Étreindre le now
 

Article publié le 7 mars 2016

Texte : Jessica Michault
Photo : Benjamin Lennox pour Magazine Antidote Now Generation
Talent :  Marta Grabowska @The Face Paris

Réalisation : Jack Borkett @MFA
Casting : Beth Dubin
Coiffure : Cyndia Harvey @Streeters London
Maquillage : Mathias Van Hooff @Management Artist

Brassière en coton rouge, Lacoste. Jean oversize, Martine Rose. Ceinture en cuir, Dior Homme.

Lorsque nous avons décidé d’intituler le onzième numéro du magazine Antidote « Now Generation », l’objectif était de se concentrer réellement sur les créateurs, les questions sociales et les phénomènes culturels qui façonnent le monde dans lequel nous vivons. Le tourbillon du monde de la mode, qui donne l’impression que tout événement est presque périmé dans les jours, les heures, voire les minutes après qu’il a eu lieu, ne laisse aucune place à la réflexion sur un état des lieux du présent.

Nous sommes arrivés à un tournant. Ce qui se passe aujourd’hui dans la mode est très intéressant et devrait avoir un effet important sur l’ensemble de l’industrie dans les années à venir. Un changement de paradigme est en cours et les premiers indicateurs de ce qui nous attend sont déjà visibles, si l’on sait où chercher.

Plusieurs grandes marques ont des stylistes qui ont dépassé l’âge de la retraite. Certains ont déjà élégamment démissionné, comme Donna Karan, ou ont pris un peu de recul, comme Jean Paul Gaultier, qui a arrêté la création de prêt-à-porter pour se consacrer à ce qui le rend heureux – la haute-couture. Quant aux autres, ils devront bientôt organiser leur succession. Personne n’est éternel, sauf peut-être Karl Lagerfeld. Alors que le scénario des successions se déroule devant nous, nous assistons à deux grandes tendances positives  chez les créateurs : La première est que le créateur « sort des coulisses ». Après avoir passé des années à payer leur tribut à de grandes maisons de mode, ils finissent par se retrouver sous les spotlights. L’exemple le plus flagrant est bien sûr Alessandro Michele chez Gucci. Mais on peut citer également Sara Burton chez Alexander McQueen, Julie de Libran chez Sonia Rykiel, Julien Dossena chez Paco Rabanne et Bertrand Guyon chez Elsa Schiaparelli. Voici des créateurs qui ont pris le temps de comprendre comment fonctionne la machine-mode et qui ont assez d’estomac pour repousser les loups prêts à dévorer des créateurs inexpérimentés au premier signe de faiblesse.

Après des années durant lesquelles les conglomérats de luxe se sont affairés à harponner créateurs et marques pour les ajouter à leurs écuries de maisons de luxe, le deuxième changement positif est le retour des créateurs indépendants. Un certain nombre de labels éponymes, dont Alexander Wang, Erdem, Gareth Pugh, Roksanda Ilincic et Phillip Lim ont récemment célébré leur première décennie d’existence. Alors que des marques comme Anthony Vaccarello, J.W. Anderson, Marco de Vincenzo et Public School ont quelque cinq ans à leur actif, leurs créateurs se révèlent plutôt solides puisqu’ils prennent en charge un double devoir de création, en travaillant respectivement sur les collections Versus et Loewe, en interne chez Fendi et DKNY, mais aussi à la gestion de leur propre label.

Dans ce onzième numéro, personnalités et sujets de la NOW Generation sont là pour nous rappeler où nous en sommes, ce qui compte aujourd’hui et qui sont les inventeurs de la mode de demain.

Et tout cela se passe sous les projecteurs éblouissants des médias sociaux. Une épée à double tranchant qui oblige les marques à se démener sans cesse pour suivre la dernière application ou plate-forme « must-have ». Aujourd’hui, Instagram est en tête de peloton en termes d’impact. Les créateurs sont en train de mettre au point des défilés dont une quantité d’extraits pouvant faire du buzz sont conçus pour le format carré des flux d’images. Et cela comprend de créer des vêtements de couleur vive qui « sortent bien » à l’image, sélectionner les mannequins en fonction du nombre de leurs followers et construire des scénarios cohérents dans des vidéos de 15 secondes.

