Pourquoi est-on obsédé par la conquête spatiale ?

Article publié le 25 octobre 2018

Photo : Ryan Gosling dans First Man.
Texte : Théo Ribeton.

Sujet de prédilection de la pop culture, lubie de la mode, vivier économique ou zone d’enjeux politiques : l’espace redevient plus que jamais un territoire à apprivoiser et à conquérir.

Parmi les diverses façons dont la NASA a fêté ses 60 ans cette année, la plus inattendue est peut-être sa collaboration avec le créateur Heron Preston, qui a imaginé pour l’agence spatiale la collection « Above The Clouds », inspirée des combinaisons de la période 1976-1992. Pour la NASA, il s’agit sûrement de récupérer son dû et de s’imposer dans un domaine stylistique que beaucoup se sont appropriés jusque-là.

L’année dernière, pour son défilé automne-hiver 2017/2018, Chanel s’inspirait de l’espace et faisait même décoller une fusée au sein du Grand Palais, devant les yeux ébahis de l’assistance. Suffisant pour inspirer d’autres marques comme Coach qui, la même année, présentait « Space has landed », sa collection pre-fall inspirée par l’esthétique et l’iconographie de la Nasa. Une ligne inspirée par « les rêveurs et explorateurs américains qui croient que tout est possible ».

On vous le confirme puisque Undercover, pour sa collection automne-hiver 2018/2019, n’a pas hésité à faire défiler des astronautes affublés de scaphandres illuminés, tout droit sortis d’un reboot de 2001, L’Odyssée de l’espace, chef-d’œuvre de Stanley Kubrick à qui la marque rendait justement hommage. Dernier exemple en date : la collaboration entre Tom Sachs et Nike pour laquelle l’artiste plasticien américain a imaginé The Mars Yard Overshoe, un modèle de chaussures mi-sneakers mi-moonboots pour supporter le froid et l’humidité de l’hiver et pourquoi pas, partir en promenade sur la lune.

On espère qu’ils ont prévu du stock. Car l’espace attire plus que jamais les foules : entre Ryan Gosling (First Man de Damien Chazelle, en salles), Robert Pattinson (High Life de Claire Denis, sortie le 7 novembre), Brad Pitt (Ad Astra de James Gray, initialement prévu pour janvier et tout récemment « repoussé à mai », ce qui dans le jargon signifie « shortlisté pour Cannes »), Sean Penn (The First, disponible sur Hulu) et les nouvelles héroïnes de la sci-fi littéraire (qui célèbre plus que jamais la femme astronaute, comme dans les romans de Mary Robinette Kowal), l’infinité cosmique risque déjà de ne pas être assez grande pour tout le monde.

Photo : la collection Heron Preston X Nasa.

Photo : la Mars Yard Overshoe de Tom Sachs pour Nike.

Le nouveau monde

Débarrassées de l’idée d’un univers inconnu et hostile, les nouvelles œuvres créatives inspirées de l’espace se dévoilent sous des atours plus patinés, saisis dans une lumière moins dure et plus généreuse en reflets. Que ce soit dans les films ou les jeux vidéos, les intrigues, aussi, emmènent dans l’exosphère des thématiques et des schémas narratifs inédits.

En premier lieu vient une préoccupation écologique : la concrétisation possiblement imminente du vieux mythe de la colonie lunaire ou martienne fait naître de nouvelles questions. Comment ne pas rééditer les erreurs commises sur Terre ? Réponse dans Surviving Mars, jeu de city building martien sorti au printemps, où il s’agit de gérer son outpost sur la planète rouge de la façon la plus verte possible. Exit les kiffs apocalyptiques de Sim City : « nous avons voulu forcer le joueur à développer sa colonie de façon à être à la hauteur des obstacles, et notamment des menaces environnementales », explique son créateur.

Photo : Undercover automne-hiver 2018-2019.

