Après avoir travaillé comme maroquinier chez Hermès ou dans le développement de nouveaux sacs chez Dior sous Raf Simons, le collectionneur franco-suisse Ian Archives se consacre aujourd’hui à sa collection d’accessoires de mode, regorgeant de trésors Y2K qu’il met en scène avec humour sur Instagram, sur ses muscles saillants ou dans des positions lascives. Cultivant le mystère, et parfois démarché par certaines des plus grandes célébrités de notre époque aimant les sacs de luxe, il s’est entretenu avec Antidote dans son appartement parisien pour parler de la passion qui l’anime depuis l’adolescence.
Henri Delebarre : Tu es connu comme collectionneur,
mais tu es modéliste dans la maroquinerie de formation. Quel a été ton parcours ?
Ian Archives : Je suis un nerd des sacs à main depuis l’adolescence, donc j’ai voulu en faire mon métier. Le travail manuel m’intéressait. J’ai grandi à Lutry, près de Lausanne, puis je suis venu à Paris pour faire un CAP maroquinerie. En 2010, j’ai commencé à travailler dans la production chez Hermès, à Pantin, où j’ai appris à fabriquer différents modèles de sacs, comme le Kelly, le Birkin, le Constance… Ensuite, j’ai bifurqué dans le développement, au sein du studio Dior, quand Raf Simons est arrivé. J’étais modéliste-prototypiste. Je faisais de la recherche, de la mise en volumes. Je créais des Salpa [du nom du matériau utilisé pour le développement de nouveaux modèles en maroquinerie, dont le toucher est similaire à celui du vrai cuir, NDLR], c’est un peu l’équivalent de la toile pour un vêtement. On venait me voir en mode : « Coucou, on aimerait une pochette qui ressemble à ce coussin », et moi je regardais comment on pouvait faire jusqu’à ce que ça ressemble vaguement à quelque chose dont on puisse faire un prototype. Le processus était vraiment génial, c’était hyper intéressant. Il y avait beaucoup de bricolage avec du scotch, de la Patafix… Je suis parti début 2017, environ un an après Raf Simons.
Comment est née ton obsession pour la mode et les accessoires ?
Via des visuels, je pense. J’ai découvert la mode à l’époque des campagnes Dior par John Galliano ou Gucci par Tom Ford. Il n’y avait ni les réseaux sociaux, ni cette instantanéité du numérique et des images. Donc les campagnes, tu les voyais partout pendant des mois, sur les abribus, dans les magazines… Les images avaient plus de temps pour nous imprégner et on avait plus de temps pour s’y intéresser. Les accessoires, c’est aussi ce qui était le plus accessible. Mon premier contact physique de la mode s’est fait par eux dans les grands magasins suisses, comme Bongénie, ou Globus. J’allais me promener, je voyais des sacs Gucci, des lunettes Dior… Je me souviens, quand je voyais une meuf dans la rue avec un sac Saddle Dior ou un sac Bedford en cuir vernis Louis Vuitton, je me disais : « Waouh ! », pour moi c’était des grandes dames !
Quand et comment as-tu commencé à chiner ?
