Photo : Walt Cassidy alias Waltpaper par Michael Fazakerley en 1992.
26/11/2019
Personnage clef des Club Kids, le groupe de fêtards excentriques célèbre pour ses soirées subversives qui ont secoué la scène underground new-yorkaise des années 90, Walt Cassidy publie aujourd’hui un livre qui, à travers des images souvent inédites, retrace l’histoire et l’influence d’un mouvement trop souvent résumé à ses excès.
Alors qu’il dévoilait il y a quelques jours les pièces nées de sa collaboration avec le label californien de Carol Lim et Humberto Leon Opening Ceremony, l’ancien Club Kid Walt Cassidy, mieux connu dans les années 90 sous le pseudonyme « Waltpaper », publie aujourd’hui un beau livre dédié à la sous-culture qui a secoué la scène underground new-yorkaise tout au long de la dernière décennie du 20ème siècle, dont il fut l’un des membres les plus éminents. Sobrement intitulé New York : Club Kids by Waltpaper, l’ouvrage, à mi-chemin entre témoignage personnel et récit historique, retrace avec authenticité l’évolution du mouvement des Club Kids, de sa naissance à sa décadence. Émaillé de nombreuses images d’archives dont la plupart n’ont encore jamais été publiées, il s’attache à rappeler l’influence considérable exercée par les Clubs Kids sur la mode et la pop culture, tout en rectifiant le portrait sombre et unilatéral peint à l’époque par les médias, qui reste encore ancré dans l’imaginaire collectif.
Héritiers des Blitz Kids londoniens dans une version plus trash, les Club Kids ont régné pendant près d’une décennie – de la fin des années 80 à celle des années 90 – sur les clubs alternatifs les plus courus de New York comme le Tunnel ou le Limelight, mêlant les cultures techno, grunge, rave et drag. Parés d’accoutrements déments confectionnés chaque semaine comme autant de costumes servant à se réinventer tout en exprimant une créativité débridée, les Club Kids étaient l’incarnation de la génération X et la « métaphore des années 90 » selon Walt Cassidy, incarnant tout à la fois la mode, la musique et la consommation de drogues excessive. Mais au-delà de cette réputation sulfureuse qui sera entérinée à jamais par un fait divers sordide (le leader du mouvement, Michael Alig, finira en prison pour avoir assassiné et découpé en morceaux son dealer Andre “Angel” Melendez, lui-même Club Kid), la sous-culture emblématique de la scène underground du New York des années 90 a durablement et considérablement influencé la scène créative de l’époque ainsi que ses héritiers.
Photo : Reign Voltaire, Julie Jewels, Waltpaper, DJ Keoki, Sacred Boy, Björk, Keda, et Lil Keni par Michael Lavine en 1992.
Comme le relate Walt Cassidy dans ce nouveau livre, les Club Kids furent en effet de véritables précurseurs, ouvrant la voie à des tendances culturelles actuelles tels que la fluidité de genre ou le self-branding, qui consiste à faire de sa propre personnalité une marque à part entière. Car à l’heure où Instagram n’existait pas encore, les Club Kids faisaient véritablement figure de maîtres de la communication et de l’auto-promotion, utilisant savamment la télévision et ses talk-shows ou encore les clips et les séries photos de magazines pour promouvoir leur esthétique inédite. Décrits à l’époque par le journaliste américain Michel Musto (célèbre pour ses chroniques du monde de la nuit) comme des êtres « superficiels » et « des maîtres de la manipulation », ils sont ici davantage dépeints comme des artistes doués de sensibilités uniques s’étant rassemblés au sein d’une grande famille. À travers les 376 pages du livre, Walt Cassidy ne gomme d’ailleurs en rien les défauts de cette contre-culture dont il a lui-même fait partie, tout en offrant au lecteur un aperçu du quotidien des Club Kids – des personnes soudées par une même vision du monde, qui vivaient parfois ensemble dans des logements communs offrant une dimension communautaire à leur groupe.
Photo : Michael Alig, Christopher Comp, et Waltpaper par Catherine McGann en 1992.
Entre coupures de journaux et photographies de looks camp, celui qui est aujourd’hui installé à Brooklyn où il exerce ses talents d’écrivain et d’artiste multimédia raconte en détails les dessous du mouvement, expliquant par exemple comment les Club Kids se préparaient des heures durant en vue de leurs folles soirées (à l’instar de cette rave improvisée dans un McDonald’s). Mettant en lumière une certaine tendresse effacée dans l’imaginaire collectif par le meurtre perpétré par Michael Alig et le battage médiatique qui s’en est suivi, portés sur grand écran en 2003 dans le film Party Monster avec Macaulay Culkin, New York : Club Kids by Waltpaper est à lire comme une lettre d’amour assumée, dévoilant le deuxième visage d’une sous-culture inclusive largement en avance sur son temps. Elle rappelle ainsi qu’en parallèle des excès en tous genres qu’elles ont provoquées et des problèmes de drogues, les nuits sans fin dans les clubs new-yorkais que les Club Kids animaient permettaient avant tout à chacun d’exprimer sa sensibilité et de la sublimer de manière éphémère, lors de quelques heures confinant avec le surréalisme.
Photo : Waltpaper et Lil Keni par Misa Martin en 1995.