mais vers le milieu des années 90, à partir du moment où on a commencé à avoir de la photo numérique, les chiffres ont chuté.
Les gens n’étaient plus obligés de développer les pellicules, il n’était plus nécessaire que ce soit fait de manière professionnelle. J’aime bien ce qui est amateur, mais forcément, ça a perdu en qualité. Les disques de punk, c’est la même chose. Si t’écoute des disques des années 70, généralement ça sonne bien, il y a toujours quelqu’un qui sait faire un mastering. Mais à partir du moment où les artistes ont commencé à enregistrer eux·elles-mêmes, dans les années 90, ça a commencé à se dégrader.
Est-ce qu’il y a des magazines érotiques contemporains que tu trouves intéressants ?
Pour être tout à fait honnête, non [rires, NDLR]. Après, je ne connais pas très bien le sujet, mais ce que j’ai vu ne m’a pas plus intéressé que ça. Je n’ai pas un grand intérêt pour l’esthétique et la mise en page des années 90. Il y a un énorme retour à ce genre de choses, mais elles ne me touchent pas.
Combien de magazines possèdes-tu aujourd’hui, environ ?
Entre 1 000 et 2 000, je ne sais pas exactement.
Lesquels gardes-tu pour toi ?
Je voudrais commencer à faire de la publication basée sur ma collection, donc suivant les thèmes que j’ai envie de rééditer, je garde certaines choses, que je revendrai peut-être dans un deuxième temps seulement. La première publication, ce sera uniquement sur les lesbiennes au Japon, dans les années 70. La deuxième, ce sera sur les magazines gays japonais des années 70, à nouveau. La troisième, ce sera sur un fétichisme de femmes qui se rasent la tête. Donc ce sera sur des thèmes hyper spécifiques. Et j’aimerais bien en faire une sur les gangs de motards Bōsōzoku. Il y a plein de trucs que je collectionne pour moi, que j’accumule, mais collectionner pour collectionner, au bout d’un moment ça ne sert à rien, il faut que j’en fasse quelque chose. En ce moment, du coup, je cherche beaucoup les magazines gays et lesbiens japonais des années 70, qui sont compliqués à trouver… En fait, ils sont interdits à la vente internationale sur Buyee, l’équivalent japonais d’eBay, donc on ne peut pas vraiment les acheter dessus et les faire livrer directement ici. Mais j’ai un contact au Japon, avant il m’achetait des disques et aujourd’hui il me trouve des magazines fétichistes.
Pourquoi sont-ils interdits à l’export sur ce site ?
Le Japon est très bizarre en ce qui concerne la censure, on n’arrive jamais vraiment à comprendre ce qui est censuré et ce qui ne l’est pas. Il y a des choses hyper extrêmes qui ne sont pas censurées et d’autres qui le sont alors qu’elles paraissent banales.
J’ai vu que les parties génitales sont systématiquement censurées par exemple.
Oui, ça c’est toujours coupé.
Par contre, on peut voir une femme coucher avec une langoustine géante ou avec des monstres.
