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À nouveau en compagnie de ses camarades de Gossip, Beth Ditto n’a rien perdu de son aura queer et de son énergie légendaires. Avec « Real Power », le trio réussit l’épreuve du come-back et rend compte de l’évolution politique et sentimentale de sa chanteuse. Retrouvez son interview ci-dessous, issue du numéro printemps-été 2024 d’Antidote.
Il y a une vingtaine d’années, à Olympia, dans l’État de Washington, trois ami·e·s en quête de punk se retrouvent dans un garage pour former le groupe Gossip. Aux dernières heures du grunge, à quelques pas de la maison où Kurt Cobain a composé son éternel « Smells Like Teen Spirits », Beth, Nathan, Kathy (et bientôt Hannah) marchaient dans les pas d’une dynastie glorieuse de rockstars américaines dont il·elle·s allaient bientôt devenir les dernier·ère·s héritier·ère·s. Après le succès de Standing In The Way Of Control (2006) vint en 2009 l’album Music For Men, co-produit par le grand Rick Rubin, et un succès mondial pour ce groupe qui incarne aujourd’hui la dernière flamme du grand brasier autour duquel dansèrent Jimi Hendrix, Joan Jett, Mick Jagger et Courtney Love.
Il fallait les voir sur scène, à la fin des années 2000 ! Beth chantant le refrain de « Heavy Cross » en escaladant les gradins, propageant dans les cœurs d’une nouvelle génération – la mienne – ces notes de rébellion qui avaient tantôt résonné en elle, à l’âge des grandes batailles et des premiers amours. « I trust youuu », hurlait-elle. Une main agrippée au micro, l’autre aux rambardes de Paris-Bercy, elle laissait résonner, bouche grande ouverte, sa voix électrique tandis que ses larmes se mêlaient à sa sueur… Liberty !
Une quinzaine d’années plus tard, les voici de retour après s’être chacun·e consacré·e·s à leurs propres aventures. Beth a trouvé l’amour, Nathan a retrouvé la ville de son enfance… Il était temps de retrouver leurs vieux·illes ami·e·s : Hannah et Rick Rubin. Cap sur Hawaï, où celui qu’on connaît pour avoir produit System of a Down, Metallica, Shakira ou encore Jay-Z, les a accueilli·e·s pour enregistrer ce nouvel album. Plutôt qu’un retour au son qui les avait fait connaître, Real Power permet à Gossip de s’actualiser et de définir de nouveaux contours blues rock. Composé de chansons que Beth avait dans ses tiroirs depuis plus de quatre ans, celui-ci capture ses introspections et la révolte qui l’animaient lors des confinements successifs.
Rompue à l’exercice de l’interview, Beth n’en est pas moins heureuse de nous accueillir, un soir de novembre, dans une chambre de l’hôtel Hoxton, à Paris. Quelques semaines plus tôt, elle annonçait le retour de Gossip avec un premier single et la signature d’une tribune pour appeler à un cessez-le-feu à Gaza. De quoi démarrer une entrevue dans laquelle ses idéaux politiques se mêlent à ses souvenirs d’adolescence, de l’Arkansas à Portland en passant par Hawaï.
Robe en crêpe plissée, Balenciaga.
Thémis Belkhadra : Salut Beth, tu ne sembles toujours pas décidée à garder ta langue dans ta poche, pas vrai ?
Beth Ditto : Les choses ne vont pas en s’arrangeant, je crois que le monde part bel et bien en vrille cette fois… Enfin bref, ça te dérange si je vapote ?
Aucun souci !
Je préfère poser la question avant de passer pour la vieille tante accro à la fumée. [Elle prend un voix rauque et recrache la fumée, NDLR] Tu veux me demander quoi, petit ?
Je me demandais pourquoi tu avais signé une lettre ouverte pour un cessez-le-feu à Gaza, en octobre dernier ?
Tu sais, j’ai beaucoup de mal à comprendre qu’on puisse diaboliser celles et ceux qui défendent les droits des Palestinien·ne·s… Il n’est question que de justice et d’égalité.
Tu interagis souvent avec la sphère militante ?
Pas vraiment… En fait, j’ai dû prendre mes distances avec l’activisme en ligne, et particulièrement avec Instagram, après que l’avortement a été banni dans plusieurs États américains. Je ne m’épanouissais pas du tout là-dedans, au contraire : cela me rappelait seulement à quel point nous sommes seul·e·s et effrayé·e·s.
Manteau à capuche en laine, chemise noire et jupe longue, Yohji Yamamoto. Ballerines, Marsèll.
« Le colonialisme, le racisme, l’homophobie, les violences sexistes… Ces plaies existent et doivent toutes être dénoncées. »
C’est difficile de parler politique en tant qu’artiste ?
