Pourquoi on devrait tous méditer : les conseils du premier moine millenial

Article publié le 13 septembre 2017

Photos : Yann Weber pour Magazine Antidote : Fantasy hiver 2017-2018
Modèle : Paul C. @ Rockmen Models. Coiffure : Michael Delmas. Maquillage : Anthony Preel.
Texte : Alice Pfeiffer

Le jeune écrivain, poète et spécialiste en psychologie bouddhiste Gabe Gould signe un livre dédié à réinjecter une part de spiritualité à notre époque actuelle, et apprendre à se déconnecter pour se reconnecter à soi.

« Une génération oubliée dans sa propre image » : voici comment Gabe Gould, un natif du Colorado âgé de 23 ans, décrit la génération à laquelle il appartient et pour laquelle il signe le livre Crybaby : Meditation for Punks and Wallflowers (ou « méditation à l’usage des punks et des marginaux »), un ouvrage qui donne un ancrage moderne et revisité à la spiritualité. Elève en méditation passé par de la psychanalyse et pensée bouddhiste, il juxtapose ces sciences dans le but de s’adresser à une génération ultra connectée mais plus angoissée qu’elle ne le semble.

Il n’est pas le seul en quête de sagesses anciennes : autour de lui, toute une génération cherche à se comprendre hors des représentations de soi fabriquées et likées. L’actrice Amandla Sternberg donne des cours de méditation sur le site du magazine Teen Vogue, la plateforme Broadly lance des sections entières dédiées aux sciences et croyances alternatives, les chanteuses Erykah Badu, Princess Nokia, ou encore Solange font appel à divers rituels de recueillements. Selon la BBC, cette tendance serait le reflet d’une « quête de sens en dehors du monde religieux ».

Antidote a discuté avec l’écrivain de l’importance de la méditation dans le monde occidental actuel, pour apprendre à se regarder en face loin des normes externes, et accepter l’autre comme soi-même.

Antidote. Comment décririez-vous votre pratique ?
Gabe Gould. Cela fait longtemps que je fais de la méditation consciente, aussi connue sous le nom de Vipassana, et je sais bien que, malgré ses nombreux bénéfices reconnus depuis plus de 2500 ans, celle-ci est souvent incomprise, caricaturée, perçue comme une lubie New Age. Mon but est de la présenter sous un nouveau jour, de la compléter avec de la psychanalyse occidentale et des notions de neuroscience, afin d’appuyer sa rigueur, son potentiel et échapper aux réductions hippy.

Quels autres a priori au sujet de la méditation et de la spiritualité cherchez-vous à changer ?
Gabe Gould. La méditation dite Vipassana est associée, à tort, à une simple quête de paix et de sérénité. Les gens ont l’impression que sa pratique fera immédiatement disparaître tout ressenti désagréable comme par magie. Cette simplification trahit un problème central chez l’homme : nous nous accrochons à l’agréable et évitons à tout prix les épreuves difficiles. Cette pratique ne gomme pas la souffrance d’un claquement de doigt, elle nous invite à nous ouvrir à toutes nos joies et tous nos chagrins, dans notre monde intérieur comme extérieur. La paix et la sérénité ne sont qu’un effet secondaire d’une quête plus large. J’ai grandi dans la banlieue de Chicago où j’ai vu des gens bondir de joie après un achat clinquant. Mais j’avais comme le sentiment de percevoir autre chose face à ces émotions en apparence joyeuses. Je lisais une forme de douleur dont les personnes concernées n’avaient pas toujours conscience. Ce livre cherche donc à prendre conscience d’absolument tous nos ressentis, de s’autoriser à être triste, frustré, insatisfait, et s’éveiller à notre monde émotif. La méditation est là pour apporter de l’illumination, de l’espoir ; je veux que les gens tendent vers une forme de compassion, de recueillement, et pas seulement dans le but de fuir la douleur.

Vous décrivez la génération actuelle comme « perdue dans sa propre image ». Pouvez-vous m’en dire plus ?
Gabe Gould. Nous méritons tous un Grammy, tant nous sommes des maîtres de l’illusion. Aujourd’hui, cette mise en scène est devenue une telle évidence que l’on peut vraiment mettre le doigt dessus. Nous vivons à travers des écrans, celui du téléphone, de l’ordinateur. Nous avons Facebook, Instagram, Snapchat, et j’en passe, afin de construire de toutes pièces la perception que l’on veut donner de nous-mêmes. Ce phénomène est lié à une sorte de théorie selon laquelle en parvenant à se montrer aux autres d’une certaine façon, on finirait par devenir la personne que les autres voient. Et le problème est qu’au fond, on sait bien que ce n’est pas vrai. Et on se concentre exclusivement sur la fabrique d’une image fictive au détriment de notre existence réelle et intime – nous sommes en train d’oublier qui nous voulons profondément devenir. Ce n’est évidemment pas un sentiment neuf, mais il est exacerbé par ces outils actuels.

