Miley Cyrus a troqué le twerk contre des balades country, Lady Gaga n’est plus une Fame Monster mais une sobre chanteuse de folk : le retour aux sources est-il une quête de vérité ou une mode dernier cri toute aussi artificielle que n’importe quelle tenue de scène ?
On l’a connu vociférant dans un micro vêtue d’un gode-ceinture, vomissant des paillettes, ou tirant sur des joints le visage couvert d’autocollants. La crise d’adolescence de Miley Cyrus aurait-t-elle touché à sa fin ? C’est en tout cas ce que nous assure son dernier titre Malibu aux tonalités country et soft-rock, ainsi que son clip, « choquant justement parce qu’il ne l’est pas », dixit le New York Times. La starlette y apparaît visiblement assagie, les pieds dans le sable au coucher du soleil, les tatouages recouverts d’un chaste pull à col roulé, et des ballons de baudruche à la main. Sur scène, elle se contente de chanter accompagnée de guitares acoustiques, les larmes aux yeux et la main sur le cœur.
Cette épuration musicale et stylistique se manifeste également chez Lady Gaga. Celle qui signait des albums aux noms évocateurs type The Fame Monster vêtue de robes en viande ou de costumes de grenouille géante, réapparaît avec le sobrement intitulé Joanne, qu’elle promeut la tête couverte de larges chapeaux et le visage à peine identifiable tant il est démaquillé. Même constat pour Lana Del Rey qui a abandonné ses paroles interdites aux moins de 16 ans pour des chansons aussi virginales que ses robes fleuries ; Taylor Swift est brutalement honnête sur son nouveau single, Look what you made me do, où elle parle à son public comme si elle se livrait à son journal intime ; et Selena Gomez apparaît sans filtres ni retouches dans son clip Fetish.
De gauche à droite : Lady Gaga – The Fame Monster (2009), Lady Gaga – Joanne (2016)
Quant à Zayn, après avoir parlé ouvertement de ses problèmes de dépression, il poursuit cette voix aussi sincère que vulnérable en publiant une photo de lui enfant en guise de couverture de son album Mind of Mine (« mon propre esprit ») ; DJ Khaled, roi de Snapchat, utilise une image de son fils pour son disque Grateful (ou « reconnaissant »), l’ancrant dans une démarche moins bling et plus familiale. Et Kendrick Lamar chante qu’il est lassé des artifices et qu’il ne rêve que d’une femme naturelle dans sa chanson Humble.
Dans une industrie dominée par l’autotune et Photoshop, quoi de plus normal que de choisir de tomber le voile (ou presque) sur son visage et sa voix ? Si la demande de transparence touche toutes les sphères, autant la nourriture que la mode et la politique, c’est donc peu étonnant que cela soit au tour des musiciens de prouver – ou de mettre en scène – leur honnêteté. Pourtant, cet engouement autour du « vrai » ne date pas d’hier, et révèle les attentes complexes qu’a le public envers ses idoles.
De gauche à droite : Lana Del Rey – Lust for Life (2017), Zayn – Mind of Mine (2016)
LA FABRIQUE DE L’AUTHENTICITÉ
Quand les fans de Kurt Cobain découvrent que la pauvreté de ses débuts (un passage par la rue et une première guitare troquée contre un pistolet, soi-disant) est en grande partie du story-telling, nombre d’entre eux se sentent déçus, trompés. Effectivement, comme souvent dans l’histoire de la musique, la fonction de l’icône grunge est autant sociale qu’artistique, et sert à dénoncer un climat politique précaire… Auquel il n’appartient finalement pas tant que ça.
Ainsi, quand Johnny Rotten des Sex Pistols déclare « No gimmicks, no theater, just us, take it or leave it » (« pas de faux semblants, pas de théâtre, juste nous, à prendre ou à laisser »), il promet que la violence de son style musical et vestimentaire est l’expression d’une colère sincère contre l’Angleterre Thatcherienne. Idem pour le hip-hop, qui vocalise la ghettoïsation des personnes afro-américaines aux Etats-Unis ; les termes « keeping it real », « real talk », (ou encore « Realness » pour le milieu du voguing), attestent d’un lien entre conscience et création musicale.
C’est dans cette même logique que Donna Summers chante qu’elle est une « ordinary girl » et J-Lo que malgré les diamants qu’elle a aux doigts, elle demeure « Jenny From the Block » : les musiciens auraient transcendé leur statut d’entertainer pour devenir des guides spirituels populaires. « Quand j’étais ado, la street credibility était importante pour moi. Je voulais aimer des mythes et des idoles, et ressentais une forme de vexation quand un rappeur se servait d’un lifestyle sans l’avoir vécu. Aujourd’hui je suis quasiment obligée de savoir si un rappeur agit avec bonhommie », raconte la DJ et journaliste de musique Christelle Oyiri.