Manière de désigner le plus important basculement à l’œuvre dans notre imaginaire spatial : l’environnement cosmique n’est plus un lointain horizon de conquêtes, mais un gisement de ressources à proximité immédiate. Il n’y a pas à chercher bien loin les sources d’inspiration de cette évolution, qu’il s’agisse des projets d’exploitation minière des astéroïdes – envisagée très sérieusement par des sociétés comme Planetary Resources et Deep Space Industries -, ou des traités libéralisant les ressources spatiales et lunaires (comme le Space Act d’Obama lancé en 2015).

À la guerre comme à la guerre

Même Google a lancé son projet « Google Lunar Xprize » qui vise à pousser des étudiants et des start-ups à développer les outils lunaires de demain. Bref, on trouve largement de quoi prendre de plus en plus au sérieux Jacques Cheminade (en 2017, le candidat à l’élection présidentielle avait promis une exploitation robotique de la lune, ndlr). Il y aura à moyen-long terme un investissement industriel de l’espace, allant de pair avec une prise de conscience de l’épuisement des ressources terrestres.

Avec une Terre en fin de course, le terrain de « jeu » de l’humanité se situe désormais à sa porte. Jeu ? Il pourra s’avérer morbide. Parce que la militarisation de l’espace s’accélère : la Space Force extra-atmosphérique de Trump, pensée comme la sixième branche à part entière de l’armée U.S., est censée entrer en service en 2020. Des équipements apparentés sont en développement ou déjà à l’œuvre en Russie (qui développe un laser aéroporté destiné à mettre hors d’état de nuire des appareils orbitaux) ou en Chine (qui a détruit un de ses propres satellites avec un missile en 2007, et se dote actuellement d’un véritable kit de futur leader spatial avec lanceurs, stations, etc.). De quoi relancer un semblant de guerre froide dont la conquête spatiale des années 50 et 60 avait été le témoin.

« L’environnement cosmique n’est plus un lointain horizon de conquêtes, mais un gisement de ressources à proximité immédiate. »

Quitte à précipiter l’humanité toute entière dans l’exosphère, à nous de trouver donc des moyens moins belliqueux d’y briser le calme céleste. Comme le dit Jacques Arnould, expert éthique au Centre national d’études spatiales, tandis que l’âge des conquistadores est révolu, il s’agit désormais d’observer « ceux qui arrivent après les explorateurs ». Donc entre autres les armées, mais plus certainement, si l’on en croit les leçons de l’Histoire, « les commerçants, les marchands. Et si la notion de touristes avait existé du temps de Christophe Colomb, ils auraient débarqué très rapidement ». Bingo : le tourisme spatial est de retour, dix ans après sa dernière occurrence en date (l’homme d’affaires Guy Laliberté, qui avait déboursé 35 millions pour décoller avec une mission Soyouz en 2009), avec un tour bus lunaire vendu par SpaceX au milliardaire japonais Yusaku Maezawa, planifié pour 2023.

La quête d’utopie

C’est en résumé la fin des virtualités et des plans sur la comète : l’espace se détache bien de la science-fiction. Il n’est plus un lieu à explorer mais à habiter. On y déploie des armées, des usines et des sites d’exploitations miniers. Les films, les séries et les livres qui y décrivent notre quotidien s’emploient eux à penser à un véritable un espace domestique. Dans High Life, les images les plus marquantes sont peut-être celles qui montrent Robert Pattinson s’occupant simplement de son bébé, seul dans un vaisseau perdu en plein deep space : non plus l’avenir lointain de l’humanité dans les étoiles, mais son quotidien le plus banal.

Photo tirée du film High Life réalisé par Claire Denis.

Comment vivre dans l’espace ? Ce sera sûrement la grande question de la science-fiction des prochaines années, connectée à un renforcement de notre présence spatiale : notre vie dans les cieux s’organise, s’institutionnalise, prépare sa quotidienneté. Claudie Haigneré, à ce jour la seule française à être allée dans l’espace, promeut sa vision d’un « village lunaire », une colonie utopique sur notre satellite, qu’elle considère comme « un pas complémentaire d’expansion de notre humanité ». Espérons plutôt voir le visage de ce lendemain-ci que celui des dystopies envisagées par certains. Car pour l’instant « dans l’espace, personne ne vous entendra crier ».

