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Comment Juergen Teller a bousculé la photographie de mode ?

Avec sa lumière crue, son art de la provocation et ses clichés de célébrités et de scènes prosaïques d’où naît une étrange beauté, Juergen Teller s’est forgé un style reconnaissable entre mille, à l’opposé des photos de mode glamour et aseptisées. Alors qu’il organisait ce vendredi 24 octobre, au sein de la galerie Yvon Lambert à Paris, une séance de dédicaces du livre « you are invited », lié à l’exposition du même nom actuellement visible à Athènes, Antidote en profite pour revenir sur le travail de ce photographe aussi iconique qu’iconoclaste, qui a renversé la photographie de mode avec son style imité mais jamais égalé.

Le photographe qui n’aimait pas la perfection

Depuis les années 1990, Juergen Teller impose son style cru, saturé de flash et sans retouches, au sein d’un milieu obsédé par la perfection : la mode. Peaux brillantes, regards directs, décors banals… Sur les clichés du photographe allemand, rien n’est lissé. Le glamour ne brille pas, il luit et transpire. Comme des manifestes contre la mise en scène sophistiquée, les photos de Juergen Teller ne cherchent pas à flatter, mais à révéler ce que la beauté cache : une certaine bizarrerie et une forme de vulnérabilité.

L’esthétique du flash et du réel

Le flash ? C’est l’arme favorite de Juergen Teller. Pas toujours flatteuse, la lumière crue de ses clichés empêche le mensonge. Elle jette littéralement un coup de projecteur, de manière chirurgicale, presque documentaire, quitte à surligner les défauts. Donnant l’impression d’avoir été prises sur le vif, ses images invitent la mode dans la vie réelle, ou l’inverse. Pas de décor grandiose ni de retouches miraculeuses : Juergen Teller préfère les angles maladroits, les poses étranges, et les annotations griffonnées. Cette esthétique brute dérange parfois, fascine souvent.

Les stars désacralisées

Du cliché de Victoria Beckham dans un shopping bag Marc Jacobs d’où ne dépassent que ses jambes, à celui de Kim Kardashian en train d’escalader un tas de terre les fesses en l’air : Juergen Teller adore l’anti-pose. Dans son œuvre, les icônes les plus glamours de la pop culture sont des personnages presque ordinaires, parfois ridicules, toujours humains. La célébrité n’est pas intouchable. Au contraire, c’est une matière avec laquelle il joue ; l’humour et l’absurde servant de miroir déformant au culte de l’image.

La photo pensée comme discours

Sous ses allures d’instantané cru, la photo de Juergen Teller est tout sauf naïve. Jouant avec la culture et ses symboles, comme lorsqu’il photographie Charlotte Rampling assise à un piano à queue sur lequel il est lui-même allongé nu, exposant son anus, ou l’écrivaine Joan Didion pour Céline (une image devenue manifeste d’une élégance cérébrale), Juergen Teller met en avant des visages loins de ceux auxquels la mode est habituée. Chez lui, le choix d’un sujet ou d’un cadre est un commentaire, que ce soit sur la mode, sur le pouvoir des images, sur notre rapport à la vérité. Pour peu qu’on observe son travail, on découvre alors un photographe conceptuel déguisé en provocateur.

L’humour et la provocation comme langage

Si Juergen Teller est devenu un grand photographe de mode, c’est sans doute parce qu’il a toujours mis un point d’honneur à ne jamais prendre ce milieu trop au sérieux. Parfois à la limite du grotesque, flirtant avec le laid, ses images oscillent entre ironie et tendresse. La maladresse, la fatigue, l’instant raté, saisi une seconde trop tard… Le photographe montre ce qu’on ne montre jamais et défie le bon goût pour précisément en faire jaillir une étrange beauté. La provocation n’est pas un effet de style gratuit, c’est une manière d’être sincère.

Un héritage puissant dans la photographie de mode contemporaine

Le regard cru et sans fard de Juergen Teller a ouvert la voie à toute une génération de photographes qui continuent, comme lui, de libérer la photographie de mode de son image aseptisée. De Harley Weir à Tyrone Lebon, beaucoup revendiquent cette esthétique du réel, entre beauté et gêne, art et mode. Dans les campagnes, les magazines, sur les réseaux sociaux… Son influence se retrouve partout. L’imperfection est devenue un style et la spontanéité une valeur. Mais parce qu’il ne cherche toujours pas à plaire, Juergen Teller reste inimitable.