« Please Baby Please », le nouveau film camp et queer d’Amanda Kramer à voir sur Mubi

Article publié le 31 mars 2023

Art

Texte : Henri Delebarre.
Photos : « Please Baby Please », d’Amanda Kramer.

Présenté en janvier 2022 au Festival international du film de Rotterdam et sorti fin 2022 aux États-Unis, le long-métrage déjanté d’Amanda Kramer avec Harry Melling, Andrea Riseborough, Karl Glusman ou encore Demi Moore déconstruit les mythes de la virilité et de la féminité et interroge les normes de genre à travers une satire sociale colorée et théâtrale, évoquant tant « West Side Story » que certains films de John Waters, James Bidgood ou encore Kenneth Anger. Il est disponible en exclusivité sur Mubi, à partir de ce vendredi 31 mars.

Please Baby Please débute comme un mauvais rêve. Jeune couple marié vivant dans le Manhattan des années 1950, Suze (Andrea Riseborough) et Arthur (Harry Melling) sont sur le point de rentrer chez eux lorsque, sur le trottoir d’en face, juste devant la porte d’entrée de leur immeuble, les membres d’un gang en blousons noirs, baptisé « Young Gents », surgissent d’une ruelle sombre et brumeuse, pour abattre froidement sous leur yeux médusés un autre couple se trouvant au mauvais endroit, au mauvais moment. Tétanisé·e·s face à cette scène, Arthur et Suze en ressortent chamboulé·e·s et bizarrement excité·e·s. Inquiet·ète·s de revoir surgir les Young Gents, auxquels il·elle ont été contraint·e·s de révéler leur numéro d’appartement, les deux protagonistes sont en même temps confronté·e·s à une multitude de questionnements intérieurs, tant sur leur sexualité que sur leur rôle à jouer dans la société.

Réalisé par Amanda Kramer, jusqu’alors connue pour ses courts-métrages, ce film aussi queer que camp, situé par la critique quelque part entre la comédie musicale West Side Story, Cry-Baby de John Waters, le cinéma de Kenneth Anger et Pink Narcissus de James Bidgood (pour ses couleurs kitsch et ses décors do-it-yourself), déroule une réflexion sur l’identité sexuelle et les normes de genre à travers des personnages interprété·e·s par un casting cinq étoiles, à l’allure parfois pathétique, et au crâne souvent fêlé ; qui leur permet, pour paraphraser Michel Audiard, d’y faire passer la lumière.
Connu pour son rôle de Dudley Dursley, le cousin jaloux d’Harry Potter dans l’adaptation au cinéma de la saga de J.K. Rowling, Harry Melling, dans le rôle d’Arthur, se livre au cours du long-métrage à des réflexions philosophiques sur sa position d’homme et ses obligations d’époux, tout en étant troublé par le désir et l’attirance qu’il éprouve pour l’un des bad boys des Young Gents, campé par l’acteur Karl Glusman, qui avait notamment joué dans Love de Gaspar Noé, The Neon Demon de Nicolas Winding Refn et Nocturnal Animals de Tom Ford.
De son côté, Suze, avec son maquillage et sa choucroute improbables, se rêve en femme puissante et virile, grisée par la violence à laquelle elle a été confrontée. Parfois inquiétante et poussant de temps à autre des aboiements impromptus, celle qui est incarnée par une Andrea Riseborough époustouflante (par ailleurs nommée cette année pour l’Oscar de la meilleure actrice pour son rôle dans To Leslie) demande ainsi à son amie Ida (Alisa Torres) : « Que doit faire une femme pour être respectée ? ».
Émaillé de nombreuses réflexions métaphysiques sur la binarité de genre et la dichotomie que celle-ci implique – symbolisée tout au long du film par ce que certain·e·s appellent désormais un « éclairage bisexuel », mêlant le bleu et le rose –, Please Baby Please séduit par la beauté de ses scènes, qui se succèdent comme des tableaux à la composition savamment orchestrée. À l’instar de celles, parfois loufoques, transposant les rêves BDSM de Suze, tantôt vénérée par les Young Gents, tantôt marquée sur la fesse, par leur leader (Karim Saleh), avec un fer à repasser.
Sorti aux États-Unis en octobre 2022 et désormais disponible en exclusivité, en France, sur la plateforme de streaming Mubi, Please Baby Please se sert ainsi de la forte charge sexuelle qu’il dégage et des questionnements identitaires qu’il soulève comme d’un fil rouge, avec ses dialogues philosophiques et poétiques, truffés de sous-entendus, et sa musique suggestive, jouée au saxophone. Décortiquant et analysant les rapports de domination, Please Baby Please livre plus largement une réflexion sur un monde dans lequel chacun·e est enjoint·e à s’adonner à une performance permanente.
« Quel chef d’œuvre que l’homme », déclare le père d’Arthur, citant Hamlet lors d’une conversation téléphonique avec son fils. De Shakespeare, Amanda Kramer reprend également la notion baroque de Theatrum mundi, du monde comme théâtre, dans lequel chacun des personnages est contraint·e de jouer le rôle qui lui a été assigné, tout en essayant de le fuir. « Il voulait qu’on ait peur de sa masculinité pour éviter d’avoir peur de la nôtre », déclare ainsi Suze à son mari, tentant de justifier un acte violent et inattendu, qui semblera la libérer, autant qu’il aidera son mari à s’affirmer tel qu’il est vraiment. 
Please Baby Please est actuellement disponible sur la plateforme de streaming Mubi. 

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