Quelques mois après le sacre de son long-métrage Come As You Are au festival de Sundance, Desiree Akhavan, auteure et interprète de la série événement The Bisexual (diffusée depuis le 10 octobre sur Channel 4 et sur la plateforme Hulu), s’est imposée cette année comme la nouvelle reine de l’indé queer.
Si son visage vous est vaguement familier, c’est peut-être à cause de son apparition dans la saison 4 de Girls, où Desiree Akhavan incarnait Chandra, camarade de writing class d’Hannah (Lena Dunham). Son nom, lui, commence déjà à s’installer dans les esprits outre-Atlantique, en partie comme celui d’une actrice (elle continue de jouer, majoritairement dans ses propres créations), mais surtout celui d’une réalisatrice, lauréate en 2018 du Grand prix du festival de Sundance pour Come As You Are (titre original : The Miseducation of Cameron Post) – l’adaptation d’un témoignage choc sur les camps de « reconversion » anti-gay, où Chloë Moretz incarne une adolescente lesbienne prisonnière des institutions homophobes de l’Amérique profonde, jouant aux côtés de Sasha Lane.
Fille de parents immigrés iraniens qui ont fui la révolution islamique en 1984, Desiree Akhavan a grandi à New York et étudié à la réputée Tisch School of the Arts avant de se faire connaître pour The Slope (une web-série sur des « lesbiennes superficielles et homophobes »), puis surtout pour un premier film, Appropriate Behaviour, en 2014 : une chronique post-rupture d’une brooklynienne d’origine perse, entre gestion des parents (qui ignorent sa bisexualité) et satire de la vie des hipsters new yorkais. Assez donc d’autobiographie – ou plutôt d’autofiction – pour la voir immédiatement affublée d’une comparaison qui lui colle durablement à la peau : « la Lena Dunham bisexuelle » (et/ou « iranienne »). Un titre qu’elle récuse : « Donald Glover écrit, réalise et interprète Atlanta. Quand une femme devient auteure, elle est automatiquement un bootleg de sa prédécesseure », déplorait-elle récemment sur Harper’s Bazaar.
Hommes, femmes, mode d’emploi
Programmé à Sundance, Appropriate Behaviour lui vaut un premier coup de projecteur mais pas encore de prix. L’année suivante, elle préside le jury de la Queer Palm à Cannes, qui sera remise à l’unanimité à Carol de Todd Haynes. Ava Cahen, journaliste et membre de ce même jury se rappelle d’une femme « à fort caractère, extravertie, drôle. Elle avait vu tout Todd Haynes, jusqu’à ses obscurs courts-métrages. Elle citait d’autres modèles comme Woody Allen, Todd Solondz ou Noah Baumbach ». Ailleurs, la réalisatrice se réclame aussi de Catherine Breillat (À ma sœur ! est un de ses films favoris), ou encore de l’humour grinçant de Louis C.K..
Un panthéon personnel à demi étonnant, pas tellement queer et aujourd’hui en partie frappé du sceau de l’infamie post-Weinstein. Desiree a eu l’occasion de s’en défendre, attaquant vertement les acteurs et actrices qui continuaient de collaborer avec Allen, mais déplorant par ailleurs le traitement de l’affaire Louis C.K., accusé par plusieurs femmes de s’être masturbé devant elles : « je l’aime, je l’ai aimé et je ne sais pas de quelle manière mon ressenti a changé à son sujet. J’aimerais plus de dialogue, je trouve ridicule que lui n’en parle pas », expliquait-elle dans Culture Whisper.
Photo : Desiree Akhavan sur le tournage de Come As You Are.
Son parcours à elle est marqué par les collaborations féminines. D’abord celle avec Ingrid Jungermann, ex-compagne et partenaire d’écriture, avec qui elle fut citée en 2012 parmi les 25 nouveaux visages du cinéma indé par le magazine Filmmaker pour leur web-série lesbienne The Slope. Ensuite, c’est avec la jeune scénariste Cecilia Frugiele qu’elle a co-écrit et produit Come As You Are, ainsi que sa nouvelle série The Bisexual. Ce n’est pas un heureux hasard. En août dernier dans The Observer, elle fulminait : « toutes les fictions queer mainstream ont été faites par des hommes – ça me dégoûte ».
Let it bi
2018 est une année charnière pour sa carrière. La lumière crue qu’elle jette sur l’homophobie de l’Amérique redneck dans Come As You Are emporte la faveur du jury de Sundance, et la projette en icône de l’Amérique queer. Mais ce n’est pas outre-Atlantique que son histoire se poursuit, mais en Angleterre, où Channel 4 a accepté de produire sa série The Bisexual. « Je me rappelle qu’un network américain nous a répondu : “oh mais nous avons Transparent, nous avons déjà une série gay”. Le suivant : “nous avons déjà The Mindy Project”.» Desiree ne se gêne généralement pas pour dire nommément le mal qu’elle pense de tel ou tel studio, de tel ou tel producteur. Et cela donne aussi plus de crédit au bien qu’elle peut dire de tel ou tel autre : « les équipes de Channel 4 n’arrêtaient pas de me demander d’aller plus loin, de faire quelque chose qu’on n’avait jamais vu à la télé ».
Et pour cause, The Bisexual raconte le coming out bi de Leila (jouée par la réalisatrice) qui couche avec son premier homme au sortir d’une relation de dix ans avec une femme, Sadie (Maxine Peake) et entame une exploration du masculin dans une sorte de buddy comedy centrée sur ce tandem, qui s’épaule sans jamais s’amouracher. Soit la première série ouvertement bisexuelle féminine diffusée sur une grande chaîne nationale en prime time. Une aubaine pour la réalisatrice, qui peut enfin dévoiler son travail auprès d’un public plus large, pour qui la sélection du festival de Sundance ne constitue pas la curation ciné de l’année.
En six épisodes, la mini-série fait le point sur la réalité de la vie bi et ses différents obstacles : inconfort de l’appartenance communautaire, manque de safe spaces, étude approfondie des affres du one-night-stand (« Tu me prêtes ton chargeur ? »), micro-agressions de tout poil (« Est-ce que La Vie d’Adèle représente fidèlement le lesbianisme ? »). Pour Akhavan, c’est le retour à une forme de chronique urbaine satirique et tragi-comique qu’elle avait laissé de côté avec Come As You Are. C’est, aussi, un choix de sujet tout à fait militant : « la bisexualité est autant tabou dans le monde gay que dans le monde hétéro », déclare-t-elle dans The Independent. Il le sera peut-être un peu moins désormais.
La série The Bisexual est à voir sur hulu.com.