Pourquoi la jeunesse parisienne fait-elle la fête en banlieue ?

Article publié le 26 janvier 2018

Photo et texte : Maxime Retailleau

Moins chères, plus libres et parfois plus pointues que les soirées intra-muros, les soirées en banlieue attirent un public underground lassé des clubs de la capitale.

Il est minuit et demi et la salle du Chinois à Montreuil est déjà enveloppée d’une odeur de sueur, tandis que le public virevolte en rythme sur le mix de Simon Thiébaut aka Drame Nature, collier à clous autour du cou, qui enchaîne les morceaux trance et eurodance crachés depuis des enceintes lo-fi. Le fondateur des soirées Parkingstone cède ensuite la place à la jeune artiste expérimentale Coucou Chloé, alors qu’une centaine de personnes font la queue dehors pour rentrer. Lors de ses éditions précédentes, la soirée avait programmé la DJ et icône trans Juliana Huxtable, Chino Amobi (le cofondateur du label NON Worldwide) ou encore Imaabs du collectif mexicain NAAFI, et sa réputation avant-gardiste n’est plus à faire. « Si les personnes se déplacent jusqu’à Montreuil, c’est avant tout pour le line-up, confirme Simon Thiébaut. Et aussi pour se sentir plus libre que dans un club standard, pour pouvoir danser sans être jugé par qui que ce soit. »

Photos : Parkingstone

Le Chinois est la seule salle de la ville à pouvoir fermer à six heures du matin, et accueille les plus grosses fêtes du coin, qu’elles soient queer comme la Parkingstone, punk ou même centrées sur les musiques du monde. Montreuil, qui compte 38 salles de concerts au total, a aussi connu des soirées mémorables à La Marbrerie, quelques centaines de mètres plus loin, qui a été investie par Les Hydropathes ou encore le DJ Nathan Melja entre deux soirées brésiliennes. La scène culturelle locale est en perpétuelle ébullition, au point que la très pointue Red Bull Music Academy a décidé d’organiser la soirée de clôture de son édition 2017 dans différents lieux de la ville, dont la population brasse communautés immigrées, bobos et intermittents du spectacle.

La Station, nouveau spot incontournable

Autre hotspot de la fête, La Station – Gare des Mines est elle aussi située en proche banlieue, à la lisière du périphérique près de la Porte d’Aubervilliers. Appartenant à la SNCF, le lieu laissé à l’abandon a été confié au collectif MU en 2016, afin de lui redonner vie. « C’était d’abord une gare pour acheminer du charbon, il y avait des rails qui venaient des mines du nord de la France, explique Éric Daviron, le programmateur musical du lieu. Puis elle a été squattée pendant une dizaine d’années par une boîte africaine qui s’appelait le Balafon.  Il y avait beaucoup de monde tous les samedis soirs mais c’était à la limite de la légalité, et je crois que ça a été assez rocambolesque, il y a eu des coups de feu et ils ont fini par se faire cerner. Quand on est arrivés, il y avait encore des vestiges, avec une cabine de DJ, des boules à facettes, des banquettes en cuir… »

« Les gens aiment le côté éphémère. Quand un lieu dure trop longtemps il devient une institution, et d’autres prennent le relai. »

Durant deux étés, l’open air de la Gare des Mines et ses 800 à 1000 places a vu nombre de collectifs underground défiler : Berlinons Paris, 75021, Fils de Vénus, Casual Gabberz, et les Hydropathes (à nouveau) y ont organisé des teufs, tout comme certains labels comme Antinote ou le très rock Born Bad (qui a découvert La Femme). Et le public suit malgré la fermeture du lieu avant deux heures du matin (à quelques exceptions près), attiré par sa programmation et ses bas prix d’entrée et de consommation. « On attire des queers, des hétéros, des gens “branchés” mais ouverts, pas du tout prétentieux, précise Éric. C’est très varié, et l’ambiance est relax, comme dans une soirée en appartement, mais avec de bons line-ups. » Bien que le lieu soit mal desservi par les transports en commun, la plupart des personnes qui s’y rendent sont Parisiens. « On a assez peu de gens du quartier qui viennent à nos teufs, reconnaît Éric, bien qu’on essaye parfois d’organiser des événements pour eux. » Le public de La Station mêle ainsi jeunes artistes désargentés et étudiants en art, se mêlant à une population plus aisée venue s’encanailler, lassée du chic des clubs intra-muros jugés trop lisses, avec leur service de sécurité omniprésent prêt à bondir au moindre débordement et leurs politiques d’entrée parfois très rigides. Seules certaines boîtes concentrées dans le nord-est parisien font exception, accueillant des soirées dont l’esprit est proche de celui de la Gare des Mines, comme l’Aérosol, La Java ou encore le très DIY Gambetta Club.