En règle générale, pas du tout ! Ça ne m’a jamais dérangé de m’exprimer sur des sujets qui me tiennent à cœur. C’est juste que je n’ai pas toujours les bons mots pour expliquer ce que je ressens… J’essaie simplement de défendre ce qui me paraît juste.
Sur un sujet comme la Palestine, c’est plus compliqué parce que je suis une femme cis, blanche et protestante originaire du Sud des États-Unis : je ne peux en aucun cas comprendre l’expérience d’une personne arabe, juive ou musulmane. Je ne fais pas l’expérience du racisme qui vise ces communautés, donc je reste prudente sur le sujet. En revanche, je crois qu’on peut tous·tes voir que quelque chose ne tourne vraiment pas rond là-bas. Peut-on juste arrêter de tuer des innocent·e·s ? Le colonialisme, le racisme, l’homophobie, les violences sexistes… Ces plaies existent et doivent toutes être dénoncées. Un crime ne devrait pas en justifier un autre, et le monde ne devrait pas être aussi polarisé : on peut prendre soin de tout le monde en même temps.
Lunettes de soleil masque, Vaquera.
Je suis complètement d’accord. D’ailleurs, ça me fait penser à ce nouvel album…
Ah ouais, l’album ! Pardonne-moi, je vais te parler de tout sauf de ça [rires, NDLR]. Comment va ta mère ? Naissance facile ou compliquée ? Et quel est ton signe astrologique ?
Je suis Vierge…
Oh, et t’as les yeux marrons. Les personnes qui me sont le plus chères sont toutes des Vierges aux yeux marrons.
Veste de smoking, Sankuanz.
Ah, vraiment ? J’espère être à la hauteur ! L’astrologie, ça compte beaucoup pour toi ?
Parfois, oui… Je m’imagine que je peux deviner le signe des gens en les observant, et ça me plaît lorsque j’arrive à viser juste. C’est drôle et mignon, mais pas si sérieux… Rien n’est si sérieux, en vérité.
Ça fait un moment que vous n’aviez plus enregistré ensemble avec Gossip. Entre-temps, tu as sorti un album en solo. Comment as-tu vécu toutes ces années ?
Tout ça s’est passé de façon naturelle… Nathan était parti vivre en Arkansas, donc c’était devenu difficile d’enregistrer ensemble. Et c’est peut-être ce qui a rendu ce nouvel album possible, car nous ne sommes pas du genre à prévoir les choses à l’avance.
« En réalité, je n’ai pas l’impression de “ reformer ” le groupe : personne n’a jamais dit que nous étions séparé·e·s. »
En réalité, je n’ai pas l’impression de « reformer » le groupe : personne n’a jamais dit que nous étions séparé·e·s. L’album solo, c’est ce qui s’était imposé à ce moment. Ce qui aurait dû arriver, c’est que je prenne une vraie pause de tout ça – peut-être même pendant 10 ans – mais l’industrie ne m’aurait pas laissé le faire.
En vérité, on n’a jamais arrêté de faire des choses ensemble. Si nous n’avons pas enregistré cet album plus tôt, c’est juste parce que nous n’en avions pas envie. La musique, c’est pas comme le nouveau modèle d’un téléphone qui sort tous les ans. Ça doit venir de l’intérieur, tu dois en avoir envie. L’art ne devrait jamais devenir un job, ou un puzzle à recomposer. Autant tout arrêter !
Trench, soutien-gorge et jupe longue en latex, Atsuko Kudo. Boucles d’oreilles monumentales, Balmain.
Pour cet album, vous avez retrouvé Rick Rubin, avec qui vous aviez produit Music For Men. Ce mec est une légende ! C’est comment de bosser avec lui ?
C’est vrai que c’est une légende. J’hallucine en voyant la liste d’albums sur lesquels il a travaillé. Et il fait ça depuis que je suis toute petite… C’est tellement cool ! Mais je crois que j’aime d’autant plus l’être humain qu’il y a derrière le producteur. La communication, c’est crucial pour moi : je ne peux pas travailler avec quelqu’un avec qui je n’arrive pas à discuter. Il faut qu’il y ait une discussion, de l’amitié, une connexion… Composer de la musique, ça rend vulnérable et ça peut faire peur, mais Rick a un vrai talent pour te rappeler que tu as de la valeur et que tu es à ta place. Lorsque tu arrêtes de te prendre au sérieux, lui continue de le faire. C’est vital pour des personnes comme nous.
Dis m’en plus sur cette relation que tu aimes avoir avec tes bandmates ?