Oui, mais ça va plutôt être des illustrations, où les possibilités sont infinies. Mais même dans la photo, il peut y avoir des choses hyper trash, où seul un tout petit élément se retrouve censuré.
Et comment tu expliques ce paradoxe ?
Je pense que c’est une sorte d’hypocrisie. Il y a eu des règles de censure aussi. Il y avait des boutiques entières consacrées aux magazines érotiques, mais si les flics débarquaient et trouvaient un magazine qui n’était pas censuré comme il le fallait, ils pouvaient fermer le magasin. Donc les gens ont pris peur et ont commencé à tout censurer. J’ai pas mal de magazines américains qui viennent du Japon, parce qu’ils étaient importés, puis les libraires les censuraient eux·elles-mêmes. Il·Elle·s recevaient peut-être des milliers de magazines et il·elle·s les feuilletaient entièrement, un à un, avec des marqueurs, pour faire des sortes de gros carrés sur les parties génitales et sur tout ce qui leur faisait un peu peur.
J’ai d’ailleurs toute une partie de ma collection qui est basée sur la censure. Il y a plein de magazines qui prennent des photos porno en noir et blanc qui datent de 1920 environ, et ils font juste en sorte d’inverser les couleurs. On voit tout ce qui s’y passe, mais ils estiment que c’est censuré. Il y a plein de types de censure, c’est intéressant graphiquement.
Tu t’es fait supprimer plusieurs fois ton compte Instagram pro, qui s’appelle actuellement @fetishmagforsale2. As-tu fini par trouver un moyen de contourner la censure, toi aussi ?
Oui, après cinq ans d’extinction de comptes, au bout du dixième, j’ai enfin trouvé une feinte [rires, NDLR]. J’ai beaucoup de client·e·s qui viennent d’Instagram, donc c’était comme si j’avais une boutique physique et qu’on me la fermait, c’était vraiment chiant. Maintenant, c’est tout con mais j’héberge toutes les photos risquées sur des comptes Instagram parallèles, qui sont faits pour mourir, et je mets des liens.
Tes client·e·s sont des collectionneur·se·s, ou plutôt des personnes qui achètent juste quelques magazines, un peu par hasard ?
Il y a de tout. J’ai des client·e·s très récurrent​​·e·s, par exemple il y en a deux qui m’achètent tous les magazines gays japonais que j’obtiens, dès que je les reçois. Mais de temps en temps, il y en a que je mets malgré tout en vente sur le site, alors je leur explique : « Les gars, je peux pas tout vous vendre, faut quand même que j’alimente un peu la page. » Mais j’ai tous types de client·e·s. Il y a pas mal de tatoueur·se·s, qui m’achètent des magazines parce qu’il y a beaucoup d’illustrations, du coup il·elle·s s’en servent pour faire des flashs. Il y a pas mal de dominatrices aussi, je pense qu’elles les achètent pour les mettre dans leur donjon. Il y a des gens de la mode, des graphistes, et parfois juste des gens qui s’encanaillent un peu.

