Dans une récente émission de Squeezie, une danseuse de pole affirme ne pas vouloir être associée au strip-tease. Cette phrase a déclenché une prise de parole massive de stripteaseuses et de TDS, rappelant ce que ce refus efface, les femmes, souvent racisées, qui ont inventé la pole-dance ainsi que la culture qui l’accompagne. Ce texte revient sur la portée de ce geste de distance et sur la responsabilité des créateur·rice·s de contenus quand ils·elles amplifient de tels discours.
Ce qui s’est joué dans l’émission « Who is the Imposter ? », mise en ligne il y a deux jours sur la chaîne de Squeezie, ne relève pas d’un simple inconfort. Aux côtés d’Aya Nakamura et de Géraldine Nakache – invitées de l’épisode – une participante, danseuse de pole, déclare qu’elle ne veut pas être associée au strip-tease. Une phrase prononcée en quelques secondes, mais qui réactive un mécanisme ancien : celui qui sépare une pratique aujourd’hui valorisée de la culture dont elle vient, au prix d’un mépris social durable envers celles qui l’ont fondée.
La pole-dance telle qu’on la connaît n’est pas née dans les studios parisiens mais dans les clubs nord-américains, entre les années 1970 et 1990, où des strip-teaseuses, en grande majorité des femmes racisées, ont inventé les figures devenues la grammaire du mouvement. L’Aicha, le Jade, le Jamila, le Hello Boy: des noms techniques désormais enseignés partout, mais dont on oublie trop facilement qu’ils sont le fruit d’une culture minorisée.
Au début des années 2000, la discipline commence à être reprise dans des espaces plus privilégiés : salles de sport, studios spécialisés, univers du « fitness » et du « bien-être ». Une grande partie de ces lieux la présente alors comme un art ou un loisir athlétique, souvent détaché de ses origines en club. Ce n’est pas le cas de tout le monde, certaines profs et pratiquant·es ont toujours nommé et préservé cette histoire, mais le discours dominant tend à effacer les femmes qui ont inventé les mouvements.
Dans les heures qui ont suivi la diffusion de l’émission qui compte bientôt plus de 6 millions de vues, de nombreuses stripteaseuses et TDS ont pris la parole sur leurs réseaux. Leur message est direct : on ne peut pas pratiquer la pole-dance et refuser d’être associé·e aux femmes qui l’ont inventée. Ce refus participe à l’invisibilisation d’un groupe déjà exposé à la stigmatisation, au sl*t-shaming, et au déni de droits fondamentaux.
Aujourd’hui, les créateur·rices de contenu ne produisent pas seulement des formats : ils·elles définissent des cadres, choisissent des sujets et invitent des personnes qui portent des histoires. Leur responsabilité commence là. Quand un programme aborde une pratique ou un groupe marginalisé, il doit s’appuyer sur un minimum de connaissance du sujet. Sans cela, on reproduit des angles morts qui, à cette échelle, deviennent des récits. Produire du contenu, c’est aussi penser ce qu’on met en scène et ce qu’on risque d’effacer en le faisant.
Ce débat ne demande à personne d’être ce qu’il elle n’est pas. On peut évidemment pratiquer la pole-dance sans être stripteaseuse. Ce n’est pas la question. La question, c’est pourquoi certaines ressentent encore le besoin de s’en distinguer publiquement. Ce réflexe révèle moins la discipline elle-même que le stigmate qui l’entoure – et les rapports de pouvoir qui continuent de peser sur celles qui l’ont fondée.
Les stripteaseuses qui ont pris la parole ne réclament pas la fusion des pratiques. Elles rappellent simplement que la pole-dance ne peut pas grandir en effaçant celles qui lui ont donné ses gestes. La mémoire des clubs ne disparaît pas parce qu’un sport devient « respectable ». Elle disparaît seulement quand on cesse de la nommer.
La pole-dance peut continuer d’évoluer, de se diversifier, de gagner en visibilité. Mais elle ne peut pas avancer en effaçant celles qui ont donné forme à ses gestes.