Vers 14-15 ans, je dirais. Là où j’ai grandi, il y a beaucoup de dépôts-ventes. J’ai commencé à fréquenter ces endroits un peu par hasard, par contrainte économique, parce que je n’avais pas les moyens d’acheter ces choses plein pot. Un été, j’ai bossé pour la Migros [une chaîne de supermarchés en Suisse, NDLR], c’était horrible. Je me souviens très bien, je continuais à écumer les dépots-ventes et j’ai acheté un Kelly 32 box noir pour 1 500 francs suisses, à Ouchy [un quartier de Lausanne, NDLR], avec l’argent que j’avais économisé. Sans y toucher, je l’ai revendu 3 000, dans un autre dépôt-vente un peu plus loin. À partir de là, j’ai commencé à être plus assidu. Je me suis un peu auto-formé à la brocante, j’ai commencé à me faire un œil. C’est comme au Casino : quand tu gagnes, tu y retournes. Je me disais qu’il y avait des trucs vraiment pas chers et j’étais sûr que ça pouvait valoir un peu plus. Encore aujourd’hui, si tu savais ce que je trouve dans les dépôts-ventes en Suisse… Il n’y a pas trop cette hype autour du vintage. Une tenue Alaïa en léopard de 1991 par exemple, ils vont te la vendre 120 euros… Ils ne vont pas se dire : « Waouh, c’est un truc d’archives, c’est hyper cool ». Les dames qui fréquentent ce genre d’endroits, elles cherchent un Birkin noir pour moins cher qu’en boutique. Tu vas y trouver un sac Chanel de ouf des années 90, un truc de la collection « Barbie », ou un autre truc ultra référencé, mais ça ne va pas se vendre. C’est ni New York, ni Paris. Il n’y a pas de millennials comme à Los Angeles prêt·e·s à mettre 5 000 dollars dans un truc des années 90, c’est un peu que des vieilles bourges. Pendant quelques années aussi, à la fin des années 2000, je me suis fait un peu d’argent quand Louis Vuitton sortait des éditions limitées. Ils faisaient des sacs Neverfull avec le nom d’une ville écrit dessus. Le modèle Palm Beach n’était vendu qu’à Palm Beach, le Saint-Tropez qu’à Saint-Tropez… Et une fois, je suis tombé sur un site américain qui revendait ça hyper cher. Et comme Louis Vuitton avait sorti un modèle Saint-Moritz en Suisse, j’en ai acheté 4-5 et je les ai revendus à Fashionphile, un site spécialisé dans la seconde main de luxe à Los Angeles… J’avais dû les contacter par mail en mode : « Je vois que vous revendez des sacs, je suis en Suisse, je peux vous avoir des Neverfull Saint-Moritz…».
Où chines-tu principalement ?
Sur Vinted. Mais j’ai l’impression qu’il y a un retour aux
boutiques physiques. Ces deux dernières années, toutes les très bonnes affaires que j’ai faites, c’était dans des boutiques. J’ai acheté un cabas Goyard pour 100 balles. Hier, j’ai acheté un Baguette de Fendi et un sac Gucci Mors de Tom Ford pour 450 euros… Mais dans des boutiques un peu hardcore, un peu pour les initiés, parce que parfois t’y trouve aussi des faux trucs. Il n’y a pas de belle devanture, il faut être un peu aventurier. Mon grand plaisir c’est de chercher l’objet, de le trouver, de le nettoyer, de le rentrer dans mon inventaire, de lui mettre un numéro pour l’assurance… Je suis plus un collectionneur qu’un marchand. Je suis content quand j’arrive à avoir quinze Jackie dans plusieurs couleurs. Parfois, j’ai un peu des lubies. En ce moment, je ne sais pas pourquoi, j’achète beaucoup de Lady Dior. Il m’arrive aussi d’acheter des choses que je n’aime pas forcément, mais je me dis qu’il y a une logique. Par exemple, j’ai le Bouvier de Gucci avec le mousqueton, le Jackie par Tom Ford avec le mousqueton à piston carré et celui avec le piston rond. J’aime moins mais je me dis : « Ah, ce serait quand même bien de l’avoir ».
« Encore aujourd’hui, si tu savais ce que je trouve dans les dépôts-ventes en Suisse… Une tenue Alaïa en léopard de 1991 par exemple,ils vont te la vendre 120 euros… »
Tu dois être pas mal sollicité pour ton expertise…
J’ai pas mal de propositions du monde de la seconde main. On m’a demandé de faire des formations pour des plateformes. J’ai déjà vendu des choses à des patrimoines de maisons aussi, comme des chaussures Dior par Roger Vivier de 1959 en toile de Jouy rose.
C’est quoi ton acquisition la plus improbable ?
