Les quatre Parisiens de CONTREFAÇON viennent de publier un premier album accompagné d’un court-métrage du même nom : Mydriaze, inspiré par Gaspar Noé, l’urgence de la survie et les soirées techno où l’on s’oublie dans la danse transe. Antidote a profité de l’occasion pour rencontrer le groupe et lui poser quelques questions.
CONTREFAÇON est de ces collectifs en phase avec leur époque, qui composent des morceaux qui tabassent visant à servir de bande-son à une génération de fêtards, qui noient ses week-ends dans les substances et les nuits sans fin, à la recherche de la jouissance immédiate. Lorsqu’on lui pose la question, le quatuor parisien, qui refuse de prendre la parole individuellement, préférant parler en tant qu’entité, évoque quant à lui « une génération désabusée, qui subit la société, qui s’en rend compte et qui rêve de liberté ».
Mais CTRFÇN (pour les intimes), ce n’est pas qu’une techno sur laquelle on se déchaîne avec des TN aux pieds, « bourré sur le pavé, cracké dans le tromé », comme ils se plaisent à le répéter sur « Danser Penser ». C’est aussi et surtout un collectif qui nourrit des ambitions plus larges que la « simple » composition de mélodies violemment intenses. Pour se définir, les Parisiens parlent d’ailleurs de CONTREFAÇON comme d’un groupe de musique-vidéo. Parce qu’ils ont envie de tout défoncer (y compris les barrières stylistiques). Et parce qu’ils ont finalement toujours entretenu un lien privilégié avec le monde visuel. En 2016, au moment de la sortie de l’EP 4, le quatuor proposait ainsi quatre clips scénarisés de façon à s’emboîter les uns aux autres. C’est dans leur nature, ils ne peuvent s’empêcher de décliner leurs musiques en images.
Aujourd’hui, c’est d’ailleurs avec Mydriaze, un court-métrage inspiré d’un album du même nom, qu’ils reviennent. Et le résultat, il fallait s’en douter de la part de ces fortes têtes, est fidèle à leur univers : violent, extrême, bordélique, référencé (à Gaspar Noé, à La Haine, à Jan Kounen) et intelligemment DIY. Pourquoi ? Comment ? C’est ce que les Parisiens nous expliquent. D’une même voix, forcément.
ANTIDOTE. J’ai l’impression que votre démarche reflète un désir d’appartenir à une communauté. C’est ce besoin de faire partie d’un collectif qui vous a poussé à collaborer ensemble ?
CONTREFAÇON. On fait de la musique et de la vidéo ensemble depuis le collège. On a progressé en pratiquant la débrouille et en cultivant la volonté de tout faire nous-mêmes. En chemin, on a appris à se faire confiance et à faire en sorte que chacun puisse développer ses domaines de prédilection. Mais c’est plutôt l’aspect familial que communautaire qui nous unit. Il y a des gens de plein de communautés différentes qui gravitent autour du groupe et du projet, on aime bien naviguer parmi elles.
Vous vous définissez comme un groupe de musique-vidéo. Ces deux pratiques artistiques sont indissociables chez vous ?
De nos jours, beaucoup de projets se développent sur les deux terrains. Chez nous, c’est le fruit d’une volonté de maîtriser tous les aspects esthétiques du projet, visuels et sonores, et de laisser l’un et l’autre se nourrir mutuellement. On construit des histoires petit à petit autour de personnages récurrents, et les situations s’inspirent de notre quotidien urbain. Par exemple, on a clippé tous les morceaux de nos deux premiers EPs, là on arrive avec un court-métrage de vingt minutes pour l’album, et on utilise aussi la vidéo lors de nos lives pour plonger le public dans notre univers.
Le court-métrage est une nouvelle fois assez violent, avec des images de braquage, des scènes filmées caméra à l’épaule et des morceaux intenses. Vous souhaitiez transmettre un sentiment d’urgence à travers lui ?
La pression sociale à Paris est extrêmement violente et sournoise. La vie est très chère et il y a beaucoup de gens dans l’urgence pour survivre. En filmant la vie de notre personnage qui cherche à s’en extraire, c’est davantage la pression de la société urbanisée que l’on voulait dépeindre. Et pour ça, on a de nouveau fait appel à Antoine et Régina, qui jouent déjà dans beaucoup de nos clips. Sinon, on retrouve aussi Mike en personnage secondaire, et des gens qui gravitent autour du projet depuis le début, comme Kris. On a principalement collaboré avec des proches sur ce court-métrage.
« Travailler avec des contraintes, ça booste la créativité »
C’est la première fois que vous écrivez des dialogues. Ça a été un exercice facile ?
Oui ça va. Cela faisait un moment qu’on en avait envie. Notre méthode respecte les expressions et le vocabulaire de chacun : on a pris le temps de faire des répétitions pour créer des automatismes, afin de pouvoir laisser plus de liberté aux acteurs le jour du tournage.
En parallèle du court-métrage, comment avez-vous travaillé l’album, Mydriaze ?
C’est un mélange de plusieurs ingrédients. Certains morceaux étaient composés depuis longtemps, presque deux ans. D’autres tracks sont le fruit de la digestion des influences des deux premiers EPs : sonorités 90’s, kick gabber, nappe transy, paroles en français, breakbeat… Enfin, certains morceaux, indispensables au court-métrage, ont été intégrés dans l’album. L’idée, pour résumer, c’était de trouver une cohérence. On s’est rendu compte qu’on avait d’une part des morceaux « mélodiques, voire cinématographiques », et d’autre part des titres plus « techno qui tabassent ». CONTREFAÇON c’est à la foi du cinéma et du club, on ne voulait pas s’enfermer dans un style en particulier, donc on a décidé de faire un album à deux faces.
C’est votre premier disque et votre premier court-métrage. Avez-vous parfois eu le sentiment de vous perdre en chemin lors de la réalisation de ces deux projets ?
On s’est beaucoup questionné en amont sur la cohérence musicale et sur le format vidéo, mais à partir du moment où on a trouvé notre ligne directrice, on a bossé dur et filé droit. Un truc qu’on a appris depuis longtemps, aussi, c’est qu’il faut toujours composer avec l’imprévu. Un dialogue, un tournage… tout est truffé d’aléas et le rendu n’est jamais exactement comme imaginé au départ. Quand on sait dès le départ que ça fait partie du jeu, ça permet de jouer avec.
On sent un côté « débrouille » dans votre travail, c’est un chois assumé ?
Oui, on revendique le côté débrouille. Il contribue à l’esthétique et au charme de notre projet. On a tourné avec un appareil photo, éclairé avec des leds. On n’avait pas de matos pour le son, et on a fait le montage, le doublage et le sound design nous-mêmes. C’est cool de travailler avec des contraintes, ça booste la créativité. C’est rare que des projets de court-métrage « do it yourself » aboutissent. Donc on est assez content.