Chad @ Rockmen Models.
Costume, Raf Simons. Haut, Aalto. Chaussures, Raf Simons x Adidas.
Coiffure : Michael Delmas. Maquillage : Anthony Preel.

Quelles épreuves nous attendent alors ?
Gabe Gould. Chacun d’entre nous va devoir se sevrer de notre culture individualiste et s’ouvrir à une vision plus holistique du monde. Il nous faudra passer de la perspective du « qu’est ce qui est mieux pour moi ? » vers un « qu’est ce qui sera mieux pour nous tous ? ». On devra apprendre à abandonner la gratification immédiate pour nous concentrer sur notre santé émotionnelle.

Quelle expérience a déclenché la volonté d’écrire ce livre ? Avez-vous changé pendant son écriture ?
Gabe Gould. Oui, j’ai senti une évolution, qui s’est manifestée d’une façon que je n’avais pas anticipée. Plutôt que d’avoir le sentiment d’être un expert, j’ai commencé à réaliser combien je savais peu. Un vif sentiment d’incompétence s’est développé en moi. J’ai compris que ce n’est pas parce que quelque chose est écrit qu’il est nécessairement vrai. Cela a mis en lumière l’étrange fascination que nous avons pour tout ce qui est publié, que l’on prend pour de l’or – alors qu’un texte peut aussi bien nous limiter et nous détourner de notre propre vérité. Depuis que j’ai fini d’écrire cet ouvrage, des personnes m’ont demandé si je pouvais les guider. C’est flatteur mais je leur rappelle que nous devons chacun trouver notre propre chemin, et que c’est un processus que je suis encore en train de traverser moi-même.

Personne hormis soi-même n’a les réponses à ses questions. Au mieux, d’autres personnes ont des compétences méditatives à partager. Une personne ne partage jamais le destin d’une autre. Vous êtes votre propre but, votre destination ultime, qui ne cessera d’évoluer au fil de votre vie. Cela peut paraître décourageant, car tout ne vient finalement que d’une perspective, la sienne. Mais d’un autre côté, c’est assez libérateur de se dire que la vérité est en soi, que l’on n’a pas besoin de se torturer à la trouver ailleurs ; elle est déjà là, « encore plus près que près » pour citer la tradition Zen. Nous sommes tous notre propre vérité. Je ressens une certaine gêne quand des gens me disent du bien de mon livre : il ne s’agit là que de mon expérience subjective et chaque personne vivra cette traversée d’une façon différente. Ce texte est surtout la base d’un partage, avec des points communs entre les êtres peut-être, mais sans réponse unique.

« La peur de notre propre disparition est centrale à l’existence, évidemment. Nous construisons notre vie toute entière pour se distraire de cette vérité. »

Vous parlez d’une génération qui ne se sent chez elle nulle part : que voulez-vous dire par là ?
Gabe Gould.
Je désigne un moment de la vie où l’on prend conscience de la douleur qui peuple le monde et l’existence humaine. C’est l’époque où l’on apprend à accepter que nos parents ne sont pas des super-héros, qu’ils nous transmettent des frustrations et des traumatismes. Dans la croyance bouddhiste, cela s’applique au moment où Siddhârta quitte son château pour arpenter les rues pauvres de l’Inde, et y découvre la vieillesse, les maladies, la mort. Tout cela peut paraître déprimant, mais c’est aussi une métaphore du voyage à travers notre propre vie qui indique que l’on peut prendre son existence en main.

Est-ce une façon d’accepter sa propre finitude ?
Gabe Gould. Un de mes professeurs m’a dit que « nous apprenons à vivre avec grâce, pour qu’avec un peu de chance, quand notre heure viendra, nous pourrons mourir avec grâce aussi. » La peur de notre propre disparition est centrale à l’existence, évidemment. Nous construisons notre vie toute entière pour se distraire de cette vérité. Et si celle-ci est évoquée, elle n’est pas le thème central de Crybaby. Je me concentre plutôt sur l’idée d’honorer toutes nos expériences humaines et pas simplement les moments plaisants. Notre humanité est imparfaite, ingrate. Mais, comme je l’évoquais, si nous n’apprenons pas à traverser ces aspects là, nous sommes condamnés à un sens de soi fragmenté. Si l’on veut s’aimer et s’offrir aux autres, nous devons tout vivre.

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