Le journaliste Laurent Goumarre fait partie de ces figures solides du paysage audiovisuel, aussi présents dans les médias que discrets dans les pages des magazines. L’ancien khâgneux devenu sous l’impulsion de Laure Adler un expert de la danse, principalement connu des téléspectateurs pour avoir créé puis animé le très bon Entrée libre sur France 5 présente maintenant Le nouveau rendez-vous, du lundi au jeudi à 21h sur France Inter. Ce fou de culture au sens large (il confesse volontiers une ancienne addiction à Amour, Gloire et beauté), est aussi addict à la mode (notamment à Dries Van Noten) et a été quelques années durant le rédacteur en chef du magazine Antidote. On sait moins de lui qu’il est aussi un collectionneur d’art aguerri et presque obsessionnel, accumulant sans relâche dans son appartement du 10eme arrondissement. Il nous a ouvert les portes de chez lui, pour une conversation sans fausse pudeur autour des objets, de l’art et de la culture, avec la psychanalyse en toile de fond.
Votre appartement croule sous les objets ! C’est magnifique, mais n’est-ce-pas un peu trop pour un petit logement parisien ?
C’est presque envahissant, car en plus j’aime les choses qui prennent de la place. Je loue même un box dans lequel j’entrepose la moitié des œuvres qui ne sont pas ici. Quand je commence à m’intéresser à un artiste, un mouvement, ça devient presque obsessionnel et ça se transforme vite en collection.
On devient collectionneur quand les œuvres qu’on a dépassent le cadre de la décoration de sa maison ou bien qu’elles sont au-delà de vos moyens. Moi je suis presque victime de ce que je mets en place, et j’en suis aussi une victime financière ; je me mets en danger. J’en ai tellement que ma collection a fait l’objet d’une expo au Centre d’art de Montpellier.
C’est de la pure accumulation.
Au milieu de l’appartement, j’ai une pièce qui ne sert à rien, qui est consacrée aux objets. Quand je deviendrai psychanalyste, ce que je souhaite un jour, ce sera ma salle d’attente !
Comment décririez-vous votre collection ?
Déjà, elle ne correspond absolument pas à des critères de marché, tout est basé sur des goûts très personnels. Disons que ce qui me correspond dans l’art n’est ni l’abstraction ni le minimalisme !
Vous ne pouvez pas vous empêcher d’acheter ?
Je n’achète pas non plus totalement hors de mes moyens, mais quand je tombe sur une œuvre qui me plait, je sais très vite que c’est pour moi. En mode, c’est pareil je traque pour tout ce qui est Dries Van Noten comme un fou. Heureusement que je ne me suis jamais drogué car j’aurais été totalement obsessionnel. Je ne peux pas sortir de chez moi sans ramener forcément un objet ou un vêtement et je vous assure que 20 ans de psychanalyse n’y ont rien changé ! Ma seule solution ce serait d’avoir un minuscule appartement où je n’aurais presque rien. En fait j’adorerais vivre dans un deux trois pièces avec trois ou quatre objets uniquement. À un moment, j’avais même une biche empaillée chez moi, car j’adore la taxidermie. Un ami éméché s’est assis dessus et elle s’est cassée…
Il y a chez vous beaucoup d’animaux, de paillettes, d’objets grotesques… Revendiquez-vous un amour du kitsch ?
Pour moi ce n’est pas du kitsch ! Il n’y a aucun second degré, je ne mets pas ça chez moi par dérision. Je comprends qu’on puisse trouver ça franchement moche mais pour moi c’est très beau. C’est lié à là d’où je viens, à la culture que je me suis faite tout seul, à ce que j’ai vu quand j’étais un enfant. Ma collection ne répond pas à des critères de marché.
Pensez-vous que les goûts soient liés à l’enfance ?
De la même façon que les couturiers habillent les femmes comme leurs mères s’habillaient, j’ai l’impression que j’ai besoin de chercher – dans le cinéma, dans l’art – ce que j’ai vu enfant et que j’ai aimé avec la naïveté d’un enfant, qui peut avoir très mauvais goût. J’ai passé mon enfance dans une station de ski. Je me souviens très bien, au bureau de tabac de mon village de ces espèces d’immondes animaux bleus pailletés qui devenaient roses selon la météo. Ou aussi ces pendules en forme de chalets ! Je trouvais ça magnifique.
Cet esprit-là je le retrouve dans une certaine forme d’art contemporain, dans le travail sur la paillette, dans un goût populaire, très middle class. C’est aussi pour ça que je suis un défenseur acharné de Jeff Koons qui a spectacularisé à outrance le goût de la middle-class des Américains. Pour Jeff Koons, montrer aux yeux du monde des objets de merde est une revanche sociale. Il aime foutre le bordel, je trouve ça super.
Vous aimez aussi ce qui choque.
Il y a des choses qu’on a théoriquement honte de montrer aux autres mais qu’on ne peut pas s’empêcher de dévoiler tout de même, comme si on disait « Regardez vraiment qui je suis ». Quand c’est de l’art, ça passe mieux, mais en réalité, si on regarde vraiment ce que j’accumule, on voit pas mal d’animaux morts, des trucs sexuels, des paires de nichons partout… Mais comme je le montre a l’extérieur, c’est psychanalytiquement exhibé !
