Comment l’urgence écologique façonnera-t-elle le monde de demain ?

Article publié le 13 mars 2018

Photo : Patrick Weldé pour Antidote : Earth été 2018
Texte : Thierry Jadot

Après avoir domestiqué la planète à leur profit, nos sociétés n’ont d’autre choix que de se réconcilier avec elle par le biais des technologies, et d’allier culture et nature pour s’assurer un avenir durable. Inspirant un nombre grandissant de jeunes entrepreneurs disruptifs, cet impératif écologique façonnera chacun des secteurs du monde de demain.

Le mystère qui continue d’entourer la courte civilisation précolombienne inca trouve son origine dans l’absence d’héritage scriptural et dans l’interruption brutale de la transmission orale par les conquêtes espagnoles de la première moitié du XVIème siècle. La sophistication des constructions incas du Pérou dont certaines ont traversé cinq siècles sans être découvertes, ne laisse pas d’étonner par la communion avec la nature qu’elles semblent sanctifier. Le Machu Picchu a été révélé au monde par un explorateur américain en 1911 seulement, et d’autres cités, peut-être même un jour les Mystérieuses Cités d’or, sortiront de l’oubli dans lequel la jungle et l’altitude les ont englouties.

La résistance à l’érosion et aux séismes des bâtisses construites par les Incas provient, à n’en pas douter, de la reconnaissance et du respect de la toute-puissance de la Mère Nature – Pachamama – , conduisant à épouser les aspérités et la plasticité du terrain pour mieux faire corps avec lui et accompagner ses mouvements. La parfaite symbiose entre les rythmes de la vie de la société inca et celui des saisons, des solstices ou encore de la position des étoiles, et que révèle, non pas l’écriture absente, mais la forme des maisons ou encore l’orientation des fenêtres, démontrent que la recherche d’harmonie avec l’environnement était une condition de la prospérité et de la sécurité de l’empire inca.

Les conquistadores espagnols en envahissant ce qui aujourd’hui couvre les vastes territoires du Pérou, du Chili, de l’Équateur et de la Colombie, ont érigé des églises, des monastères ou encore des forteresses en recourant aux techniques développées en Europe, les exposant ainsi au fil du temps aux violents caprices des plaques tectoniques de l’Amérique du Sud et du Pacifique.

« À force de répéter qu’il a été créé à l’image de Dieu, l’Homme a fini par substituer à sa divination la tentation assumée de prendre sa place pour mieux soumettre les espèces, les océans et bientôt l’espace à sa course effrénée à l’accumulation de richesses, de connaissances, et de bonheurs matériels. »

Les Espagnols, comme l’Homo Sapiens depuis la découverte de l’Agriculture il y a 10 000 ans, et comme l’humanité toute entière depuis, n’ont pas fait autre chose que poursuivre la conquête de leur environnement proche ou éloigné, l’exploration des ressources qu’il recèle et leur exploitation par le recours aux progrès technologiques. La disparition des grands mammifères terrestres et de milliers d’espèces animales, ainsi que la prolifération d’espèces végétales hors de leur milieu d’origine ( maïs, pomme de terre, blé, eucalyptus, etc… ) ne datent pas du XXème siècle mais consacrent la domestication millénaire de la planète par l’Homme.

De plus, le développement de la spiritualité, qui accompagne l’évolution de l’espèce humaine, n’a fait que renforcer le phénomène en distinguant toujours plus au fil des siècles l’Homme de ce qui l’entoure, et de tout ce qui partage sa planète – sous prétexte d’être le seul être vivant doté d’une conscience et d’une âme. Les religions monothéistes, grâce à leur efficace prosélytisme, dirigent les âmes de plus de la moitié de la population mondiale. Mais le Dieu monothéiste est un être éthéré qui n’a pas d’adresse sur Terre, contrairement aux dieux grecs sur le Mont Olympe, et aux divinités incas (condors, pumas et autres serpents). Les religions, comme le bouddhisme, qui placent la nature en principe supérieur, sont devenues largement minoritaires sur Terre.

À force de répéter qu’il a été créé à l’image de Dieu, l’Homme a fini par substituer à sa divination la tentation assumée de prendre sa place pour mieux soumettre les espèces, les océans et bientôt l’espace à sa course effrénée à l’accumulation de richesses, de connaissances, et de bonheurs matériels. D’ailleurs, la conquête de l’espace incarne aujourd’hui dans notre imaginaire nourri de littérature de science-fiction, de films d‘anticipation et plus pragmatiquement des rêves d’Elon Musk et des récits de Thomas Pesquet, la sortie de secours, l’espoir ultime, chimérique mais romanesque, du salut d’une espèce condamnée à abandonner la Terre tôt ou tard.

« Une technologie non respectueuse de la nature ne pourra plus s’imposer durablement. »

Et comme les voyages dans le temps et dans l’espace ne nous suffiront pas, nous rêvons déjà d’une éternité oisive, en pariant sur la puissance de l’intelligence artificielle, de la data, des robots humanoïdes, des machines apprenantes, des interfaces vocales, de l’internet des objets, qui équiperont nos maisons, nos rues, nos entreprises et dont nous serons bardés de la tête aux pieds. Le transhumanisme s’imposera bientôt dans notre vocabulaire quotidien comme le grand dessein somme toute légitime de l’humanité, à savoir l’immortalité dans une galaxie domestiquée.