Par ailleurs, il faut saluer Instagram pour sa capacité à inspirer par les images qui sont postées sur le réseau et son aptitude à faciliter les connexions entre individus créatifs. Grâce à Instagram, nombre de partenariats artistiques ont vu le jour au sein de la fameuse NOW Generation.
Autre mouvement important à l’heure actuelle : la disparition des frontières entre les sexes. Un coup d’œil à la dernière saison des défilés de mode masculine suffit pour comprendre qu’une transformation majeure est en cours. Un néophyte aurait peine à savoir que les défilés de mode masculine sont réellement destinés aux hommes, étant donné le nombre de femmes qui défilent désormais sur le podium aux côtés de leurs homologues masculins.

En fait, il semble presque étrange de voir un défilé homme avec seulement des mannequins masculins dans le casting. Car, oui, c’est un moyen facile d’intégrer des modèles en pré-collection (ou, dans le cas de Givenchy – en haute couture) dans un cadre préexistant. Mais l’arrivée des femmes dans la mode masculine signifie bien plus. L’émergence de vêtements unisexe, de pièces qui sont belles par leur singularité et leur design, avec pour seul critère la personnalité de celui/celle qui les porte, est un concept complètement moderne.
Alexandre Mattiussi, fondateur de la marque Ami Paris, a rencontré beaucoup de succès en s’ouvrant aux femmes qui veulent porter ses créations de base pour hommes. Dans son dernier défilé, il était presque impossible de dire quels modèles étaient des hommes, et lesquels étaient des femmes sur le podium. Mattiussi a l’air de nous dire : nous sommes tous simplement des gens. Des gens qui veulent se sentir bien dans ce qu’ils portent : sans histoire ni chichi.

C’est une philosophie qui se voit aussi adoptée par les grands magasins et les sites e-commerce. L’exemple parfait en est Selfridges et son espace « Agender » qui occupe trois étages et ne propose à la vente que des modèles sans genre attribué. Cette stratégie est également logique du point de vue commercial. Les créations unisexes font moins rapidement datées, et offrent une meilleure longévité à la fois dans les magasins et dans le placard du ou de la propriétaire.

La manière d’enseigner et de promouvoir la mode est également en évolution. La variété des prix de mode – allant de Who Is On Next et ANDAM au prix LVMH et à celui du CFDA/Vogue Fashion Fund – constitue une nouvelle et habile façon de mettre en lumière le talent de jeunes créateurs et de donner un coup de pouce à leurs marques en leur offrant soutien financier et accompagnement direct. Le spectre des programmes dans l’enseignement de la mode s’étend de manière aussi radicale. Des cours de marketing et de communication s’ajoutent désormais aux cours de stylisme et d’histoire de la mode, tandis que des spécialités très prisées telles que la création de patrons font un retour bien mérité.
Et ce n’est pas seulement la façon dont la mode est perçue, portée ou produite qui est sur le point de changer. L’ensemble de l’industrie est actuellement au milieu d’un débat fondamental et philosophique sur la façon dont la mode est présentée au monde.

Le CFDA (Council of Fashion Designers of America) mène une étude pour trouver comment améliorer le système qu’il perçoit comme désuet des fashion weeks. Est-il raisonnable que les défilés de mode aient lieu si longtemps avant que les vêtements arrivent effectivement dans les magasins ? L’existence même des défilés de mode est-elle encore justifiée ? Et avec autant de fashion weeks secondaires qui surgissent partout dans le monde, n’est-il pas temps de se diversifier et d’offrir à des villes comme Dubaï une réelle chance de devenir la prochaine grande capitale de la mode ?

Dans ce onzième numéro, personnalités et sujets de la NOW Generation sont là pour nous rappeler où nous en sommes, ce qui compte aujourd’hui et qui sont les inventeurs de la mode de demain.

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