Moyo : « Kanye est en train de fouiller dans ma collection personnelle. Je lui dit : “Non, par contre mec, ça c’est pas à vendre”. Il me répond : “Donne-moi ton prix”.»

T’as aussi vendu des magazines à Kanye West, qui est venu chez toi il y a quelques années. Comment est-ce qu’il t’a découvert ?
C’était assez drôle. J’ai une amie d’amie qui est créatrice de mode et a été contactée un jour pour travailler pour Yeezy. On avait déjà discuté, elle savait à peu près ce que je faisais, et elle m’a dit qu’elle aimerait bien passer à l’appart’ pour voir la collection. Elle est venue et m’a dit : « Est-ce que ça te dérange si je prends des photos ? Je pense que ça peut plaire à Kanye. » Je lui ai dit : « Non, fais ce que tu veux. » La semaine suivante, elle m’appelle en disant : « Bon, je lui ai montré, on est à Paris, il aimerait vraiment venir. Est ce que tu peux nous recevoir chez toi ? ». Je lui ai dit : « Bah ouais bien sûr, passez, il n’y a pas de problème. » Donc elle est censée passer, j’attends toute la matinée, mais je n’ai pas de nouvelles et je devais me faire un resto avec une amie. En petit con, je me dis : « Bon, je vais au resto, on verra bien, ils appelleront quand ils appelleront. » Donc je vais déjeuner, on picole un peu, et là ils m’appellent et disent : « Bon, on est là dans 5 minutes. » Je suis là : « Merde, je ne suis pas chez moi, laissez-moi une demie heure, j’arrive. » Donc je suis un peu en panique, je prends des bouteilles de vin, j’arrive à la maison en express et mets tout en place. Puis je n’ai plus de news pendant trois heures, et là je me dis : « Putain, t’es un blaireau, est-ce que t’avais vraiment besoin d’aller au resto ce jour-là ? T’aurais pas pu simplement attendre ? ». Du coup, on est là avec ma pote et on se dit : « Bon bah, on va siffler le vin » [rires, NDLR]. On commence à boire, puis finalement la créatrice de mode appelle et me dit : « Désolé, j’avais oublié mon téléphone dans une galerie, on est là dans 10 minutes. » Ma pote et moi on était bourré·e·s… Puis ça toque à la porte, Kanye est avec quelqu’un, peut-être son agent. Et il y avait un autre monsieur, Français, d’une soixantaine d’années, avec son fils, qui avait une dégaine de skateboarder. Puis tout le monde commence à regarder les magazines. Je mets de la musique et Kanye danse à moitié, c’est folklo. Ça dure au moins trois heures, et au bout d’un moment il me demande : « Il y a un mec qui doit venir pour filmer, ça ne te dérange pas d’aller le chercher en bas ? ». J’y vais et quand je reviens, Kanye est en train de fouiller dans ma collection personnelle. Je lui dit : « Non, par contre mec, ça c’est pas à vendre. » Il me répond : « Donne-moi ton prix. »
Il t’en a acheté beaucoup ?
Oui, quand même…  Et ce n’était pas que des magazines, il y avait aussi des bouquins. Je lui ai fait un carton que j’ai déposé à son hôtel. Ça m’a payé mon premier et unique voyage au Japon. Le lendemain, j’avais quasiment tout changé en yen, en mode : « Bon, je n’ai plus le choix, je suis obligé de partir maintenant. »
Trop bien ! Tu as trouvé beaucoup de magazines sur place ?
Oui, il y avait des trucs que je voulais acheter depuis un moment, je savais à peu près où les trouver. J’ai fait les boutiques tous les jours, je me suis lâché. J’en ai ramené environ 80 kilos.

Moyo : « Il y a des gens qui vivent dans de fausses chambres de bébé en latex, ils se font des landaus taille adulte, des barboteuses…»

Tu as pu rencontrer certain·e·s fondateur·rice·s de magazines au passage ?
Il·elle·s sont impossibles à rencontrer. Les trois quart du temps, on ne sait même pas de qui il s’agit – parfois c’était un peu la mafia d’ailleurs –, à part peut-être pour AtomAge, parce que le mec est mythique [son fondateur, John Sutcliffe, avait également monté une marque de vêtements en cuir, vinyle et caoutchouc, NDLR].
Tu possèdes des magazines fétichistes hyper spécifiques, comme Shave, qui montre uniquement des femmes en train de se raser ou de se faire raser par quelqu’un. Est-ce que tu as d’autres publications dédiées à des fétiches très précis ?
Il y a plusieurs magazines dédiés au shaving, c’est un kink qui a existé un peu partout. Parmi les trucs les plus marrants, il y a notamment un magazine allemand qui s’appelle Baby Goom. Goom, c’est un magazine spécialisé dans le fétiche du rubber et du latex, et Baby Goom c’est pareil, mais avec des adultes qui portent des habits de bébé, tout en latex donc. J’en avais plein, mais un jour ça m’a mis un peu mal à l’aise et je ne les ai pas gardés. En fait, au-delà des habits, c’est drôle parce qu’il y a donc des gens qui ont investi là-dedans, il y a des manufactures qui font des couches de bébé mais taille adulte, en latex. Ce sont des objets très compliqués à produire, c’est un savoir-faire vraiment spécifique, n’importe qui ne peut pas se lancer là-dedans. Il y a des gens qui vivent dans de fausses chambres de bébé en latex, ils se font des landaus taille adulte, des barboteuses…
Il y a aussi un magazine anglais marrant, qui s’appelle Splosh. C’est un magazine fétichiste avec des gens recouverts de bouffe, genre food fight. Donc t’as des meufs qui vont être recouvertes de mayo avec de la tarte sur un côté, de la pizza sur l’autre. C’est un peu la cantine qui dégénère. Et il y a plein d’autres fétiches spécifiques.

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