Et si nous fantasmons sur cet avenir radieux de vieillards bioniques tricentenaires, errant dans l’espace, c’est aussi parce que notre planète ne parvient plus à elle seule à mener sa propre régénération dans les temps. L’accélération des bouleversements que nous lui imposons va la rendre, à maints endroits, aussi chaude que stérile. Et alors qu’elle ne peut déjà plus absorber sans dommages irréversibles notre démesure et la gestion calamiteuse des ressources qu’elle nous octroie, elle va très vite subir de plein fouet l’impact de l’urbanisation grandissante ( 70% de la population vivra en ville en 2050 ) conjuguée à l’explosion démographique dans des régions du monde qui vont accéder à la société de consommation de masse. Non seulement notre survie est en jeu, ici et maintenant, mais nous verrons un grand nombre de nos colocataires sur Terre quitter la vie sauvage, à cause de la disparition pure et simple des écosystèmes qui les maintenaient naturellement en vie.

Si la nature n’est plus en mesure d’absorber le rythme de ce que nous avons longtemps appelé positivement le développement, c’est désormais l’être humain qui est pris de vertige à son tour devant la vitesse des mutations qu’il s’impose à lui-même pour « s’augmenter » et « s’éterniser ». La multiplication des catastrophes naturelles partout sur la planète accélère la prise de conscience que ce qui nous entoure n’est pas un décor remplaçable à l’envi.

Et c’est précisément là que résident les opportunités de nous sauver nous-mêmes. Et si, en effet, nous mobilisions la recherche non plus à la satisfaction de notre seul bien-être immédiat, mais aussi à un repos régénérant de notre environnement, puisque la dépendance du premier à l’état du second devient une réalité qui ne fait douter que les cyniques et les ignorants ?

La réconciliation entre progrès et respect de l’environnement constituera dès lors la nouvelle grande œuvre du XXIème siècle. Le Graal demeurera certes la quête d’immortalité, mais le bénéficiaire en sera d’abord la planète Terre.

La technologie devient un levier déterminant de cette réconciliation. Les technologies nouvelles seront en effet pensées non plus pour dominer la nature et dépasser les limites intrinsèques de l’Homme, mais au contraire pour lui permettre de rentrer encore plus en symbiose avec elle. C’est à la fois une question de qualité de vie, en accord avec la nature animale de l’Homme, et une prise de conscience de l’enjeu de la survie de la planète.

Les fonctionnalités issues de l’Internet, des objets ainsi que les wearable devices aideront l’homme à (re)prendre conscience de ses rythmes naturels et l’inviteront à repenser son mode de vie. Les voitures autonomes, suite à un déploiement à grande échelle, pourraient avoir un impact écologique rapide grâce aux économies d’énergie générées par un nombre de véhicules en circulation moindre, et une conduite optimisée en termes de vitesse et de fluidité du trafic.

Ces innovations qui tentent d’améliorer la nature portent un nom : la « deep tech ». Les acteurs de la « deep tech » proposent des produits ou services sur la base d’innovations de rupture et nourrissent l’ambition de s’attaquer à la résolution des grands défis du XXIème siècle, et ce sur tous les terrains de l’activité humaine. Les technologies de la « deep tech » sont en forte croissance et la France s’illustre par son dynamisme et ses nombreux talents dans ce domaine.

Une technologie non respectueuse de la nature ne pourra plus s’imposer durablement. Les consommateurs, les usagers, les citoyens, et particulièrement les plus jeunes d’entre eux veulent de la transparence dans un monde globalisé en quête de sens, et peuvent l’obtenir en quelques clics. Entre deux options présentant un impact écologique différent pour le même prix, celle qui respectera l’environnement sera naturellement préférée.

« Les technologies de demain ne devront pas uniquement nous connecter aux autres, mais nous connecter à tout notre écosystème, où la nature occupe l’essentiel de l’espace. »

Qu’il s’agisse de mobilité, d’alimentation, de production d’énergie, de finance, de construction, d’organisation du travail, de santé, il n’est pas de secteur qui ne soit potentiellement disrupté par des usages et des innovations aux desseins durables et responsables. Le futur de notre planète sera donc technologique. On ne pourra pas faire machine arrière. Mais les technologies de demain devront être naturelles et responsables pour pouvoir s’imposer. Elles ne devront pas uniquement nous connecter aux autres, mais nous connecter à tout notre écosystème, où la nature occupe l’essentiel de l’espace. La nature est d’ailleurs notre meilleur allié car elle est l’ingénieur le plus doué et le plus expérimenté pour nous aider à bâtir un avenir durable. Les techniques d’observation des oiseaux ont inspiré aussi bien Léonard de Vinci pour anticiper les aéronefs du futur que les ingénieurs du Shinkansen pour dessiner la proue du train japonais à partir du plongeon du martin pêcheur.

L’Homme prend conscience, par le biomimétisme notamment, que la nature recèle en elle des solutions à bon nombre de nos problèmes et qu’il est urgent de renouer avec elle si nous voulons vraiment, cette fois, la préserver et nous préserver en retour. En s’efforçant non plus d’apprivoiser la nature pour se l’approprier à son seul profit mais bien d’apprivoiser la technologie, l’Homo Sapiens peut enfin mettre son génie et toute sa connaissance accumulée au service de ce qu’il a de plus précieux : Pachamama.

Cet article est extrait de Magazine Antidote : Earth printemps-été 2018 photographié par Patrick Weldé.

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