Cinq ans après avoir été découverte par Booba, la rappeuse Shay lève le voile sur son premier album Jolie Garce. Elle se livre pour Antidote sur ses premiers pas dans la musique, l’élection de Donald Trump et sa vision radicale du féminisme.
Dans l’ombre fantomatique et nostalgique de Diam’s, une génération de jeunes rappeuses tente de se faire une place sur la scène du rap féminin francophone. Forte du tube PMW joué plus de 30 millions fois sur Youtube, la Belge Shay s’impose irrésistiblement comme le porte-drapeau de ce mouvement encore secondaire.
Née à Bruxelles d’une mère congolaise et d’un père polonais, bercée par les mélodies d’un grand-père chanteur, Shay se fait un nom en 2011 après que Booba la contacte et l’invite à apparaître en featuring sur sa mixtape Autopsie Vol. 4. Il lui aura pourtant fallu attendre plus de cinq ans entre la diffusion de Cruella et la sortie le 2 décembre 2016 de son album intitulé Jolie Garce.
Une nouvelle et cruciale étape dans la carrière de cette rappeuse au flow déjà acclamé. En filigrane de ses textes a priori superficiels et auto-tunés, on entend une déclaration d’indépendance, une ode à l’individualité, un discours engagé sans qu’il n’en ait eu la prétention. Celle que l’on se plaît en Europe à comparer à Nicki Minaj développe depuis son studio un style unique, servi par une allure sexy et revendiquée. À 26 ans, Shay est intrépide et son premier opus est loin d’être timide.
À gauche : Top en velours brodé de perles et strass et pantalon en dentelle noire à volants, Balmain. Casquette, Vetements.
À droite : Combinaison en dentelle blanche à volants, Balmain. Gilet matelassé, Ignacia Zordan. Escarpins vernis blancs, Sergio Rossi.
Top en velours brodé de perles et strass et pantalon en dentelle noire à volants, Balmain. Casquette, Vetements pour MatchesFashion.com.
Combinaison en dentelle blanche à volants, Balmain. Gilet matelassé, Ignacia Zordan. Escarpins vernis blancs, Sergio Rossi.
Antidote : Pourquoi avez-vous décidé de vous lancer dans le rap ?
Shay : Je viens de loin. Je n’avais pas de taff, pas d’argent, pas de voie, j’étais perdue. J’ai décidé de faire du rap ma profession il y a cinq-six ans, parce que Booba m’a appelée pour figurer sur son projet. Pour moi, le rap, c’est la musique des jeunes, c’est la musique que j’écoutais et que je kiffais pendant mon adolescence. J’ai toujours été timide et j’avais du mal à chanter, parce que j’avais honte. C’était plus facile pour moi de rapper.
Votre premier album sort aujourd’hui, il s’est écoulé 5 ans entre votre featuring avec Booba sur Cruella et cet album, pourquoi avoir attendu autant de temps ?
Quand Booba m’a contactée, je n’avais enregistré que deux morceaux, et, encore, ils n’étaient pas complètement finis. J’avais besoin de travailler, de trouver mon identité musicale, d’être à l’aise avec ma musique, d’être sûr de la direction dans laquelle j’allais me lancer.
Vous faîtes partie du collectif 92i, qu’est-ce que Booba vous a apporté au long de votre carrière ?
Booba, c’est mon mentor. On a construit ma carrière, il m’aide, il intervient beaucoup au niveau artistique. Quand je termine un morceau, il me dit s’il faut le reprendre, il est présent à tous les niveaux. Il valide les clips, les synopsis, etc.
Qui d’autre te soutient dans ta musique ?
Mon frère, c’est lui qui choisit mes prod, il fait les flow, il co-écrit les textes avec moi. Shay, pour moi, c’est deux personnes en vérité. C’est un groupe composé de mon frère et moi. Je sais qu’il ne voudra jamais montrer son visage mais il sera toujours derrière moi.
Cet album s’appelle « Jolie Garce », est-ce ainsi que vous vous définiriez ?
Complètement. Pour moi, une « jolie garce », c’est une femme moderne, ambitieuse, sans pitié, qui n’a pas froid aux yeux et qui arrache le respect.
Tu postais sur Instagram une citation qui dit « My idols are dead and my enemies are in power », qui sont tes idoles ?
Tupac, pour ce qu’il représentait, au-delà de sa musique. Il voulait être libre et militait pour que les gens soient tous égaux.
Et vos ennemis ?
Aujourd’hui, c’est Donald Trump qui a pris le pouvoir. D’où la phrase. Le fait qu’il soit arrivé au pouvoir indique aujourd’hui que les États-Unis sont moins hypocrites qu’ils n’ont pu l’être mais c’est simplement désolant.
À gauche : Top en dentelle rose pâle à volants, Balmain. Lunettes masque jaune, Veronique Leroy.
À droite : Combinaison en dentelle blanche à volants, Balmain. Gilet matelassé, Ignacia Zordan.
Vous parlez de liberté, qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
La liberté, c’est de ne pas avoir de barrière, de pouvoir faire ce qu’on veut. On n’est jamais réellement totalement libre, mais si j’ai décidé de faire de la musique et du rap, c’est parce que j’ai senti que c’était dans cette position que je pouvais être libre. J’ai commencé par faire des études de droit, mais je suis quelqu’un qui me projette beaucoup, et je n’ai pas vu de futur.
On parle de vous comme de la Nicki Minaj francophone, qu’en pensez-vous ?