Je ne peux pas débarquer dans un studio, mettre mon casque et chanter. J’ai besoin de connaître les personnes avec qui je travaille. « Ça va ou quoi ? T’as déjà écouté ce morceau ? Qu’est-ce que tu penses de ceci ? Et de cela ? ». Il faut que j’ai confiance en toi et en tes goûts, que tu sois le genre de personne avec qui je puisse être honnête, et que nous soyons capables d’être en désaccord. C’est pour ça que j’aime autant Rick : il sait discuter. Il n’est pas toujours du même avis que toi, mais il ne prétend jamais savoir mieux que quiconque ce qui est juste. Avec lui, tu peux avoir un retour sincère, sans jamais être poussée dans une certaine direction. Les gens te diront que c’est un gourou ou un thérapeute – et c’est peut-être vrai – mais je l’ai toujours vu avant tout comme un ami, un membre de ma famille.
Manteau destructuré, chemise noire et jupe évasée, Yohji Yamamoto. Ballerines, Marsèll.
J’imagine que ça doit être le cas aussi pour Nathan, que tu connais depuis le lycée…
Longue histoire ! On a grandi en Arkansas, dans de tout petits villages, et on s’est rencontré·e·s quand j’avais 13 ou 14 ans. Nathan vivait près d’une ferme à côté de laquelle il vit toujours aujourd’hui, pas très loin de chez ma mère. À l’époque, le grunge était en train d’exploser et nous a donné accès à un tas de musique incroyable – à commencer par celle de Nirvana. Via Nirvana, on a aussi découvert plein d’autres groupes dingues, comme The Raincoats, The Vaselines ou David Bowie. Je m’intéressais aussi aux sons de la Motown, et Nathan à des groupes comme Bikini Kill, mais on était déjà tous les deux très influencé·e·s par le grunge avant de se rencontrer.
Bref, ma mère était infirmière et son collègue avait une fille, Kathy, qui venait d’arriver en ville. On aimait toutes les deux cette scène alternative des 90’s donc on s’entendait bien. On traînait ensemble et elle étudiait au même lycée que Nathan. C’est comme ça que, petit à petit, les liens se sont resserrés entre nous. Nathan avait deux ans de plus, et il se produisait déjà sur scène quand on avait 14 ans. C’était le cool incarné. Il n’aime pas que j’insiste là-dessus, mais il ne me calculait même pas à l’époque : j’étais pas assez cool [rires, NDLR].
Quand Nathan et Kathy ont reçu leur diplôme, il·elle ont bougé à Olympia [dans l’Etat de Washington, NDLR] – la ville où vivaient Kurt Cobain et les Bikini Kill, à une heure au sud de Seattle. Je crois que c’est là-bas que Kurt a écrit « Smells Like Teen Spirit ». Deux ans plus tard, diplômée à mon tour, j’ai suivi le mouvement et suis arrivée à Olympia, à 18 ans. Il y avait toute cette bande de l’Arkansas qui se retrouvait dans des garages, et Nathan jouait déjà dans une cinquantaine de groupes. Un jour, Kathy est montée en trombe dans les escaliers et m’a demandé si je voulais chanter pour leur groupe de blues. C’est comme ça qu’est né Gossip, et ça ne s’est jamais arrêté depuis.
« Quand on vivait encore en Arkansas, tout le monde nous trouvait débiles et personne ne s’intéressait à nous. Mais Nathan a toujours su en faire sa force, c’est ce qui le rendait si cool : c’était un marginal avec de la trempe et du style. Il m’a vraiment beaucoup appris. »
Veste de tailleur, Sankuanz.
« Le luxe que nous poursuivions, c’était celui de pouvoir vivre et faire de la musique. »
À quoi ressemblaient vos premiers shows ?
On avait trois morceaux, très courts et pas vraiment bons mais je n’en avais rien à faire. On ne se souciait vraiment pas du fait que ça sonnait bien, on voulait juste jouer. Un jour, Nathan est entré et nous a dit qu’on avait un show – on n’avait même pas encore de nom ! Quand on vivait encore en Arkansas, tout le monde nous trouvait débiles et personne ne s’intéressait à nous. Mais Nathan a toujours su en faire sa force, c’est ce qui le rendait si cool : c’était un marginal avec de la trempe et du style. Il m’a vraiment beaucoup appris.
On dirait que vos débuts étaient vraiment improvisés. Comment expliques-tu que ça ait si bien marché par la suite ?
