© Photos Antoine Harinthe pour Antidote
Elles sont nombreuses ces tops, à ne pas vouloir tourner la page du mannequinat, surtout chez celles qui ont atteint ce degré de notoriété. On sent pourtant chez Magdalena Frackowiak une envie profonde de montrer qui elle est vraiment derrière les années de défilés à jouer la muse sous l’objectif des plus grands photographes. C’est à travers sa ligne de joaillerie épurée et luxueuse que la Polonaise de 31 ans a choisi de se réinventer, pour raconter, entre autres, son amour de l’architecture et partager une vision très apaisée de la mode, à l’image de sa personnalité. Par Laurence Vély.
Donc, passé 30 ans, tu décides de ralentir le mannequinat et lancer ta ligne de bijoux. Pourquoi ?
Je sens que c’est le moment pour moi de faire autre chose et de parler de mode avec un discours différent, en l’occurrence le mien. On me connaissait en tant que mannequin, en tant qu’image, mais maintenant, je veux montrer qui je suis vraiment. Et cela me permet aussi de mieux me connaître moi-même. Je n’aurais pas été capable de faire cette collection à 20 ans.
Ta ligne est à la fois pure et sophistiquée, très luxueuse, presque en retrait du monde de la mode. Il y a une raison particulière à cela ?
Je veux me positionner loin des tendances parce que tout va tellement vite que je ressens nécessaire de prendre un peu de distance. Cette collection de bijoux c’est vraiment moi. Je suis quelqu’un de très organique, je ne me maquille quasiment jamais, je m’habille très simplement mais avec des matières nobles, du cachemire ou du coton.
Tes bijoux te ressemblent donc.
Oui, les matières donnent une impression de terre, d’eau et en même temps sont pensées de façon architecturale. Avant d’être modèle, j’ai étudié l’architecture pendant un an et demi à Lyon. Je voulais terminer mon cursus d’architecte aux États-Unis mais c’était trop cher.
Et surtout, tu es entre-temps devenue mannequin, après que ta mère t’a inscrite à un concours en Pologne.
Le mannequinat m’a permis de gagner de l’argent, de voyager et de rencontrer des gens. Et ces années sont passées tellement vite que j’ai préféré me concentrer sur cette profession, où j’ai eu la chance de travailler avec des génies comme John Galliano ou Alexander McQueen. Tout ça a modifié et transformé mon style et mon œil, et mon amour pour les accessoires et l’architecture a fait le reste.
Quelles sont tes références en architecture ?
J’aime beaucoup l’architecte brésilien Oscar Niemeyer qui est incroyablement moderne et qui travaille avec des matériaux recyclés. Sinon je suis toujours impressionnée par les sculptures de l’artiste Richard Serra, son travail sur les formes, les volumes. J’admire ceux qui repoussent les lignes et je suis fascinée par les grands mouvements artistiques comme l’impressionnisme, le dadaïsme, le surréalisme, ou les artistes comme Braque, Picasso ou Duchamp. Peu de gens connaissent cette part de moi. A New York je suis toujours fourrée au MoMA et je ne passe pas à Paris sans aller au Centre Pompidou.
Avais-tu des notions en joaillerie ?
Non, à pars mes cours d’architecture, mais j’ai aussi toujours dessiné… L’idée de créer ma ligne est née il y a deux ans et j’ai pris des leçons pour chaque étape de la fabrication, du dessin au produit fini. Tout est fabriqué à la main à Varsovie, je voulais que les gens se rendent compte que mon pays a énormément à offrir.
Qu’est-ce-que tes bijoux racontent ?
Ce sont des bijoux pour tous les jours, on peut les superposer sans que ce ne soit jamais « too much ». Le concept est simple : il y a 26 pièces en or 18 carats d’une couleur unique située entre le rose et le jaune et trois martelages différents. Beaucoup de pièces sont en trois tailles pour avoir la liberté de choisir. Ce sont le poids, les textures, les matières et la géométrie qui font la différence. Pour moi il est difficile de revendiquer telle ou telle inspiration, le concept c’est le savoir et la sensibilité que j’ai acquis au fur-et-à-mesure des années qui façonnent ce style, ces matières, ces volumes, ces sensations.
Si tu pouvais collaborer avec un créateur, lequel choisirais-tu ?
J’aime beaucoup Raf Simons. Je le trouve très consistant dans son approche du style, c’est un visionnaire un cran au-dessus des autres. Il ne suit aucune tendance et ne copie personne. Il réussit à transformer Dior, à raconter une nouvelle histoire. Pour moi c’est un vrai artiste, ses shows sont très émouvants avec des musiques superbes et en backstage c’est une fleur fragile, un peu comme l’était Alexander McQueen.
Tu étais proche d’Alexander McQueen ?
Oui, mais on voyait qu’il était sensible. Il ne faisait pas la fête avec nous, c’était un artiste et un artisan concentré sur son travail. Il était aussi passionné par l’architecture.
Tu as teasé ta collection sur instagram… Quel est ton rapport aux réseaux sociaux ?
Les applications, la technologie, internet… c’est la modernité et il est nécessaire d’avancer mais il est important de ne pas oublier ses racines, de continuer à lire des livres ou d’acheter de l’artisanat. A l’heure où tout est globalisé et industrialisé, pour moi, le luxe c’est le temps et le fait-main.
Tu ne vis pas tout le temps à New York ?
Non, je vis entre New York, Varsovie… et Florence, car mon petit ami y habite.
Qu’est-ce qu’une journée parfaite pour toi ?
Quand personne ne m’appelle et que j’ai toute ma journée libre, que je peux aller me promener et profiter d’un bon repas près de la mer, apprécier l’air frais. J’ai besoin de nature, de fraîcheur, de dormir pour me sentir régénérée. J’ai une vie tellement chargée que pour moi les meilleurs jours sont les plus simples.
Qu’est-ce-qu’une vie réussie ?
Avant tout, faire quelque chose que tu aimes. J’ai toujours aimé le mannequinat et la joaillerie donc je suis très chanceuse. Mais en tant que femme il est important d’être indépendante, de gagner son propre argent mais aussi d’être entourée. Ne jamais oublier ses amis, sa famille, son amoureux. Sinon un jour on se réveille avec de l’argent, des bijoux, une belle réputation mais sans l’essentiel.