Fluidité des genres : n’existe-t-il vraiment que deux sexes ?

Article publié le 12 juin 2016

Texte : Thomas Kelem
Photo : Benjamin Lennox pour Magazine Antidote : Now Generation

De Caitlyn Jenner et Laverne Cox aux vêtements unisexes, la question du genre agite plus que jamais nos sociétés. Malgré un mouvement vers l’acceptation, les personnes concernées et notamment les jeunes ont toujours du mal à assumer qui ils sont réellement. La théorie américaine de la Licorne du Genre décompose le « sexe » et discrédite la bipolarisation manichéenne des rôles. Le début d’une nouvelle ère.

La question du genre est, depuis des générations, un sujet brûlant dans l’industrie de la mode. L’année dernière, ce thème a été propulsé sur le devant de la scène, lorsque des marques prestigieuses comme Gucci, J.W. Anderson ou Hedi Slimane ont brouillé les frontières sur les podiums et dans leurs campagnes de communication. Hollywood a aussi eu son rôle à jouer dans la déconstruction des stéréotypes. La fascination qu’exercent les transgenres – due notamment à l’avènement de Caitlyn Jenner, le travail de l’actrice transgenre Laverne Cox ou à Transparent, la série télé très récompensée traitant du thème du genre – a eu un impact significatif sur la psyché culturelle globale. De fait, les retombées sont visibles et certaines boutiques proposent au sein de leurs locaux des espaces consacrés aux vêtements neutres ou unisexes, afin de s’adapter à cette forme spécifique d’expression individuelle.

La physique quantique et la théorie des cordes témoignent de la nature fluide de l’univers et, par effet de miroir, de la nature fluide de l’être humain. Plus la population mondiale augmente, plus le potentiel de variation augmente. Nous percevons de plus en plus à quel point chaque expérience individuelle est riche en possibilités. Cependant il existe un certain décalage entre l’expression individuelle de ces variations, les relations sociales, interpersonnelles et sociétales normées, et ce que cette société attend de chacun de nous. Pour moi, tout a commencé avec Sigmund Freud. Son idée que tout individu est intrinsèquement bisexuel m’a libéré du carcan d’un monde où chacun est confiné dans un rôle prédéfini et figé. Il existait en fait une place pour les gens qui n’entraient pas dans ces schémas.

Tamy Glauser @ Next Management
Pull vintage. Pantalon taille haute boutonné et bottines en cuir, Sandro. Serre tête en métal porté en collier, Chanel.
Réalisation : Yann Weber. Casting : Beth Dubin. Coiffure : Yannick D’Is. Maquillage : Tiziana Raimondo.

Leo Jensen @ Scoop Models
Pull blanc en crochet, Helen Lawrence. Pantalon en denim rayé, Loewe. Ceinture en cuir, Dior Homme. Tennis en cuir, Reebok vintage.
Réalisation : Tuomas Laitinen. Casting : Beth Dubin. Coiffure : Louis Ghewy. Maquillage : Tiziana Raimondo.

Savoir cela m’a donné le courage d’explorer des sensations que j’avais au fond de moi sans savoir vraiment d’où elles venaient. Carl Jung m’a ensuite éclairé avec sa théorie selon laquelle des caractéristiques masculines et féminines cohabitent en chacun de nous à l’état fluide et que leurs proportions varient d’une période à l’autre. Parfois deux corps et esprits convergent et s’unissent dans l’acte d’amour et nous nous retrouvons en dehors du système binaire. Nous ne sommes alors plus la personne que nous semblions être. Nous sommes l’être. Les jeunes d’aujourd’hui se sentent moins obligés de jouer un rôle social figé ou d’exprimer une identité prédéterminée. Ils explorent, expérimentent et vivent de manière plus authentique et à l’écoute de leur intégrité. Pour certains, l’identité sexuelle est définie et intégrée dans l’espace et le temps. Pour d’autres, elle est changeante. Pour d’autres encore, la quête d’identité s’avère être une indomptable chevauchée sauvage. Il est vrai que la rigidité du monde est en train de se fissurer, de laisser place à une multitude d’identités, d’expressions de soi et tend à célébrer l’individualité.

Malgré tout, ne prenons pas à la légère les difficultés à vivre sa propre vérité au sein d’une société construite sur la bipolarisation manichéenne des rôles en fonction du sexe et des attentes stéréotypées en matière d’expression de soi. La majorité des gens n’est pas prête au lâcher prise. Chacun doit lutter pour trouver sa place. Des luttes au sein de la famille, de l’école, dans la société et des combats juridiques. L’environnement évolue, certes, mais bien trop lentement pour vraiment soulager le traumatisme de vivre dans un monde qui n’accepte, ne cautionne ni ne respecte notre propre vérité. Avec la présence croissante des transgenres dans les médias, certains préjugés disparaissent et autorisent une plus grande visibilité dans la société. Toutefois, se sentir libre d’explorer et de jouer avec son genre et sa sexualité est une chose, mais c’en est une autre de vivre, travailler et trouver une crédibilité en tant que personne de genre « hors normes ».

