Où se cache le nouveau bling ?

Article publié le 31 mai 2017

Texte : Maxime Leteneur
Photo : Saint Laurent printemps-été 2017

Oubliez les rappeurs et leur caricature, l’expression d’un nouveau bling se traduit par l’empowerment d’une femme à la silhouette strassée, épaulée, embijoutée, couronnée, revendiquée.

L’un des piliers du genre depuis plus de vingt ans, Snoop Dogg, dévoilait la semaine passée, son quinzième album studio, baptisé Neva Left. Longtemps détenteur du record de la plus lourde chaîne en or de l’histoire de la joaillerie, le rappeur originaire de Californie se montre en 2017 plus discret – modeste ? – que par le passé en se contentant d’une photo vintage de 1992 en guise de pochette d’album. Quelques flashs de jet privé et l’aperçu d’une montre endiamantée dans le premier clip de l’album Promise You This ne parviennent pas à réveiller la ferveur flamboyante de la fin des années 1990. Entre l’avènement de rappeurs low key et d’une mode moins opulente, que reste-t-il vraiment du bling ? Bilan.

Promise You This est le premier clip issu du quinzième album studio de Snoop Dogg, Neva Left.

Dans le rap, le terme est employé pour la première fois en 1996 par Tupac dans Let’s Be Friend (« Check out my – diamonds bitch everyone gonna blink (bling bling bling »), avant d’être repris et revendiqué par Lil Wayne trois ans plus tard dans un couplet devenu culte sur le morceau de B.G au titre éponyme : Bling Bling. Pendant près d’une décennie, toute une génération de rappeur, Snoop Dogg, Puff Daddy, Rick Ross, T.I, 50 Cent, Ja Rule, Flo Rida ou encore Cheef Kief pour les plus notoires, se complaisent dans l’opulence de son mode de vie : il faut que ça brille ! Grosses chaînes, diamants, boucles d’oreille, montres, gourmettes, bagues, lunettes, fourrures, voitures, gros billets… Rien n’est laissé au hasard.

Le titre Good Life paraît en 2007 sur l’album Graduation de Kanye West et marque le début d’une nouvelle ère plus pop pour le rap.

Pourtant, après plus d’une décennie de domination du gangsta rap, un changement de tendance s’opère en 2007 avec la sortie de Graduation de Kanye West. L’album venait battre 50 Cent – l’ogre de l’époque – dans les charts et portait un sérieux coup au pendant le plus ostentatoire du rap. Le hip-hop prend alors un virage plus pop. La caricature qu’était devenu le rappeur bling-bling se renforce encore un peu plus en 2013 quand Kanye West sort New Slaves : « What you want, a Bentley ? Fur coat ? A diamond chain ? / All you blacks want all the same things ». Avec lui, la nouvelle génération de rappeurs portée par A$AP Rocky, Travis Scott ou plus récemment Lil Yachty ou Playboi Carti se mue en icônes d’une mode qui conjugue vestiaire de luxe – sans tomber dans l’extravagant – avec un streetwear haut-de-gamme. Véritable phénomène sociétal, le bling-bling trouve dans son équivalent mode une dimension plus chic, mais non moins luxuriante.

VIE ET MORT DE LA MODE BLING

De gauche à droite : Gianni Versace 1992, Chanel 1991, Azzedine Alaïa 1991

Le bling vit ses plus belles heures dans la folie des années 1990 et de sa mode no limit. L’époque est au faste, à la démesure, le style se veut sexy, les couleurs scintillent, les imprimés jaillissent, les supermodels règnent sur les podiums. Chanel, Guy Laroche, Christian Lacroix, Dior, Claude Montana, Yves Saint Laurent ou encore l’excessif Gianni Versace font briller de mille feux les catwalks d’une époque que Loic Prigent immortalise en 2015 avec le documentaire La mode des années 90 #Bling.

Le millénaire suivant débute comme il avait terminé : dans l’exubérance. On passe d’un luxe fastueux à un luxe plus tacky, mais tout aussi démonstratif. La logomanie déchaîne les foules, la marque devient plus importante que le vêtement et les monogrammes Louis Vuitton ou Gucci relèvent de l’ornement sacré. Le velours et la fourrure s’invitent sur les épaules des stars, les grosses broderies se multiplient sur l’ensemble du vestiaire, Paris Hilton porte la tiare et Tom Ford transforme Gucci en temple du porno-chic.

De gauche à droite : Raf Simons automne-hiver 2016, Raf Simons automne-hiver 2016, Moschino automne-hiver 2016, Philosophy di Lorenzo Serafini printemps-été 2017

Mais en 2007, la crise vient calmer les ardeurs des créateurs et la vision d’un luxe opulent dérange. En 2009, Karl Lagerfeld annonce la fin d’une ère dans le International Herald Tribune : « le bling, c’est fini. Les tapis rouges recouverts de strass sont out. C’est ce que j’appelle la nouvelle modestie ». La démonstration d’un nouveau luxe se traduit dès lors par la célébration d’un paupérisme initié par John Galliano en printemps-été 2000 et suivi une quinzaine d’années plus tard par Ottolinger, Anne Sofie Madsen, Raf Simons ou Balenciaga.

