Chaque semaine, en collaboration avec le site deslettres.fr, Antidote publiera les lettres d’amour de personnalités, qui nous ont touché, ému ou amusé. Aujourd’hui, la lettre de la comédienne Juliette Drouet, qui fut l’épouse de Victor Hugo pendant près de 50 ans.
«Monsieur Victor Hugo, en ville.
Je t’ai quitté, mon ange, tu paraissais triste et mécontent.
Mon Victor, me serais-je attachée à ta vie comme un scorpion venimeux pour la flétrir et l’épuiser ? Déjà ton sourire frais et libre devient chaque jour plus rare. Tu es malheureux, Victor, et mon amour est un obstacle à ta tranquillité.
Je voudrais fuir, je voudrais te déchirer de moi, de mon amour qui devrait couronner ta vie de roses et la parfumer de bonheur et qui semble la couvrir d’un crêpe.
Mais l’air que tu ne respires pas me ferait mourir, mon Victor. Ton regard m’est plus nécessaire que le soleil et j’ai besoin de tes baisers pour rafraîchir mon âme et lui donner des forces. Le lien qui existe entre nous est celui qui me tient à la vie. Si je n’avais été ton amante j’aurais voulu être ton amie. Si tu m’avais refusé ton amitié, je t’aurais demandé à genoux d’être ton chien, ton esclave.
Mon âme est rongée par la pensée de ma situation. Mais je veux être seule à souffrir. Tu es trop faible, toi, pour supporter comme moi des nuits sans sommeil. Si tu mourrais, voudrais-tu m’empêcher de mourir avec toi ? Fou, le pourrais-tu ? N’es-tu pas mon âme et ma vie ? Et le chagrin qui chaque jour grossit comme une avalanche, le chagrin qui creuse l’âme goutte à goutte, n’est-ce pas une longue mort ?
Je me suis donnée à toi tout entière, à toi ma vie, belle ou hideuse, riante ou sombre, poétique ou rampante dans la boue. Je n’ai rien voulu en retrancher de toi. Je veux la partie la plus précieuse de ton existence, ton amour car je crois, et laisse-le-moi croire, que l’amour peut mettre du miel dans la coupe la plus amère.
Tu m’appelles ange et suis un pauvre ange déchu. Mais l’amour élève si haut, mon Victor, tu verras repousser mes ailes et je t’enlèverai au ciel. Mais… Mais, et ici, je m’arrête. Je vais marcher sur un aspic qui va se retourner contre moi. Je vais mettre le pied sur un terrain mouvant. Écoute. Mais je ne veux pas que tu voies l’état de mon cœur en ce moment. Je ne veux pas que tu le regardes pour voir s’il saigne, que tu y portes le doigt pour voir si la bles- sure est large. Mes souffrances à moi je saurai les supporter. Je ne puis m’expliquer… Tâche de me comprendre.
Ils disent : «il n’est pour elle qu’un moyen, qu’un seul, de changer sa position.» Eh bien ! Victor, ce moyen tu le repousses. L’idée t’en fait frissonner. Victor, j’ai à subir des conséquences de ma vie passée, de ma vie sans amour. Il y a une plaie, il faut la brûler avec un fer rouge, il faut une souffrance, après la souffrance, des angoisses, après les angoisses.
Je souffrirai car je t’aime. Je t’aime tant. J’éprouverai d’affreuses tortures, mon cœur sera mâché, haché, et toi, toi !
Mais il faut couper le membre gangrené, il faut, à tout prix enterrer le cadavre qui se place, froid, entre nos baisers. Puis, comme les martyrs, nous trouverons une vie céleste, une nouvelle vie, que nous recommencerons ensemble, une vie d’oubli, de bonheur, de bonheur pur comme mon âme, car mon âme est restée pure quand mon corps a été profané, elle est montée au ciel, elle est restée pure et vierge.
Nous vivrons ensemble, pauvres et heureux, riches d’amour et de poésie. Si dans cette lettre quelque chose froisse ton cœur, pardonne, je l’expie par les larmes que je verse en t’écrivant.»
Retrouvez plus de lettres sur le site deslettres.fr.