Parmi les diverses façons dont la NASA a fêté ses 60 ans cette année, la plus inattendue est peut-être sa collaboration avec le créateur Heron Preston, qui a imaginé pour l’agence spatiale la collection « Above The Clouds », inspirée des combinaisons de la période 1976-1992. Pour la NASA, il s’agit sûrement de récupérer son dû et de s’imposer dans un domaine stylistique que beaucoup se sont appropriés jusque-là.

L’année dernière, pour son défilé automne-hiver 2017/2018, Chanel s’inspirait de l’espace et faisait même décoller une fusée au sein du Grand Palais, devant les yeux ébahis de l’assistance. Suffisant pour inspirer d’autres marques comme Coach qui, la même année, présentait « Space has landed », sa collection pre-fall inspirée par l’esthétique et l’iconographie de la Nasa. Une ligne inspirée par « les rêveurs et explorateurs américains qui croient que tout est possible ».

On vous le confirme puisque Undercover, pour sa collection automne-hiver 2018/2019, n’a pas hésité à faire défiler des astronautes affublés de scaphandres illuminés, tout droit sortis d’un reboot de 2001, L’Odyssée de l’espace, chef-d’œuvre de Stanley Kubrick à qui la marque rendait justement hommage. Dernier exemple en date : la collaboration entre Tom Sachs et Nike pour laquelle l’artiste plasticien américain a imaginé The Mars Yard Overshoe, un modèle de chaussures mi-sneakers mi-moonboots pour supporter le froid et l’humidité de l’hiver et pourquoi pas, partir en promenade sur la lune.

On espère qu’ils ont prévu du stock. Car l’espace attire plus que jamais les foules : entre Ryan Gosling (First Man de Damien Chazelle, en salles), Robert Pattinson (High Life de Claire Denis, sortie le 7 novembre), Brad Pitt (Ad Astra de James Gray, initialement prévu pour janvier et tout récemment « repoussé à mai », ce qui dans le jargon signifie « shortlisté pour Cannes »), Sean Penn (The First, disponible sur Hulu) et les nouvelles héroïnes de la sci-fi littéraire (qui célèbre plus que jamais la femme astronaute, comme dans les romans de Mary Robinette Kowal), l’infinité cosmique risque déjà de ne pas être assez grande pour tout le monde.

Photos de gauche à droite : la collection Heron Preston X Nasa, la Mars Yard Overshoe de Tom Sachs pour Nike.

Le nouveau monde

Débarrassées de l’idée d’un univers inconnu et hostile, les nouvelles œuvres créatives inspirées de l’espace se dévoilent sous des atours plus patinés, saisis dans une lumière moins dure et plus généreuse en reflets. Que ce soit dans les films ou les jeux vidéos, les intrigues, aussi, emmènent dans l’exosphère des thématiques et des schémas narratifs inédits.

En premier lieu vient une préoccupation écologique : la concrétisation possiblement imminente du vieux mythe de la colonie lunaire ou martienne fait naître de nouvelles questions. Comment ne pas rééditer les erreurs commises sur Terre ? Réponse dans Surviving Mars, jeu de city building martien sorti au printemps, où il s’agit de gérer son outpost sur la planète rouge de la façon la plus verte possible. Exit les kiffs apocalyptiques de Sim City : « nous avons voulu forcer le joueur à développer sa colonie de façon à être à la hauteur des obstacles, et notamment des menaces environnementales », explique son créateur.

Photo : Undercover automne-hiver 2018-2019.

Manière de désigner le plus important basculement à l’œuvre dans notre imaginaire spatial : l’environnement cosmique n’est plus un lointain horizon de conquêtes, mais un gisement de ressources à proximité immédiate. Il n’y a pas à chercher bien loin les sources d’inspiration de cette évolution, qu’il s’agisse des projets d’exploitation minière des astéroïdes – envisagée très sérieusement par des sociétés comme Planetary Resources et Deep Space Industries -, ou des traités libéralisant les ressources spatiales et lunaires (comme le Space Act d’Obama lancé en 2015).

