Les confessions de Kiddy Smile

Article publié le 14 juillet 2016

Texte : Patrick Thévenin
Photo : Andre Atangana

Voguing, queer et cités, son nouveau clip Let A Bitch Know devrait faire parler de lui. Depuis quelques années, Kiddy Smile est de toutes les nuits parisiennes, un pied dans la danse, un autre dans la scène voguing, une main dans la musique et l’autre dans la mode. Géant black, homo assumé, bête de look, le danseur, chanteur et musicien a déjà vécu mille vies et n’a jamais la langue dans sa poche. Confessions.

LES FRINGUES

J’ai grandi dans une cité à Rambouillet près de Versailles, la seule de la ville d’ailleurs. J’allais dans un collège où les gens avaient plutôt de l’argent, et même si ce n’était pas la folie des marques actuelles, c’était quand même clivant. Tu t’aperçois que tu reçois la même éducation, mais que tu es séparé vestimentairement, et ça se voit que tu ne fais pas partie du même monde. Ma mère était très coquette, c’est elle qui m’a donné cet amour du vêtement, elle qui m’a fait prendre conscience que la première chose que les gens jugeait, c’était ce qu’ils voyaient. J’ai construit mon identité vestimentaire en ayant conscience que c’était fort et que ça devait susciter de l’émotion ou de la réaction. Je suis pédé, je suis noir, je mesure presque 2 mètres, autant que je prenne le contrôle sur ce que les gens vont penser de moi. Si tu te trimballes avec une fourrure verte sur le dos, il y a deux types de réaction, c’est : « c’est quoi ce pédé ! », soit « ah c’est génial, ça lui va bien ! » Même quand je m’habillais hip hop, c’était très coloré, je mettais des chaussures très vives, des joggings peau de pêche orange.

LA DANSE

J’étais un ado très turbulent et en révolte, je faisais beaucoup de bêtises, je volais des fringues dans les boutiques, mais la danse m’a permis de me remettre dans le droit chemin, et m’a offert la possibilité d’aspirer à autre chose que ce qui m’était prédestiné. C’est à cette période, j’étais encore au lycée, que j’ai commencé à avoir quelques petits jobs dans le hip-hop, j’ai fait quelques clips, le premier c’était “An Easier Affair“ de Georges Michael, un truc très bien payé. Ca m’a permis de gagner tôt un peu d’argent, de pouvoir aller plus souvent à Paris et de développer des connexions qui m’ont donné la possibilité de quitter définitivement Rambouillet, car sans la danse je serais peut-être opticien ou en prison, va savoir.

« Pendant très longtemps je n’avais pas de sexualité car j’étais “le gros“ et pourtant je savais bien au fond de moi-même que j’étais attiré par les garçons. »

L’HOMOSEXUALITÉ

Pendant très longtemps je n’avais pas de sexualité car j’étais “le gros“ et pourtant je savais bien au fond de moi-même que j’étais attiré par les garçons. Ma sexualité passait très vite au second plan car c’était genre : « s’il a personne dans sa vie c’est parce qu’il est gros » ou « on va pas lui poser la question, il va se sentir gêné comme il est gros ». Bien sûr, j’ai subi aussi des remarques sur ma féminité, car j’osais beaucoup de choses, j’ai fait des tissages, j’avais des nattes tout le temps… C’est difficile de faire son coming-out quand tu as grandi dans une famille camerounaise avec le poids des traditions. Lorsque ma mère m’a demandé si j’étais homosexuel, je savais très bien que je ne pouvais pas lui dire la vérité, que si je le faisais, j’allais me retrouver à la rue. Mais ce n’est pas de sa faute, elle ne sait pas très bien ce que c’est. Depuis qu’elle le sait, je lui explique petit à petit certaines choses, quand il y a eu le débat autour du Mariage pour tous, elle m’a demandé ce que j’en pensais, si je comptais me marier. Ce ne sont pas des questions qu’elle se serait spontanément posées si son fils n’avait pas été homo. Elle a un travail d’acceptation à faire, un double travail même, elle doit accepter d’être la mère d’un enfant homo et ensuite il faut qu’elle fasse son coming-out auprès de ses ami(e)s.

