L’incroyable business des collections Croisière

Article publié le 7 juin 2016

Texte : Edouard Risselet
Photo : courtesy of Louis Vuitton

Année après année, la place occupée par les collections Croisière dans le calendrier annuel de la mode se fait de plus en plus significative. Le colossal budget alloué pour ces défilés, de Cuba à Rio en passant par Londres, semble illimité. Décryptage.

En 2007, Fendi défilait sur la Grande Muraille de Chine sous les yeux du monde ébahi par ce show spectactulaire visible, dit-on, depuis l’espace. Une décennie plus tard, ce genre de superproduction s’est presque banalisé et le phénomène s’est annualisé.

Louis Vuitton s’offrait il y a seulement quelques jours à Rio le futuriste musée Niteròi de l’architecte Oscar Niemeyer. Plus incroyable encore, Chanel réquisitionnait en mai le Paseo del Prado de La Havane. La semaine dernière, Gucci investissait les cloîtres de la mythique Abbaye de Westminster. C’était la première fois de l’Histoire qu’une maison de mode obtenait l’autorisation de parader au sein de l’édifice, plus familier des circonspects ecclésiastiques que de l’agitée nomenklatura de la mode.

D’ordinaire privatisé pour les mariages princiers, l’édifice fait fantasmer Alessandro Michele qui émet l’utopique hypothèse d’un défilé entre ses murs. Mais le directeur artistique de Gucci était loin d’imaginer son projet bientôt réalisé. Il y présentait finalement sa collection croisière 2017 devant un panel d’acheteurs, clients, journalistes et célébrités.
Ce vestiaire intermédiaire, composé de pièces de demi-saison, arrivera en boutique d’ici la fin de l’année 2016, avant le retrait des collections automne-hiver et en anticipation des collections printemps-été en janvier.

Gucci a choisi l’Abbaye de Westminster pour la présentation de sa collection Croisière 2017. Une première.
Photo : courtesy of Youtube

Le principe de collection croisière, aussi appelée resort, naît dans les années 1920. « La collection Cruise a été imaginée à l’origine pour les clientes de l’hémisphère Nord qui partaient en croisière en hiver et ne trouvaient plus en boutique de vêtements adaptés au climat ensoleillé de leur destination », explique Pascal Morand, président exécutif de la Fédération Française de la Couture.
Le phénomène n’est pas nouveau. Mais il n’a eu de cesse de s’intensifier au cours des quinze dernières années. « Nous sommes dans une logique de renouvellement et de cadencement du calendrier, qui n’est pas propre à la partie mode luxe, mais qui vaut dans tous les segments de la mode, souligne Pascal Morand.

Si bien que proposer en boutique six mois durant une même collection n’est tout simplement plus envisageable pour les marques de luxe qui cherchent sans cesse de nouvelles opportunités de marché. La collection croisière apporte une fraîcheur indispensable et relance l’ardeur de clients lassés du vestiaire en magasin depuis déjà plusieurs mois.
Dans les faits, ces propositions secondaires occupent les cintres plus longtemps que les collections officielles et représentent une part majoritaire du chiffre d’affaires annuel.

Dior faisait défiler sa Cruise 2016 au Palais Bulles de Pierre Cardin.
Photo : courtesy of Bureau Betak

Le régime des expatriés

Est-ce là l’unique raison des extraordinaires moyens déployés pour leur présentation ? À l’origine, la dénomination de « croisière » ne sous-entend nécessairement pas de défilé délocalisé. Mais ces dernières années, la merveilleuse odyssée est devenue systématique.
Depuis 2010, Christian Dior a visité Shanghaï, New-York, Monaco, Cannes ; Chanel s’est envolée pour Séoul, Dubaï ou Singapour et Louis Vuitton a posé ses malles à Monte-Carlo et Palm Springs. Le passeport est à court de pages vierges et la barre tellement haute que l’on en vient à se demander comment les maisons vont pouvoir rivaliser à la fois avec leurs propres standards et ceux de leurs voisins l’année d’après. « Il y a une terrible concurrence entre les marques. Donc ça monte en mayonnaise de tous les côtés », assure la journaliste Sophie Fontanel.

« Il y a une terrible concurrence entre les marques. Donc ça monte en mayonnaise de tous les côtés. »

« L’argent dépensé indique juste la richesse prodigieuse des grandes maisons. […] C’est comme Canal Plus, ils font la fête les années où ils peuvent », analyse Sophie Fontanel. « Les marques créatrices deviennent de plus en plus fortes. Qu’elles fassent 3% de taux de croissance, ça ne change pas, c’est un fait », confirme le président exécutif de la Fédération Française de la Couture.

Chanel a réquisitionné cette année le Paseo del Prado de La Havane.
Photo : courtesy of Chanel

Le jeu en vaut la chandelle. « Le gros avantage que cela représente pour les marques qui peuvent se l’offrir, c’est que l’on est dans un marché mondialisé et qu’il est bon pour les marques de montrer leurs collections ailleurs qu’à Paris, assure Pascal Morand. Les collections sont présentées dans des endroits merveilleux dans un contexte absolument mémorable. L’enjeu, c’est l’imaginaire de la marque et du désir créé autour de la marque ». La mode est l’industrie du rêve. Il nécessite d’être entretenu.

Et l’expatriation des collections croisière dans tel ou tel pays ne se fait pas au hasard. « En ce qui concerne Rio, nous avons une histoire commune avec ce pays – Louis Vuitton était au Brésil dans les années 1922-1923 pour l’exposition universelle en l’honneur du centenaire de l’indépendance », déclare Michael Burke, PDG de Louis Vuitton. Ne pas s’y méprendre, la stratégie a été savamment pensée en amont. Le fait que Dior défile au Palais de Blenheim alors que la marque célèbre en même temps l’ouverture d’une nouvelle boutique sur Bond Street n’a rien d’une coïncidence.

Le client est sans équivoque et légitimement le cœur de cible de ces présentations délocalisées. « Les défilés Croisière sont plus intimes que les défilés qui se déroulent lors des fashion weeks dans le monde entier. […] Ces défilés nous donnent l’opportunité d’inviter davantage de clients que lors des fashion weeks parisiennes », affirme le PDG de Louis Vuitton.

Pour ceux qui ne seraient pas du voyage, ils auront du mal à passer à côté de l’actualité. Le relai de la presse spécialisée est exhaustif. L’argent investi dans l’événement aura des répercussions publicitaires à la hauteur du divertissement. Et Sophie Fontanel de commenter : « C’est amusant et il faut le voir comme une distraction. C’est une vitrine en fait. […] Cette vitrine pourrait être une vraie occasion d’échange et de spectacle, et je trouve que les journalistes restent bien sérieux, ils devraient vraiment faire partir un peu plus ça en délire. Si c’est si fou, alors que ça le soit vraiment, merde ! ».

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