Elle n’est pas la seule à ressentir de la trahison face à un personnage de scène vacillant. Certains fans adolescents sont furieux de découvrir que Britney Spears est moins effarouchée qu’elle ne le prétend, que les Backstreet Boys ont des petites copines sur lesquels ils ont interdiction de communiquer ; ou encore que les Spice Girls ne sont pas une bande de copines mais ont été formées par un casting. Quand au milieu du rap, il dénigre initialement Kanye West pour son utilisation appuyée d’autotune qui lisse ses chansons et suggère une perte de « realness ».
LA MISE À NU COMME PILIER SPIRITUEL
Pourquoi le vrai ? Notre histoire et sa philosophie portent en haute estime l’idée de vérité de l’âme, mais reconnaît que c’est un concept en évolution perpétuelle. Comme l’explique l’auteur Lionel Trilling dans Sincérité et Authenticité, « Les penseurs grecs puis la Bible élèvent l’idée de sincérité intime au rang de valeur transcendantale, permettant à l’individu de se connecter au monde qui l’entoure et de s’extraire de toute superficialité, artifices, mensonges. (…) Chez les poètes romantiques, l’introspection est perçue comme une quête du sublime et une forme de spiritualité ».
Pourtant, Jean Baudrillard, Susan Sontag et autres critiques poststructuralistes repensent les contours du véridique à l’heure de la représentation de soi, du showbusiness et des nouvelles technologies. « Le public aime l’idée de mise à nu, le triomphe de l’âme sur l’apparence, de la nature sur la culture, ce sont des notions ancrées dans notre ethos », analysent Hugh Barker et Yuval Taylor, auteurs de Faking It. « Néanmoins, toute prise de parole et apparition publique est par définition une mise en scène; on est conscient de ce qu’on veut communiquer au public, et on cherche à le rendre lisible au plus grand nombre, ce qui dénature forcément la transparence du propos.»
Paradoxe qui apparaît tout particulièrement dans le boom de la tendance #NoFilter sur les réseaux sociaux : si les stars posent sans maquillage sur leurs InstaStories et donnent un semblant d’honnêteté à leur image, c’est tout sauf un processus naturel « l’authentique est une valeur travaillée, consciente, construite, et donc contradictoire de ce dont elle fait la promotion », souligne Morwenna Ferrier, rédactrice chez The Guardian. (On peut même télécharger des filtres effet « No Filter » sur Internet, ndlr).
C’est aussi une façon radicale de tourner une page, note Amanda Petrusich dans le New Yorker au sujet de Miley Cyrus : « la culture du showbusiness ne laisse aucune place à l’instinct, la spontanéité, tout est calculé au millimètre (…) nous avons sous les yeux le tout dernier personnage de Miley, qui indique ainsi qu’elle s’est rangée […] »
FAUSSE AUTHENTICITÉ, VRAI MESSAGE
Une mode ? Surement, mais aussi une façon de promouvoir de nouvelles normes autour de l’apparence ou d’une performance. Alicia Keys et Solange choisissent de garder leurs cheveux naturels et leur visage démaquillé, pour chanter un r’n’b engagé et sans lourde production. En Angleterre, Adele ou encore Jorja Smith optent pour une simplicité scénique afin de s’ancrer de façon humble dans une école de blues. Et en France Juliette Armanet, seule à son piano, renoue avec une tradition de chanson française, évoquant notamment Barbara, et qui met en lumière la richesse des textes ainsi que la justesse de sa voix. Pour certaines personnalités, cela s’approche même d’une quête spirituelle : « À chaque fois que je quittais la maison, je craignais d’être photographiée sans maquillage, j’avais peur de l’opinion de gens », tweete Alicia Keys, qui après des photos de promotion sans maquillage, y voit une forme d’honnêteté face à elle-même et ses fans : « Je ne veux plus me cacher, ni mon visage, ni mon esprit, ni mon âme, ni mes pensées, ni mes rêves, ni mes combats, ni mon évolution. Rien », dit-elle. Un esprit sain dans un corps sain, version 2018 ? À Morwenna Ferrier d’ajouter que « cette tendance est une réaction et un sens de responsabilité face à l’omniprésence des réseaux sociaux, et à leurs normes oppressantes. C’est une façon de délivrer un message de sincérité, d’intégrité, d’individualité – des notions précieuses à l’heure des fake news. »
De gauche à droite : Alicia Keys – Here (2016), Solange – A Seat at the Table (2016)
Et voici ce que cela révèle du public et de fantasmes naissants : tout comme le marketing de la bonne conscience, la mise en scène de l’authenticité permet, pour le bien de la société, de populariser à grande échelle des volontés de ralentissement, des valeurs plus ancrées, des concerts de petites tailles, un abandon du over-the-top vers une œuvre plus intimiste.