BETH DITTO

C’était à une période où je faisais des petits jobs comme styliste et que je bidouillais un peu de musique seul dans mon coin. Je suis invité au défilé Jeremy Scott, et je me retrouve assis à côté d’une fille jeune et plutôt grosse, et la première chose qu’elle me dit en rigolant, c’est : « Je suis sûr qu’ils nous ont assis à côté parce qu’on est les deux seuls gros de l’assistance. » On discute, elle me demande ce que je fais ce soir, de la prévenir si je sors et me file son téléphone. Et puis j’oublie. Le lendemain, je la croise de nouveau mais au défilé Jean-Paul Gaultier, « Tu ne m’as pas appelé ! ». Puis je m’aperçois qu’on la prend en photo, que Jean-Paul Gaultier vient l’embrasser, alors je lui fais : « t’es connue ou quoi ? Pourquoi les gens te prennent en photo ? » Elle me répond juste « pas du tout ! », et elle me redonne son numéro que je perds à nouveau. Sept mois plus tard, je me retrouve aux inaugurations de Noël orchestrées par Jean-Charles de Castelbaljac, et je la vois qui chante “I will always love you“ et qui me fait des signes tout en disant dans le micro : « Pierre, attends-moi je viens te chercher. » Et là je réalise enfin que c’est Beth Ditto, la chanteuse des Gossip, et qu’elle vient de m’inviter à son concert à la Cigale le soir même. Quelques mois plus tard, je reçois un coup de fil de sa manageuse qui me demande ce que je fais le 10 avril et si je veux venir avec eux à Coachella où les Gossip sont invités, que tout sera pris en charge, que je n’ai pas à m’inquiéter. Je me retrouve à Los Angeles en plein festival, et comme c’est mon anniversaire Beth tient absolument à ce que je monte sur scène chanter avec elle “Bull Up To The Bumper“ en hommage à Grace Jones. Je me retrouve sur le stage avec des gens qui hurlent « Happy Birthday », l’aventure est incroyable, et quand je sors de scène je tombe sur Pedro Winter que je connaissais car j’avais fait des chœurs à l’époque pour l’album d’Uffie, et Emmanuel de Buretel (le boss du label Because, ndlr) qui me file sa carte et me demande de passer le voir à mon retour à Paris.

Photo : Andre Atangana

LA MUSIQUE

Je lui fais écouter quelques démos que j’ai réalisées, et tout de suite il me dit, « J’ai des producteurs pour toi, tu vas bosser avec eux », et je me retrouve ainsi à signer un deal pour un album chez Because. On a commencé à travailler sur un album pop-funk un peu rigolo où je me mettais en scène, avec les contradictions de mon personnage, mais rapidement je me suis aperçu que j’étais coincé dans ce truc, que j’étais tellement honoré qu’on me signe, que j’essayais de faire plaisir à tout le monde et que je faisais du coup trop de compromis, même si j’avais invité tous mes amis, comme Andy Butler de Hercules & Love Affair, Beth Ditto, Sam Sparro, Kim Ann Foxman. En fait l’album aurait pu être du Michaël Youn, il y avait un titre qui s’appelait “Je veux maigrir“, un autre “T’as vu ta gueule ?“… Ça se voulait drôle et vu mon look, ma corpulence, c’était facile de me tourner en dérision, mais je n’avais pas envie de me présenter de cette manière. A l’époque j’avais emménagé chez le team de producteurs, et je leur annonce tout de go, que je ne vais plus faire ce disque, que je ne le sens pas, que c’est pas moi. Et là, c’est le choc, ils s’énervent et me demandent de quitter au plus vite l’appartement, bref ils me foutent dehors. À partir de ce jour, je me suis dit que j’allais gérer la musique que je fais entièrement moi-même, que je n’avais besoin de personne, et depuis je m’y tiens.

LE DEEJAYING

J’ai commencé à faire le DJ complètement par hasard. J’ai une copine, une ancienne danseuse, désormais DJ, qui me disait souvent « avec ton look, tu cartonnerais à passer des disques », mais je trouvais ça trop geek pour moi, je voulais bien danser, mais faire danser les gens, c’était niet. Et puis je me suis laissé entraîner, elle avait un plan intéressant, il fallait juste que je fasse mon show super looké derrière les platines, tout était préenregistré, je n’avais qu’à faire semblant d’appuyer sur les boutons. Evidemment, très vite, je lui ai dit : « ça commence grave à m’ennuyer de faire le clown, ce serait mieux si tu m’apprenais comment ça marche » et c’est comme ça que je me suis retrouvé DJ. Mon premier vrai set en vérité, c’était pour la soirée “Club Sandwich“, les organisateurs m’ont toujours soutenu et offert des opportunités, comme celle d’aller chanter au Gala de la mode devant Grace Jones et Sharon Stone.