Pour moi, ça n’est pas tellement justifié. Mais c’est flatteur, parce que Nicki Minaj est une putain d’artiste et une putain de meuf. Après, on n’a pas du tout le même discours, ni le même stylisme, ni la même musique, on n’a rien à voir.
Quels autres artistes écoutez-vous?
J’écoute beaucoup Future, j’aime bien A$AP Rocky, Rihanna, Kanye West, je ne suis pas fan de tout ce qu’il fait mais je trouve qu’il apporte toujours un nouveau souffle et une nouvelle direction. Pour moi, c’est l’influenceur du game. Puis Drake, c’est un peu cliché tout ça, mais c’est la vérité.
Et quelles sont les rappeuses francophones dont vous vous sentez proche ?
Aucune. Ce qu’elles font en France, ça ne me parle pas.
On voit malgré tout un renouveau du rap francophone et féminin, que voulez-vous apporter au genre ?
Au départ, le rap représentait une communauté, c’était la cité, c’était les noirs. Aujourd’hui, le rap représente juste les jeunes. Parmi tous ces jeunes, il y a des meufs, mais nous, on n’est pas représentées. Moi, je parle à un type de meufs, qui veulent être libres, qui s’en foutent, des jolies garces. Le monde, est divisé en deux dans tous les cas : les jolies garces et les pétasses de base.
À gauche : Veste en velours violet, Vetements chez MatchesFashion.com. Col en métal, Acne Studios.
À droite : Top en dentelle rose pâle à volants et pantalon ouvert, Balmain. Lunettes masque jaune, Veronique Leroy. Bagues, Ambush. Cuissardes en cuir camel, Ellery.
Veste en velours violet, Vetements chez MatchesFashion.com. Col en métal, Acne Studios.
Top en dentelle rose pâle à volants et pantalon ouvert, Balmain. Lunettes masque jaune, Veronique Leroy. Bagues, Ambush. Cuissardes en cuir camel, Ellery.
L’un de vos premiers morceaux s’appelle First Lady, vous vous considérez donc comme la première dame du rap français ?
Carrément. Pour le moment, les autres filles ne sont pas vraiment là. On peut les compter sur les doigts d’une main.
C’est difficile d’être une femme dans le rap ?
Pas pour moi. Tout simplement parce que si l’on m’a ouvert les portes, c’est parce que j’étais une femme. On dit toujours que le rap est sexiste, mais on ne m’aurait pas pris si je n’avais pas été une meuf. Aujourd’hui, si je suis là, c’est aussi parce que je suis jolie et parce que j’ai des atouts. Je déteste l’idée qu’une fille qui fait du rap doit obligatoirement s’habiller en mec et ne ressembler à rien. Je pense en fait qu’il faut juste être fidèle à soi-même. Dans la vie normale, je suis comme ça, je suis féminine, je suis sexy et je ne vais pas changer sous prétexte que je fais cette musique.
Vous pensez-vous féministe ?
Je représente ce que je suis et je suis une femme, mais je n’aime pas le terme féministe. Il introduit une opposition entre les femmes et les hommes, comme si l’on voulait revendiquer qu’on est aussi bien qu’eux. Je n’ai pas besoin de me le dire ni de le dire aux autres. On est en 2016, alors féministe pourquoi ?
Vous vous montrez engagée mais vos paroles ne le sont pas forcément à la première lecture.
J’aime mieux faire rêver, parler d’argent. Pour moi, l’argent, c’est une forme de liberté et de pouvoir, je ne parle pas d’argent pour le bling-bling, pour le côté matériel de la grosse voiture et de la villa. En tant que femme et femme noire, on peut avoir tendance à te négliger et te mépriser un peu mais quand tu as de l’argent, on te regarde autrement. D’où l’importance que ça a pour moi. Je suis une personne réservée, limite renfermée, j’ai du mal à parler de mes sentiments, à me dévoiler et pour un premier album, j’avais envie de mettre en avant, la musique, les sonorités, le flow, les punchlines, sans arriver avec la prétention de parler de moi.
À gauche : Veste et pantalon en velours violet, Vetements chez MatchesFashion.com.
À droite : Top en velours brodé de perles et strass, Balmain. Casquette, Vetements.
Comment vivez-vous aujourd’hui votre célébrité ?
À vrai dire, je ne la ressens pas. Je vis en studio, je vis plutôt cachée, je suis assez discrète. Donc, le public, je ne le vois pas encore. Je ne sors pas beaucoup. Je préfère me concentrer sur mes objectifs et je n’arrive pas à me divertir tant que je ne les ai pas atteints. J’ai envie de construire une carrière pérenne. Et faire des affaires, comme par exemple avoir ma propre marque.
Une marque de ?
De vêtements. La mode, c’est important, parce qu’elle te permet de t’exprimer. Vu que je suis quelqu’un d’assez réservé. Quand tu me rencontres, tu ne peux pas vraiment me situer ou bien savoir qui je suis. Du coup, mes vêtements me permettent de montrer qui j’ai envie que les autres voient.
Dans PMW, un single de l’album tu chantes « Laissez-nous mener la vie qu’on veut », quelle est la vie dont vous avez envie ?
Je n’ai juste pas envie qu’on me prenne la tête et qu’on me laisse faire ce que j’ai à faire. Aujourd’hui, je me sens bien. C’est un choix d’être heureux, et moi j’ai choisi d’être heureuse.
L’album Jolie Garce de Shay est disponible sur iTunes et les plateformes de streaming légales.