Le futur de la mode aura-t-il un sexe ?

Article publié le 22 mars 2016

Texte : Edouard Risselet
Photo : Benjamin Lennox pour Magazine Antidote Now Generation
Talent : Ava McAvoy @Women Management
Sweat blanc à capuche, Alexander Wang. Pantalon et jupe en cuir, Chanel. Boucle d’oreille, Annelise Michelson. Chaussettes, Hue. Tennis, Adidas Original.

Le géant espagnol Zara est le dernier label à investir le marché de la mode « non genrée » avec une collection de 16 pièces unisexes. Une réponse significative à la tendance générale d’abolition de la frontière séculaire entre masculin et féminin. Place au vestiaire neutre.

Le monde de la mode affronte ces derniers mois des questionnements existentiels sans précédent. Si l’ère du « see now-buy now » semble autant exciter que diviser, l’industrie s’interroge parallèlement sur le besoin d’une mode libérée des diktats du genre. Est-ce la fin des collections masculines et féminines au profit d’un vestiaire neutre ? L’arrivée – ou l’affirmation – du portant « genderfluid » se confirme à la fois chez les marques de high et fast fashion, dans les grands magasins et sur internet.

 

Des silhouettes ambiguës d’Helmut Newton jusqu’à l’adoubement de la morphologie filiforme des modèles, l’androgynie a toujours été un thème récurrent et sujet de fascination dans l’histoire de la mode. Masculin et féminin souvent se confondent, la question du genre taraude et provoque l’indignation des sphères conservatrices. Demeurent pour autant deux vestiaires très peu perméables, celui de l’homme et celui de la femme.

Dans une vague d’émancipation débutée dans les années 50, la femme ira piocher à de multiples reprises des pièces dans le dressing masculin. Coco Chanel puis Yves Saint Laurent lui offrent la possibilité de revêtir le tailleur, jusque là réservé à un public exclusivement masculin. Le jean deviendra à son tour un basique auquel l’attribution d’un sexe n’a plus rien d’évidente mais apparaît au contraire désuète.

En 2002, quand Hedi Slimane arrive chez Dior Homme, il réduit drastiquement les proportions du costume qui ne s’est alors jamais porté aussi près du corps. Les mannequins sur les podiums entretiennent la confusion du genre et les femmes s’entichent elles aussi de la division homme de la maison française. Conscient de l’enthousiasme féminin, la marque ira jusqu’à lancer une « petite taille » afin de leur permettre d’embrasser son vestiaire de façon optimale.

 

La dynamique inverse relève encore de l’épiphénomène. Bien sûr David Bowie et Mick Jagger se sont essayé à l’exercice, mais rares sont les hommes à se fournir en jeans et t-shirts chez Isabel Marant.

À gauche : Gucci FW 2015
À droite : Vetements FW 2016

Convergence des genres

 

Alessandro Michele remplace Frida Giannini en 2014 à la tête de Gucci dont l’aura et les ventes s’essoufflent. Son premier défilé marque le début d’une nouvelle ère pour la maison florentine. De la chrysalide du métrosexuel épuisé, émerge un homme moins viril, plus subtil et romantique. Le nouvel uomo Gucci est un éphèbe à cheveux longs, il porte un pantalon fluide et une blouse en soie voluptueuse à nœud lavallière. « Si une marque qui a tellement affirmé la masculinité d’un coup se met à célébrer le femininello, un homme-femme aussi délicat que la soie qu’il porte, cela ne peut révéler qu’une seule chose : le changement », écrit le journaliste de mode Angelo Flaccavento pour Business Of Fashion.

 

Chez Vetements également, la binarité dogmatique du genre importe peu. Pour l’automne-hiver 2016, l’homme Vetements porte des cuissardes et son acolyte féminin un treillis camouflage. Tout cela lors d’un même et unique défilé, présenté lors de la semaine de la mode féminine de Paris.

De Prada à Givenchy, l’on voit depuis quelques années de plus en plus de silhouettes masculines fleurir au milieu des propositions féminines et réciproquement. Christopher Bailey a pris pour Burberry la décision radicale et définitive de regrouper menswear et womenswear en un seul show. La convergence des genres est en marche et ne fera pas marche arrière.

 

Une poignée de créateurs avant-gardistes l’avait anticipée. Dès ses premières collections, Jean-Paul Gaultier défie la frontière entre masculin et féminin et envoie sur le podium la première jupe pour homme dès 1984. Plus récemment, on pense à JW Anderson, Rick Owens et sa ligne Drkshdw, à ses disciples à l’instar de Damir Doma mais aussi à Rad Hourani dont la mode est exclusivement unisexe. Il déclarait à Vice dans une interview : « Je ne comprenais pas qui avait décidé qu’un homme devrait s’habiller différemment d’une femme. […] Chaque pièce est unisexe et peut être portée par un homme, une femme, ou n’importe quel genre. […] Ce que je fais, c’est créer une base neutre que chacun peut utiliser et adapter à sa garde-robe de la façon qu’il souhaite ».

À gauche : J.W. Anderson FW 2013
À droite : Rick Owens FW 2015

Collection 6 Unisex Rad by Rad Hourani

Aujourd’hui, la niche se globalise et nombreux sont ceux à investir ce créneau. Nicopanda, Toogood, 69, Hood by Air, Telfar ou Yang Li proposent entre autres un vestiaire partiellement ou totalement mixte. La transition se constate aussi en boutique. A Londres, le magasin Selfridges a ouvert « Agender », un département où le genre ne trouve pas sa place et dont les résultats de ventes ont « dépassé les attentes », d’après Linda Hewson, directrice artistique de la boutique. Les concept-stores en ligne suivent le pas. TheCorner.com a lancé l’an dernier l’espace « No Gender » sur son site internet, décrit comme « une nouvelle garde-robe, pour une nouvelle génération d’individus qui fait du goût personnel son seul facteur de choix ». Chaque pièce sélectionnée y est portée à la fois par un homme et par une femme.

Au début du mois, le géant espagnol Zara, suprême baromètre de tendance, a annoncé le lancement de « Ungendered », une collection de 16 pièces, dont les prix oscillent entre dix et une trentaine d’euros. Composée de jeans, sweats et t-shirts, la ligne qui semblait a priori être un pari s’avère finalement très frileuse et peu pertinente. En comparaison avec le vestiaire versatile et intelligent de Rad Hourani, la ligne de Zara compile des basiques sportswear sans intérêt qui siéront à peu près aussi mal aux deux sexes.

Le fast-fashion est-il déjà en train de tuer un mouvement dont la phase foetale vient seulement de débuter ? « La mode peut participer d’un changement social. Mais très souvent, la mode exploite les mouvements sociaux en les esthétisant de façon pseudo branchée pour en tirer profit », analyse Mary Rizzo, journaliste de CNN. La mode digérera-t-elle la fluidité des genres comme elle l’a fait avec le mouvement punk ? Kanye West a sûrement la réponse.

À gauche : Hood by Air FW 2016
À droite : Nicopand Prefall 2016

À gauche : TOOGOOD Collection 3
À droite : Ligne Unisex de Zara

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