« La ballroom, c’est un endroit où tu te retrouves parce que tu n’es pas regardé pour ta sexualité, ta couleur de peau ou ton sexe biologique, c’est un lieu où tu peux enfin être toi-même sans jugements extérieurs. . »

LE VOGUING

Ça a commencé avec les “Brooklyn Session“, des soirées gay, r’n’b et hip-hop aux Bains Douches. J’y voyais souvent Lasseindra Ninja (la reine du voguing parisien, ndlr), elle revenait de New York et elle commençait à voguer. Au départ ça ne me parlait pas trop, car je n’avais ni envisagé, ni compris, la portée politique et sociale du mouvement. Je ne connaissais que la danse, je n’avais pas vu le docu “Paris is burning“. Un jour, Lasseindra est venue me voir, et m’a dit : « le mouvement commence à grossir, on a besoin d’un coup de main, on cherche un lieu qui puisse nous accueillir. » C’était la période où j’organisais les soirées “Opulence“ au Social Club, comme mon rêve était de faire venir le DJ Mike Q, un des pionniers de la musique ballroom, je me suis dit que c’était l’occasion ou jamais. Et c’est comme ça que j’ai découvert que la scène voguing parisienne était remplie de jeunes blacks pédés, l’énergie qui s’en dégageait me rappelait le côté brut du hip-hop à la fin des années 90. Honnêtement je pensais que j’étais mieux qu’eux, et je n’avais pas envie de me rouler par terre, non merci, j’avais fait ça plus jeune sur le parvis de la Défense. Et puis j’ai enfin vu “Paris is Burning“ et j’ai compris que le voguing n’était pas qu’une danse, mais un style de vie, avec une importante dimension sociale et politique. La ballroom (compétition de voguing, ndlr) c’est un endroit où tu te retrouves parce que tu n’es pas regardé pour ta sexualité, ta couleur de peau ou ton sexe biologique, c’est un lieu où tu peux enfin être toi-même sans jugements extérieurs. On m’a proposé de faire partie d’une house, de choisir une catégorie, et comme j’ai eu un accident à une cheville qui m’empêche de danser comme avant, et que je suis gros, j’ai choisi la catégorie “Runway“ où il s’agit de rejouer les démarches des mannequins sur les défilés comme un joli pied de nez.

Pour moi ce qui est important dans le ballroom, c’est la manière dont tu peux te servir d’une culture qui ne t’appartient pas, ce que tu peux lui apporter, mais surtout comment être authentique et irréprochable. Avec la hype actuelle autour du mouvement, tu te retrouves avec des danseurs bookés pour des soirées voguing, alors qu’ils dansent de manière approximative, mais on les choisit uniquement parce que leur couleur de peau est plus pâle que celle des vrais danseurs de voguing. Ce qui me dérange, c’est que ces gens ne font pas partie de la communauté, n’ont fait aucun effort pour l’intégrer ou la comprendre, mais ils sont là quand il s’agit de prendre un cachet de 1500 euros pour une marque qui veut faire du buzz. Tu ne me verras pas me servir du mouvement, déjà ma musique n’a rien à voir avec, le voguing c’est comme une activité extra-scolaire pour moi, mais lorsque j’ai l’occasion d’aider, je le fais. Pour l’anniversaire des 90 ans de Vogue, on m’a contacté pour danser et j’ai répondu que je voulais être aux platines, pendant qu’avec la House of Mizrahi on ferait une adaptation du “Vogue“ de Madonna. Il y avait douze vrais danceurs de voguing sur scène, tous noirs, j’en garde une grande satisfaction.

BALMAIN

Ça date de quand j’organisais les “Strangé“, des soirées pop, r’n’b et black au Maxim’s, et que j’avais envisagées comme un pied de nez à l’histoire, quand Juliette Gréco et Miles Davis, lorsqu’ils étaient ensembles, n’avaient pas pu entrer au Maxim’s parce que Miles était noir. Olivier Rousteing venait souvent. Un jour, il me demande de passer le voir à son bureau, il débutait la ligne Balmain Homme, et m’a dit d’emblée : « je viens à tes soirées, j’aime beaucoup ce que tu joues, j’aimerais que tu nous aides sur la direction musicale. » Ça fait trois ans qu’on travaille ensemble sur l’identité sonore de Balmain et d’autres choses se sont enchaînées depuis comme Alexander Wang, Balenciaga, Lancôme, Versace… J’ai de la chance car c’est ce qui m’aide à financer ma musique car depuis mon épisode malheureux, j’ai décidé de tout financer tout seul, la production, les disques, mon label, les clips… J’assume tout, tout seul.

Mon disque je l’ai sorti tout seul, j’ai payé les vidéos, le mastering, les vinyls, l’attachée de presse qui s’occupe de moi. En fait je n’ai jamais compris le game des maisons de disques, je ne pige pas comment ils ont pu passer à côté de moi, je pense avoir un certain potentiel. Je n’ai plus envie de travailler avec une maison de disques, d’avoir à discuter des heures sur un synopsis, d’attendre six mois pour tourner ton clip. Là, j’ai touché de l’argent de Balmain, j’ai appelé le réalisateur et je lui ai dit, on file à New York, on est resté deux semaines, on a fait ce qu’on voulait, on a tourné comme on en avait envie. Mais franchement, c’est tellement plus simple !

Kiddy Smile : “Enough of You“ EP disponible sur l’iTunes Store.

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