Photo : La Station © Maxime Retailleau

Le projet du collectif a été prolongé jusqu’à fin 2018, alors qu’il ne devait durer que six mois à l’origine. « Les gens aiment le côté éphémère, affirme Éric. Quand un lieu dure trop longtemps il devient une institution, et d’autres prennent le relai. » Afin de poursuivre les festivités pendant l’hiver, l’équipe déjà à l’origine du Garage MU dans le 18ème a réhabilité l’intérieur de l’ancienne gare, pour qu’il puisse recevoir jusqu’à 400 personnes.

Les lieux comme La Station ne sont pas une nouveauté : avant lui, une longue lignée de bâtiments excentrées avaient déjà accueillis des fêtes marquantes – et pas toujours légales. Le Champ Libre à Pantin et le squat du Péripate, situé sous le périphérique nord (qui a accueilli l’une des afterparty de Rick Owens, avant de déménager ses soirées au Génie d’Alex, un club en plein centre de Paris) ont organisé les afters LGBTQ les plus sulfureux de la capitale. D’autres, comme L’Amour à Bagnolet ou La Jarry à Vincennes (où se déroulaient les premières Parkingstone) étaient connus pour leurs soirées à la programmation avant-gardiste, et des résidences d’artistes temporaires comme le Pavillon du Docteur Pierre, ouvert à Nanterre durant l’été 2015, ou les Mains D’Œuvres à Saint-Ouen ont aussi connu leur lot de fêtes fiévreuses.

La banlieue, territoire des raves

Il y a près de 40 ans, trois jeunes amis dont Philippe Starck et Jean-Michel Moulhac, le fils des gérants du Chalet du Lac (une boîte à Vincennes), ouvraient déjà un lieu devenu mythique en banlieue : La Main Bleue. Niché dans le sous-sol d’un centre commercial de Montreuil, le club attire tout d’abord un public de sapeurs africains, qui consument leur maigre salaire pour s’offrir des tenues étincelantes et enchaînent les pas de danse avec un sens du rythme affolant. Les mondains parisiens commencent à délaisser Le Sept (petit club-boudoir en vogue dans les années 1970) pour s’y rendre, et La Main Bleue évolue en utopie de mixité où se mêlent ouvriers, bourgeois, blancs, noirs, banlieusards, Parisiens, parfaits inconnus et célébrités.

Les grandes figures de la nuit de l’époque s’y rendent, comme Loulou de la Falaise, Paloma Picasso, ou encore l’inépuisable nightreporter Alain Pacadis. Jacques de Bascher y organise même sa soirée la plus mémorable pour la fin du défilé de son amant Karl Lagerfeld : la « Moratoire Noire ». Glamour à ses débuts, elle prend ensuite un tournant SM sous l’impulsion du dandy, devenant la première grande orgie gay et sado-masochiste de la capitale.

Une quinzaine d’années plus tard, au début des années 90, la banlieue constitue le décor d’un nouveau tournant de l’histoire de la nuit, avec l’arrivée des premières raves françaises inspirées par le « Second Summer of Love » britannique . Elles sont lancées par Manu Casana et le journaliste musical Luc Bertagnol, dans le parc du Collège Arménien à l’ouest de la capitale, puis au fort de Champigny où ils réunissent plus de 2000 personnes. Avec leur association Rave Age, ils investissent ensuite le Mozinor à Montreuil : une citadelle industrielle monumentale et futuriste, laissée à l’abandon. Dans la foulée, d’autres promoteurs comme Pat Cash et Paulo Fernandes montent d’immenses soirées à leur tour, et ce dernier aide même l’équipe de Libération à organiser une rave culte sous l’Arche de La Défense, en janvier 1992, avec Laurent Garnier en live.

Aujourd’hui, de nouvelles fêtes continuent d’essaimer en banlieue, Paris intra-muros souffrant d’un manque d’espace (contrairement à d’autres villes européennes plus étendues comme Berlin), tirant les prix d’entrée et de consommation vers le haut, et entraînant parfois des problèmes de voisinage. En septembre dernier, la fraîchement débarquée Turbo Racing a ainsi fait vrombir les enceintes du Carbone 17 à Aubervilliers, qui organisera une nouvelle fête ce vendredi 26 janvier. Récemment, la première et très attendue soirée techno Cuir en Cage a elle été organisée à Sarcelles, attirant des centaines de personnes à plus de vingt-cinq kilomètres de Paris. Peu importe la distance, tant que la nuit s’annonce folle.

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