[Il part dans une pièce puis revient avec une petite boîte Hermès] Il faut que je te montre ça. [Il en sort un sac miniature rose chewing-gum, doté de bras, de jambes, d’une bouche et de yeux en métal surmontés de sourcils] Ça, c’est drôle. C’est mi-moche, mi-culte. C’est le « Kelly Doll », un jeu de mots avec « doll » et « quelle idole »… C’est un truc que Jean-Louis Dumas a sorti pour l’an 2000. Il a été décliné en cinq ou six couleurs. Ça, c’est une version beaucoup plus récente. Ça vaut entre 60 000 et 70 000 balles, parce qu’il y a un gros marché spéculatif autour d’Hermès. [Il le pose à côté de lui, sur le canapé] J’en ai plusieurs, parfois j’essaie de leur faire faire des trucs sales, mais c’est un peu compliqué [rires].
« Ce qui est intéressant avec la marchandise vintage, c’est que c’est devenu un marché très valorisé, qui s’est développé un peu comme le marché de l’art. »
Tu mets justement en scène ta collection sur Instagram via des photos jouant avec les codes homoérotiques et BDSM. Comment as-tu eu cette idée ?
C’est venu comme ça. Je pense à un truc drôle, je le fais, ça m’amuse. J’ai plus de liberté parce que j’ai lancé mon Instagram quand je n’étais plus salarié [rires]. Ça intrigue, aussi. J’en montre beaucoup mais je n’en dis pas beaucoup. On ne sait pas d’où je viens, ce que je fais… Il y a un espèce de mystère et cette idée d’accumulation, ces grosses quantités de sacs de luxe, ça interroge.
Quel sera le prochain it-bag à faire son retour selon toi ?
Franchement, je ne sais pas ! J’aimerais bien que Saint Laurent réédite le Mombasa, le sac hobo de Tom Ford avec la poignée en corne. Après, je ne pense pas à un sac en particulier mais plutôt à un designer. Comme Christian Lacroix. Je trouve qu’il n’est pas apprécié à sa juste valeur. Dans la vibe actuelle de l’archive hyper cool, avec des stylistes comme Law Roach, je ne comprends pas qu’il n’y ait pas plus d’engouement autour de lui, ou d’Emanuel Ungaro.
C’est quoi la pièce la plus sous-cotée en ce moment ?
Je pense que même si je le savais, je ne te le dirais pas [rires] ! Mais la ligne Travel de Chanel des années 2000, c’est pas très cher. C’est drôle pourtant car ce sont des sacs en toile très mignons, complètement Y2K. Si tu veux t’acheter un truc un peu cool sans avoir un budget énorme, c’est un peu le bon plan. Pour 400 balles, tu peux trouver un modèle vraiment sympa.
Il y a des périodes plus propices aux bonnes affaires ?
Il faut juste acheter ce qui est encore dans le creux de la vague. Une fois, What Goes Around Comes Around – qui est vraiment la boutique cool pour acheter du vintage à Los Angeles, les Kardashian et les Hadid se fringuaient là-bas – m’a demandé des trucs en mesh Jean Paul Gaultier des années 1990-2000, quand c’était pas encore trop revenu à la mode. Je me suis dit : « Si ils me demandent ça, ça veut dire que dans six mois c’est sur toutes les meufs du game ». Ces pièces vintage ont eu tellement de succès que même la maison a fait des rééditions. Ce qui est intéressant avec la marchandise vintage, c’est que c’est devenu un marché très valorisé, qui s’est développé un peu comme le marché de l’art. Il y a une rareté. Donc quand, en 2017, tout le monde en veut à nouveau, les prix explosent. La maison de vente anglaise Kerry Taylor a récemment vendu une robe Dior de l’automne-hiver 2000/2001 avec l’imprimé journal de John Galliano 65 000 livres ! Il y a dix ans, dans un dépôt-vente, je pense que t’en trouvais une pour 300 balles.
Qu’est-ce que tu penses d’ailleurs de toutes ces rééditions ?
Je pense que globalement, ça traduit le fait que la création est quand même assez pauvre en ce moment…
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