Où et comment achetez-vous ?
J’achète principalement dans les galeries que je connais à Paris et à Montpellier – où j’ai vécu- et où je sais que je vais trouver ce que je cherche. En fait, je ne cesse de rechercher des images que j’ai déjà vues. La vraie surprise c’est quand je découvre ailleurs des gens qui ont en tête les mêmes images que moi.
Vous faites également de la photo, vous pouvez donc partager votre univers ?
C’est drôle car ma photo est beaucoup plus lisse que ce que je pourrais acheter. Elle est très posée, à la limite de la photo de décoration. Je n’aime pas que mes photos débordent, elles sont naturellement cadrées. Je crée donc ce que je ne pourrais pas m’offrir.
Vendez-vous vos photos ?
Bien sûr. Déjà, parce que ça me permet d’acheter d’autres photos. C’est important pour moi pas seulement d’un point de vue financier, mais du point de vue de la reconnaissance. Il est important que quelqu’un d’autre puisse vouloir quelque chose que j’ai pu faire. Je suis un journaliste d’art, j’ai fait des critiques d’art mais à un moment donné, il faut aussi, comme dans une psychanalyse que ça passe par l’argent. Il y a des artistes que j’ai voulu défendre en achetant leurs travaux pour leur montrer que je n’étais pas seulement là dans le commentaire. Quand on veut défendre une esthétique, il ne suffit pas d’écrire des papiers, il faut être de toutes les places.
Comment êtes vous arrivés à l’art alors que votre milieu d’origine n’y est pas particulièrement ouvert ?
Je suis entré dans l’art contemporain par le mouvement Supports/Surfaces qui fut l’un des groupes fondateurs de l’art contemporain en France, puis par le minimalisme et le conceptualisme américain, qui m’ont formé. Il me faut une forme de radicalité pour que je m’intéresse à un mouvement, à une discipline, à un art. Je me suis intéressé à la littérature avec Marguerite Duras que j’ai adorée dès que je l’ai découverte. Ça a été la même chose avec la danse. C’est avec ce qu’on appelle la « non-danse », que je me suis vraiment intéressé à cette discipline. Si maintenant je suis capable d’écrire sur le Lac des Cygnes, c’est grâce à ça ! Il m’aurait été impossible de découvrir tout cela avec le classicisme. Il a fallu que je trouve des choses si radicales qu’elles pouvaient me laisser une place : être pour ou être contre.
Vous avez toujours fonctionné comme ça ?
Oui, même à l’oral du bac, j’ai trafiqué la liste des livres que je devais présenter car Le contrat social de Rousseau m’intéressait moins que les poètes du 18ème. J’ai toujours trouvé l’école extrêmement ennuyeuse. Éduquer des gens en rentrant par la chronologie, c’est absurde. Quand je suis devenu prof, j’ai essayé d’intéresser mes élèves en leur faisant avoir leurs propres chocs, en leur montrant des choses qui allaient contre ce qu’ils pensaient être la culture.
Est-ce la direction que vous voulez donner à la culture dans vos émissions ?
Quand j’avais mon émission de télévision, j’ai voulu ouvrir la culture à d’autres choses que l’opéra, la danse, la musique classique… Pour moi la culture c’est une façon de regarder le monde qui n’a rien à voir avec l’art. Beaucoup d’émissions de télévision dites culturelles ont éloigné les gens de l’art.
On dirait que pour vous la culture a été un moyen de dire qui vous étiez ?
Oui, ou en tout cas, c’est ce qui m’a permis d’accepter mon milieu et de ne pas en avoir honte. C’est quelque chose que j’ai construit seul avec les moyens que j’avais. Pour résumer, je crois que c’est ce qui m’a permis d’accepter mon milieu et de ne pas en avoir honte. Connaissez-vous le conte pour enfants Ah ! Ernesto écrit par Marguerite Duras ? Il raconte l’histoire d’un enfant qui ne veut pas apprendre des choses qu’il ne connait pas. Il ne veut pas apprendre, il veut découvrir, comprendre. C’est ça qui s’est passé pour moi : je voulais être au contact de choses qui étaient moi.
En dehors de vos goûts, qu’est-ce-que votre collection raconte de vous ?
J’ai beaucoup d’objets encombrants, j’aime que les choses prennent de la place. Et moi à l’intérieur de tout ça, je disparais. C’est une façon d’être au monde qui me ressemble. J’ai assumé sur le tard par exemple de n’être pas tout mondain, je m’ennuie dans les fêtes. Sauf si j’ai un appareil photo. Là je peux passer la soirée à photographier plein de truc et ne pas m’ennuyer une seconde. Je suis un handicapé social. Hors de mes émissions, je ne rencontre personne, je n’assiste pas aux vernissages, aux mondanités. Mais le soir quand je me couche, j’ai une cinquantaine d’alertes sur eBay à consulter et c’est le meilleur moment de ma journée.