À la guerre comme à la guerre

Même Google a lancé son projet « Google Lunar Xprize » qui vise à pousser des étudiants et des start-ups à développer les outils lunaires de demain. Bref, on trouve largement de quoi prendre de plus en plus au sérieux Jacques Cheminade (en 2017, le candidat à l’élection présidentielle avait promis une exploitation robotique de la lune, ndlr). Il y aura à moyen-long terme un investissement industriel de l’espace, allant de pair avec une prise de conscience de l’épuisement des ressources terrestres.

Avec une Terre en fin de course, le terrain de « jeu » de l’humanité se situe désormais à sa porte. Jeu ? Il pourra s’avérer morbide. Parce que la militarisation de l’espace s’accélère : la Space Force extra-atmosphérique de Trump, pensée comme la sixième branche à part entière de l’armée U.S., est censée entrer en service en 2020. Des équipements apparentés sont en développement ou déjà à l’œuvre en Russie (qui développe un laser aéroporté destiné à mettre hors d’état de nuire des appareils orbitaux) ou en Chine (qui a détruit un de ses propres satellites avec un missile en 2007, et se dote actuellement d’un véritable kit de futur leader spatial avec lanceurs, stations, etc.). De quoi relancer un semblant de guerre froide dont la conquête spatiale des années 50 et 60 avait été le témoin.

« L’environnement cosmique n’est plus un lointain horizon de conquêtes, mais un gisement de ressources à proximité immédiate. »

Quitte à précipiter l’humanité toute entière dans l’exosphère, à nous de trouver donc des moyens moins belliqueux d’y briser le calme céleste. Comme le dit Jacques Arnould, expert éthique au Centre national d’études spatiales, tandis que l’âge des conquistadores est révolu, il s’agit désormais d’observer « ceux qui arrivent après les explorateurs ». Donc entre autres les armées, mais plus certainement, si l’on en croit les leçons de l’Histoire, « les commerçants, les marchands. Et si la notion de touristes avait existé du temps de Christophe Colomb, ils auraient débarqué très rapidement ». Bingo : le tourisme spatial est de retour, dix ans après sa dernière occurrence en date (l’homme d’affaires Guy Laliberté, qui avait déboursé 35 millions pour décoller avec une mission Soyouz en 2009), avec un tour bus lunaire vendu par SpaceX au milliardaire japonais Yusaku Maezawa, planifié pour 2023.

La quête d’utopie

C’est en résumé la fin des virtualités et des plans sur la comète : l’espace se détache bien de la science-fiction. Il n’est plus un lieu à explorer mais à habiter. On y déploie des armées, des usines et des sites d’exploitations miniers. Les films, les séries et les livres qui y décrivent notre quotidien s’emploient eux à penser à un véritable un espace domestique. Dans High Life, les images les plus marquantes sont peut-être celles qui montrent Robert Pattinson s’occupant simplement de son bébé, seul dans un vaisseau perdu en plein deep space : non plus l’avenir lointain de l’humanité dans les étoiles, mais son quotidien le plus banal.

Photo tirée du film High Life réalisé par Claire Denis.

Comment vivre dans l’espace ? Ce sera sûrement la grande question de la science-fiction des prochaines années, connectée à un renforcement de notre présence spatiale : notre vie dans les cieux s’organise, s’institutionnalise, prépare sa quotidienneté. Claudie Haigneré, à ce jour la seule française à être allée dans l’espace, promeut sa vision d’un « village lunaire », une colonie utopique sur notre satellite, qu’elle considère comme « un pas complémentaire d’expansion de notre humanité ». Espérons plutôt voir le visage de ce lendemain-ci que celui des dystopies envisagées par certains. Car pour l’instant « dans l’espace, personne ne vous entendra crier ».

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