Même le précurseur Versace, emmené par la madone Donatella, cède à plus de sobriété et remplace progressivement ses leitmotivs baroques par des matériaux plus techniques, et des campagnes plus sobres. Quant à Riccardo Tisci, l’homme à l’origine de la résurrection Givenchy à coups de grandioses collections aux inspirations gothiques, son contrat avec la maison française prend fin en 2017 et lui succède Clare Waight Keller, ex-directeur artistique de Chloé adepte d’une élégance nettement plus minimaliste. De Céline à Lemaire en passant par The Row, l’allure quasi-monacale s’illustre comme l’incarnation d’un chic effortless.

LE BLING-BLING DU RAP, UNE TRADITION TOUJOURS ACTUELLE

Chassé un – long – temps des podiums, le bling-bling entérine sa survie sur les épaules de ceux qui n’ont jamais abandonné leur vision de l’Amercian Dream : les rappeurs. À Atlanta, l’heure n’est pas à la retenue et, poussés par l’explosion d’une scène qui impose la ville parmi les nouvelles capitales du rap mondial, des artistes comme le groupe Migos – auteur du tube hommage Versace, Gucci Mane ou 2 Chainz continuent de perpétuer la tradition de leurs illustres prédécesseurs.

Quand Quavo – membre de Migos – fait produire pour 250,000$ un collier en or et diamants à son effigie (et à celui du rat de Ratatouille), Gucci Mane, lui, exhibe fièrement ses dernières acquisition de joaillerie sur Instagram. Et ce pendant que 2 Chainz, dont la réputation n’est plus à faire, anime un web-show intitulé Most Expensivest Shit dont le concept n’est autre que de l’envoyer tester les produits et services les plus chers de la planète : jouer avec des chats à 165,000$, fumer dans un bang à 10,000$ ou créer le pull de Noël le plus cher au monde (évalué à 90,000$) ne sont que quelques uns de ses exploits.

Dans cet épisode de Most Expensivest Shit, 2 Chainz goûte du pop corn plaqué or.

D’autres, comme Rick Ross – un habitué du genre depuis une dizaine d’années – ont choisi de ne jamais dériver de la ligne de conduite qui a participé à construire leur personnage. Son dernier clip, au nom évocateur de She On My Dick en featuring avec Gucci Mane (encore lui), n’est ni plus ni moins qu’une caricature du rappeur. Tout y passe : fourrure, bijoux, gros billets, strip-teaseuse, twerks et même DJ Khaled, un autre fervent supporter des excès du luxe, vient prendre la posture de mâle dominant aux côtés de ses comparses.

VERS UNE PRISE DE POUVOIR AU FÉMININ

Intrinsèquement misogyne, cette vision du bling-bling présente un rapport de domination d’un homme à la masculinité hégémonique sur une femme soumise, réduite au rang de faire valoir. Avec le retour de la working girl ou l’uniformisation des silhouettes amené par l’avènement du sportswear, le vêtement aide les rôles, sinon à s’inverser, à s’équilibrer.

Si Jeremy Scott, non sans second degré, Olivier Rousteing chez Balmain et Alessandro Michele chez Gucci, jouent depuis de nombreuses années d’un maximalisme extrême, le nouveau bling est ailleurs. Il ne se cache pas derrière des ensembles ou des tops transparents recouverts de diamants chez Jonathan Simkhai et Adam Selman, ni sous les robes réfléchissantes de Paco Rabanne. Non, le nouveau bling se veut féminin et féministe, et rétablit un rapport de force sur la gent masculine.

Chez Saint Laurent, Anthony Vaccarello excelle à la réalisation de costumes aux épaules élargies de strass ou de robes réfléchissantes rehaussées d’épaulettes façon Grace Jones pour une posture plus solide. Exit les mini-tiares de princesses, chez Dolce & Gabbana, les femmes sont sacrées et paradent coiffées de lourdes couronnes dans des ensembles brodés ou imprimés léopard pour l’automne-hiver 2017.

De gauche à droite : Saint Laurent automne-hiver 2017, Dolce & Gabbana automne-hiver 2017, Philipp Plein printemps-été 2017, Dsquared2 printemps-été 2017

Pour Moschino printemps-été 2017, c’est la femme qui s’affuble d’imposants imprimés de colliers à gros maillons, non sans rappeler ceux des rappeurs. Et même Philipp Plein – jamais le dernier quand il s’agit de flatter son ego de mâle – érige la femme en une jet-setteuse indépendante lors de sa collection printemps-été 2017, l’habillant de trop de lunettes, casquettes, baskets, bijoux et ensembles qui flairent bon les années 2000. Et ce, tandis que l’homme est relégué au second plan dans un rôle de jardinier à demi-nu. L’arroseur arrosé ?

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