Rencontre avec les photographes de la nouvelle campagne CK One

Article publié le 18 décembre 2020

Photo : Elliot Ross pour la campagne one future #ckone.

La campagne one future #ckone rassemble un casting de jeunes Américain·e·s aux profils variés, reflétant toute la diversité des États-Unis, immortalisé·e·s par sept étoiles montantes de la photographie. Antidote s’est entretenu avec deux d’entre elles, dont l’œuvre s’inscrit au croisement de la quête esthétique et de l’activisme : Elliot Ross et Shan Wallace.

Alors que l’année écoulée a souligné toutes les dissensions qui divisent les États-Unis, Calvin Klein invite au rassemblement avec le casting inclusif de sa nouvelle campagne CK One (parfum mixte qui a ensuite donné son nom à une ligne de vêtements unisexes), réunissant des Américain·e·s de 18 à 24 ans issu·e·s de tous horizons. On y retrouve ainsi le propriétaire d’un ranch dans le Wyoming, la survivante d’une fusillade dans une école en Floride, un skateur de Los Angeles ou encore une étudiante en sciences environnementales installée dans le Maryland.
Chacun·e a été pris·e en photo dans la ville ou le village où il.elle réside, par sept nouvelles promesses de la photographie : Shan Wallace, Elliot Ross, Texas Isaiah, Adraint Bereal, Brian Adams, Elliot Ross, Miranda Barnes et Rose Marie Cromwell. Antidote s’est entretenu avec les deux premier·ère·s d’entre eux·elles au sujet de leur collaboration sur cette campagne, de leur engagement (respectivement en faveur des personnes noires LGBTQIA+ et des populations autochtones d’Amérique) et de leur vision de l’avenir.

Shan Wallace


Photo : Shan Wallace pour la campagne one future #ckone.
ANTIDOTE : Qu’est-ce qui vous a conduite à la photographie ?
SHAN WALLACE : J’ai pris ma première photo vers l’âge de 8 ans. J’avais pour habitude de photographier mes grands-parents lors de nos balades au parc. L’univers visuel a toujours fait partie intégrante de mon enfance. Regarder des vieux films en noir et blanc ou des longs-métrages des années 90-2000 était une religion chez moi.
Vous vous définissez comme une archiviste : vos photos documentent les récits culturels et politiques des afro-américain·e·s et célèbrent la communauté noire LGBTQIA+. Pourquoi vous concentrer sur ces sujets ?
En tant que photographe, j’essaie toujours de faire en sorte que les contributions des Noir·e·s à l’histoire, à la culture et au monde soient visibles. C’est primordial. La communauté noire LGBTQIA+ est ma famille. C’est mon devoir d’inclure son histoire dans l’histoire globale, parce que nous avons été et nous sommes toujours invisibilisé·e·s. Documenter cette communauté et la faire entrer dans les archives, c’est lui permettre de survivre. Nous ne nous laisserons plus oublier.
Quel est votre meilleur souvenir en tant que photographe ? 
Je me souviens de ce jeune garçon que j’ai photographié il y a plusieurs années et qui a vu sa photo lors de mon exposition « 410 », au Baltimore Museum of Art. On s’est croisés cet été et il m’a dit : « Merci ». Je lui ai répondu : « Je t’en prie » et il a insisté en disant : « Non, vraiment, merci beaucoup ! » C’était le moment le plus gratifiant de cette année. Il était si fier et heureux de s’être vu, lui et sa sœur et ses frères exposé·e·s dans un musée que ça me met encore les larmes aux yeux.

Photo : Shan Wallace pour la campagne one future #ckone.
Avez-vous un moment fort vécu sur le shooting de la campagne one future #ckone de Calvin Klein à nous raconter ?
Pendant le shoot pour Calvin Klein, les communautés des quartiers de West Baltimore, Harlem Park et Sandtown m’ont donné beaucoup d’amour. J’étais super émue de voir les gens s’arrêter pour nous prendre en photo et nous encourager. Certain·e·s se sont même spécialement déplacé·e·s pour voir de leurs propres yeux le panneau publicitaire installé à Baltimore avec mes photos pour cette campagne.

Shan Wallace : « La communauté noire LGBTQIA+ est ma famille. C’est mon devoir d’inclure son histoire dans l’histoire globale, parce que nous avons été et nous sommes toujours invisibilisé·e·s. Documenter cette communauté et la faire entrer dans les archives, c’est lui permettre de survivre. Nous ne nous laisserons plus oublier. »

Que vous ont appris le voguing et la communauté ballroom dont vous avez fait partie plus jeune ?
Ils m’ont aidée à devenir la femme que je suis aujourd’hui, à m’exprimer et, bien sûr, à réaliser un duck walk comme il se doit ! J’aimerai toujours ces hommes noirs gays et ces femmes noires transgenres qui m’ont aidée à devenir moi-même.
D’où tenez-vous votre engagement féministe ?
Cet engagement est né en même temps que moi. Au moment même où je suis sortie de l’utérus de ma mère pour arriver dans ce monde en tant que jeune fille noire, je suis devenue féministe.

Photo : Shan Wallace pour la campagne one future #ckone.
Qui sont les activistes qui vous inspirent ?
Krü Maekdo, de Black Lesbian Archives, Renata Cherlise, de Black Archives et Bilphena Yahwon, du Womanist Reader. Elles m’inspirent en raison de leur manière de collecter, d’archiver et de rendre leur travail accessible. Je partage la plupart de leurs valeurs. Ces femmes font un travail énorme pour nous instruire et nous aider à nous souvenir de notre histoire.
La photographie est-elle un outil politique selon vous ?
La photographie et plus globalement les arts visuels sont des outils de survie pour moi. Qu’ils soient politiques ou non, ils me sont nécessaires. C’est ma vocation. Mon art est une offrande à mes ancêtres et à ma communauté.
Quels sont vos espoirs pour le futur ?
J’espère juste que nous pourrons bientôt tous·tes nous serrer à nouveau dans les bras les un·e·s les autres sans craindre le coronavirus.