La majorité des gens n’est pas prête au lâcher prise. Chacun doit lutter pour trouver sa place.

La société actuelle offre tout de même une plus grande acceptation des différences, des possibles. La classification binaire X ou Y de l’identité sexuelle et de l’expression de soi n’a plus lieu d’être. Et cette ouverture aide les jeunes à se révéler plus tôt et plus facilement que les générations précédentes. Plus les mécanismes d’affirmation de genre et de modifications hormonales appropriées se font tôt, plus l’accès à une vie sereine et confortable se fera sainement.

Nous aimons utiliser la « Licorne du Genre » pour expliquer certains concepts complexes. Le graphique, créé par le TSER (le fonds d’éducation pour les étudiants transgenres), a été inventé par Landyn Pan et Anna Moore. Il propose une décomposition de ce que l’on appelle communément le « sexe » en 5 catégories distinctes :

– L’identité de genre : c’est le genre que nous savons avoir. Généralement, c’est un sentiment ou une certitude intime.
– L’expression du genre : c’est l’image que nous renvoyons, les vêtements que nous portons, notre manière de nous exprimer.
– Le sexe assigné à la naissance : déterminé par notre corps physique apparent.
– L’orientation sexuelle : par qui nous nous sentons attirés sexuellement.
– L’orientation romantique : par qui nous nous sentons attirés affectivement.

Ces distinctions aident à la compréhension tout en sortant du schéma familier binaire X ou Y, homme ou femme. Ces questions nous concernent tous et chacun d’entre nous les ressent de manière différente. La Licorne aide aussi à associer les différentes facettes du genre aux différents aspects de nous-mêmes. L’identité du genre, par exemple, est un concept, une construction sociale que nous ressentons au niveau émotionnel et intellectuel. L’expression du genre concerne notre apparence extérieure et ce que nous choisissons de montrer au monde. Le sexe assigné à la naissance est principalement la conséquence de nos parties génitales. Nos orientations sexuelle et affective viennent du fond du coeur.

Sol Goss @ Supa Model Management
Robe brodée en polyester, Ashish. Chaussures de sport en cuir, Nike vintage.
Réalisation : Anders Sølvsten Thomsen. Casting : Beth Dubin. Coiffure : Samantha Hillerby. Maquillage : Tiziana Raimondo.

Plutôt que de lutter contre leur propre corps, de refouler des sentiments de trahison envers leur intégrité ou de subir les micro-agressions quotidiennes dues au fait de ne jamais se sentir bien dans leur peau, les jeunes ont l’opportunité de vivre dans le respect de leur identité pendant une grande majorité de leur vie. Ce périple n’est cependant pas de tout repos et requiert patience, force, soutien et accompagnement. Transformer son corps de manière à ce qu’il corresponde à ses critères intimes n’a rien de facile. Il faut passer par des injections d’hormones, des pansements, des bandages, des liposuccions, d’éventuelles opérations chirurgicales, des démarches administratives (changer de nom, de sexe, éditer de nouveaux actes de naissance, passeport, assurances, refaire les dossiers scolaires dont le nom ne correspond plus, toutes les choses qui serviront à expliquer l’incohérence de notre passé professionnel lors d’un entretien d’embauche, les dossiers de candidature universitaire, vérifications de solvabilité bancaire, dossiers de location et d’interminables autres soucis du quotidien.)

Il n’est pas aisé de vivre en tant que personne transgenre, ou dont le genre n’est pas conforme aux règles établies ni à la dualité sexuelle normative. Cette vie peut paraître excitante. Elle peut inspirer aux gens qui ne sont pas vraiment concernés par le sujet, le désir libertaire de s’exprimer au-delà des frontières habituelles. Mais cela n’a rien à voir avec le fait de la vivre au quotidien. Avec le temps, les identités de genres évoluent, ainsi que leur perception. Peu à peu la société va vers plus de compréhension et de tolérance. Nous ne sommes plus en présence du système manichéen de Freud qui opposait désir réprimé et intégrité sexuelle. Nous évoluons vers un système plus diversifié et puissant d’individualités et d’identités indépendantes. Notre rôle futur est de continuer à militer pour l’acceptation des genres qui n’entrent pas dans les schémas érigés par la société afin de nous accorder au mieux à la jeunesse d’aujourd’hui.

Cet article est extrait du dernier numéro du Magazine Antidote : Now Generation, disponible sur notre eshop.

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