Parce que ça l’est resté : improvisé et bordélique ! C’est toujours comme ça aujourd’hui, et c’est ce qui marche ! Plus les gens essaient de lisser leur musique, d’arrondir les angles et de se faire passer pour moins chaotiques qu’ils ne sont, moins ça fonctionne. C’est pour ça que c’est aussi bon de travailler avec Rick : il nous laisse étaler notre bordel chez lui, il n’y a aucun sens du planning, pas d’horaires… Bon, ça finit peut-être par coûter un peu cher, mais ça vaut le coup.
Quand je l’ai rencontré, j’avais à peu près ton âge, 27 ans je crois, et la première question que je lui ai posé c’était : « On commence par quoi ? Quel est le processus ? ». Il ne comprenait pas, alors j’ai demandé : « Comment est-ce qu’on va enregistrer cet album ? ». Il ne réfléchit pas de cette façon, alors il m’a simplement répondu que l’on saura quand ce sera fini. C’est là que j’ai compris que nous étions entre de bonnes mains. Je m’attendais à trouver un professeur mais c’était l’inverse : tout ce que nous voulions faire, nous pouvions le faire.
Boucles d’oreilles translucides en cristal, Hugo Kreit.
Quel job de rêve : être Rick Rubin…
Oh putain, ouais ! Mon dieu… le kiff ! Tu veux enregistrer un album : tu fais tes bagages et tu pars pour Hawaï. Qui ne rêve pas de ça ?
Est-ce que vous imaginiez une telle réussite ?
Tu sais, avec Gossip, on n’a jamais imaginé une seule seconde qu’on ferait tout ça. On était zinzins mais réalistes. Le luxe que nous poursuivions, c’était celui de pouvoir vivre et faire de la musique. Le cool, pour nous, c’était le punk, donc il n’était sûrement pas question d’enregistrer des disques à Hawaï. Aujourd’hui, c’est différent. On est en 2023, le monde va mal et je crois que j’ai assez vécu dans la pauvreté comme ça [rires, NDLR]. Je ne me sens plus coupable de gagner un peu d’argent grâce à ma musique.
https://www.youtube.com/watch?v=nVQjzru4Id8
C’est quoi le « vrai pouvoir » qui donne son titre à votre nouvel album ?
C’est marrant parce que je ne voulais pas l’appeler comme ça… Pour une fois, je ne voulais pas que le titre de l’album soit celui d’un des morceaux. Ces chansons sont dans mes tiroirs depuis si longtemps… Ça fait peut-être quatre ans, mais quand est enfin venu le moment de le sortir, tout s’est précipité. On avait un mois pour tourner le clip, faire la pochette, trouver le titre… « Real Power » s’est imposé naturellement, mais il y a quelques jours j’ai appelé Nathan car je voulais tout changer et l’appeler « Act of God »… Ça aurait été tellement mieux ! Mais c’était déjà trop tard…
Robe longue à détail doré et combinaison intégrale, Marine Serre. Boucles d’oreilles translucides en cristal, Hugo Kreit.
« J’ai vécu bien plus longtemps à Portland que nulle part ailleurs. C’est ma maison, mon foyer. Et la raison pour laquelle je vis
là-bas, c’est parce que j’ai besoin de vivre entourée de gens capables de se révolter et de dire que ça suffit. C’est là que je me sens bien : là où j’entends des gens manifester chaque jour devant ma fenêtre. »
Mais l’album porte très bien son titre…
C’est un morceau que j’ai écrit à l’époque du mouvement Black Lives Matter. J’étais à Portland à l’époque, et je voyais les médias décrire une ville en proie aux flammes façon Wild Wild West… J’avais vraiment envie de défendre ma ville. Je viens de l’Arkansas, j’en parle tout le temps, c’est vrai, mais j’ai vécu bien plus longtemps à Portland que nulle part ailleurs. C’est ma maison, mon foyer. Et la raison pour laquelle je vis là-bas, c’est parce que j’ai besoin de vivre entourée de gens capables de se révolter et de dire que ça suffit. C’est là que je me sens bien : là où j’entends des gens manifester chaque jour devant ma fenêtre. À l’époque de la Covid, je ne pouvais pas sortir de chez moi car j’ai une maladie auto-immune, mais je passais chaque jour à ma fenêtre pour soutenir les manifestant·e·s. On touche pas à ma ville ! J’en suis très fière : toutes les personnes de couleur, les punks, les queers… Chacun·e y apporte son éclat, et c’est vraiment magnifique.
[L’agent de Beth Ditto entre, NDLR] Mince, j’avais encore tellement de questions…
Oh… Tiens, prends mon numéro ! Désolé, on ne nous laisse jamais assez de temps. Appelle-moi d’accord, on continuera cette discussion plus tard… C’était un plaisir !
Veste six boutons en tweed, Balmain. Boucles d’oreilles avec nœud en satin, Hugo Kreit.