Elliot Ross


Photo : Elliot Ross pour la campagne one future #ckone.
ANTIDOTE : Qu’est-ce qui vous a conduit à la photographie ?
ELLIOT ROSS : Quand j’avais quatre ans, j’ai quitté Taipei, d’où vient ma mère, pour un ranch appartenant à la famille de mon père dans les grandes plaines du nord-est du Colorado. Ce passage d’une des villes les plus frénétiques et cosmopolites d’Asie à un endroit très reculé, conservateur et religieux a été un choc. Les souvenirs que j’ai de cette époque sont tous liés à un sentiment de non-appartenance et d’altérité. C’est à cette période que j’ai commencé à m’intéresser à l’appareil photo de ma grand-mère. Dans cet endroit nouveau, utiliser cet appareil m’a permis de me cacher derrière un objet tout en restant présent.
Vous avez pris des photos en Alaska, dans le Colorado, le Wyoming ou encore le Texas. Pourquoi cet intérêt pour l’Amérique rurale ?
Tout simplement parce que je trouve ces endroits beaux. Leur caractère vide, leur palette monotone et l’immensité de leurs espaces où l’on peut respirer à pleins poumons m’enivrent. Mais ce n’est pas la seule raison. Les personnes qui vivent dans cette Amérique rurale son souvent incomprises par le reste de la société. Il y a une déconnexion entre deux Amériques, qui saute particulièrement aux yeux en ce moment. Par le biais de la photographie, en compilant les histoires des personnes que je croise, j’essaie de construire des ponts, d’ouvrir des chemins pour permettre aux gens de ces deux Amériques de mieux se comprendre les uns les autres malgré leurs différences, notamment idéologiques.

Votre travail se concentre aussi sur des espaces en transition, tels que les frontières ou les périphéries. Pourquoi êtes-vous attiré par ce genre d’endroits ?
Tout ce qui a trait au changement me fascine. J’adore aussi l’histoire et dans ces lieux – comme le long des frontières ou dans les paysages frappés par les ravages du changement climatique –, je peux témoigner d’une histoire qui est en train de s’écrire. C’est exaltant !
Que souhaitiez-vous communiquer à travers vos portraits de Jace Mitchell, ce jeune homme qui possède un ranch dans le Wyoming et que vous avez filmé et photographié dans le cadre de la campagne one future #ckone de Calvin Klein ?
Lorsque les gens regardent et écoutent Jace, j’aimerais qu’ils y voient un peu d’eux-mêmes. Jace connaît une vie très différente de la plupart des jeunes gens qui liront cette interview. Pour autant, je parie qu’il y a davantage de points communs que de différences entre eux·elles. Je voulais donc me concentrer sur cette idée et humaniser la voix des Américain·e·s ruraux·les conservateur·rice·s.

Elliot Ross : « Il y a une déconnexion entre deux Amériques, qui saute particulièrement aux yeux en ce moment. Par le biais de la photographie, en compilant les histoires des personnes que je croise, j’essaie de construire des ponts, d’ouvrir des chemins pour permettre aux gens de ces deux Amériques de mieux se comprendre les uns les autres malgré leurs différences, notamment idéologiques. »


Photo : Elliot Ross pour la campagne one future #ckone.
Vous considérez-vous comme un activiste ? Utilisez-vous la photographie comme un outil politique ?
Absolument. La photographie a cette capacité unique de saisir la vérité d’une manière qui, lorsqu’elle est bien utilisée, peut incarner un moment ou une cause comme aucun autre médium ne le permet. La photographie est comme un creuset dans lequel tous les éléments saisis sont broyés jusqu’à leur essence pour offrir une image claire et impactante.
J’utilise la photo pour mettre en lumière des causes que peu de gens connaissent, comme celles des populations indigènes de l’Arctique américain que l’on a obligées, dans les années 1930, à s’installer durablement dans des lieux aujourd’hui menacés par la montée des eaux, à cause de la fonte des glaces. Si rien n’est fait pour relocaliser immédiatement les villages des Iñupiat, ce sont des communautés entières qui vont périr d’une manière tragique et, avec elles, leur culture et leur savoir.
Quel a été le moment le plus marquant de votre carrière ?
Dans le cadre d’un shooting, ​National Geographic a affrété un hélicoptère pour que j’aie une idée plus précise du projet « Tree Canopy Lab », qui lutte contre le réchauffement climatique à Los Angeles. Alors que le soleil se couchait, j’étais assis, les jambes dans le vide, pendant que l’hélicoptère volait entre les gratte-ciels.

Photo : Elliot Ross pour la campagne one future #ckone.
Pouvez-vous nous parler de vos projets en cours ?
En ce moment, je m’intéresse au concept de surveillance, au génocide des populations autochtones d’Amérique et je poursuis mon travail dans l’Arctique sur le dérèglement climatique et ses effets sur ces communautés isolées.
Quels sont vos espoirs pour le futur ?
Que nous commencions vraiment à nous préoccuper de ce que nous faisons subir à cette planète. Si l’on ne veut pas virer tout droit vers un avenir tragique, nous devons nous réconcilier avec la Terre et prendre la mesure de nos actions.

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