Le costume du pouvoir en 2016

Article publié le 18 octobre 2016

Texte : Alice Pfeiffer

A l’aube des élections américaines, les deux candidats se mènent une guerre renforcée par un arsenal non-conventionnel : celle du vêtement, acteur silencieux mais radical.

Ils ont le poil clair, l’oeil vif, le museau pointu et le pedigree mythique. Voilà tout ce que partagent les deux candidats ennemis à la présidentielle américaines – et pas grand chose de plus. Nous sommes à quelques semaines des élections, et dans cette offensive à la Maison Blanche, Hillary Clinton et Donald Trump font appel à une arme redoutable pour convaincre l’amerloque moyen de leur potentiel de Big Chief : le langage codé mais moins hermétique qu’il ne paraît du vêtement. Avant que le Trump ou la Clinton n’articulent une seule syllabe, apparaît leur silhouette revêtue de formes et de couleurs qui mitraillent l’inconscient des téléspectateurs. D’où l’armada de conseillers qui surveillent la coupe, le tombé, l’ombre et les ourlets de chacun tandis qu’il ou elle déclame, promet ou vocifère en agitant les bras ou roulant les mécaniques selon les cas. Car il s’agit d’assurer de mieux faire que l’autre tout en enfonçant cette dernière dans une fange mal fagotée comme son discours politique.

GUERRE DES COSTARDS

À la base, une tenue de combat obligatoire : le power suit décliné version 2016, concurrence d’emblèmes masculins repensés, pour savoir qui, in fine, portera le pantalon dans le gouvernement. Prenons pour exemple, le deuxième débat officiel façon talkshow permettant au public de poser ses questions. Lui apparait en costume bleu nuit, chemise blanche et cravate rouge (sans oublier sa mèche  « rebelle » soigneusement stylée, couleur poussin assorti à son auto-bronzant). Elle, dans un ensemble épuré noir sans épaulettes ni fanfreluches, au chemisier, col et revers de manches blancs, un rien ecclésiastique.

Anodin ? Bien au contraire. Regardez de plus près et vous verrez une expression stylistique de leur campagne. Lui déploie subtilement les couleurs du drapeaux de l’Amérique, sur un costume classique aux larges épaules (lourdement capitonnées, la carapace d’origine étant depuis le temps avachie) – façon assez littérale d’incarner son ‘Make America Great Again’, et de parler d’un retour au conservatisme débridé des présidents d’antan, et d’une gloire de l’Amérique impérialiste, dominant le monde avec ses dollars et ses Chevrolet.

Elle, candidate démocrate, dans sa tenue alliant blanc et noir, met en oeuvre un symbolisme lourd: en jouant du Ying-Yang incarné, elle promet ainsi d’allier les contraires, de réconcilier dominants et dominés, et d’imaginer un monde construit d’un David triomphant et d’un Goliath bienveillant, « pour une prospérité durable construite et partagée par tous » dit-elle.

HILLARY, DE PREMIÈRE DAME À PREMIÈRE PRÉSIDENTE

La mode est l’alliée des figures politiques et ce n’est pas nouveau: Angela Merkel assoit sa fermeté par l’ascétisme indifférent de ses tenues, et une inconscience qui semble lui venir tout naturellement. Michelle Obama revendique son multiculturalisme par des robes signées par des créateurs de toutes origines. N’oublions pas Jacques Chirac ici bas affichant une promesse de tradition paternaliste En par ses pantalons taille haute et quelque peu informes, Corrèze dans la gadoue.

En 2016, c’est une autre tache qui attend les candidats : Pour Clinton, malgré ses qualifications, elle doit faire oublier son rôle secondaire de première dame (bafouée par son mari à la braguette nerveuse), pour s’imposer en tant que la première femme présidente du pays. Elle développe le costume de couleur vive toujours unie aux jambes larges dès les années 2000, comme une promesse de stabilité et de branding cohérent, avec une désexualisation volontaire. Puis lorsqu’elle annonce sa candidature aux élections américaines en avril 2015, elle prend un tournant subtil: vestes plus longues et plus épurées qui lui permettent de faire de grand mouvements et lever les bras sur scène, adaptées à la performeuse qu’elle était en train de devenir.

« Hillary vient d’une culture du power suit, où la femme imitait les codes de l’hommes pour pouvoir accéder a son niveau » explique Eloïse Bouton, auteure et journaliste spécialisée dans le féminisme. «Pourtant, pas à pas, elle s’en détache, imprègne ses tenues comme son personnage d’une touche féminine, des couleurs vives et quelques sourires pour tenter de s’adoucir et contraster sa présence ». Ainsi sur une base masculine non pas empruntée mais revisitée et radoucie, elle donne à voir l’Américain.e du futur, à la fois l’efficacité virile, et le calme matriarcal et sage d’une femme plus âgée – rappelant qu’elle est impliquée dans le gouvernement américain depuis des décennies.

TRUMP, D’UN WET DREAM À UN WHITE DREAM

Pour Trump, ce n’est pas une mince affaire. Ses costumes restent quasiment inchangés depuis ses costumes de Golden Boys dans les années 80 évoquant les frasques de sa jeunesse (connu, entre autre pour ses concours de Miss Univers, ou il se ventait de « rétrécir les maillots et rallonger les talons » des participantes). Deux touches de folie contrastent à ses épaulettes virilistes et quelque peu old school: cravate de couleur et chevelure coiffée-décoiffée, comme la promesse d’une touche sauvage et instinctive. Si il se démarque moins par son style que Hillary, c’est par un phénomène décrit dans ‘L’Empire de l’Ephémère’ (1987) du sociologue Gilles Lipovestky: classiquement, en Occident, la femme de pouvoir indique son succès sur son propre corps : une minceur travaillée et un chic à la mode est un signe d’accomplissement personnel. Pour l’homme, cela se passe par le biais et l’acquisition de signifiants extérieurs: la possession matérielle et clinquante, la grosse voiture et la femme bling sont les preuves tangibles de réussite.

Sans surprise, Melania Trump (refaite, ravalée à outrance) participe à cette stratégie: à la fois sexy et le dindon de la farce, elle apparaît tantôt derrière lui vêtue d’un bien triste ‘Pussy Bow’, noeud Lavallière (évoquant la phrase de Trump, « I’ll grab her by the pussy » ou « j’attrape les femmes par la chatte») tantôt copiant apparemment sans le savoir le speech de Michelle Obama. C’est un rappel à sa vie clinquante, ses interactions sexistes, au triomphe de l’homme blanc américain, aussi hétéronormé que furieusement capitaliste….d’un Wet Dream à un White Dream.

Pourtant, si l’armée de femmes botoxées agit comme un haut parleur de l’idéologie Trump, Hillary a elle aussi des alliés, et de taille – Barack et Michelle Obama, probablement le couple le plus révolutionnaire de l’histoire politique américaine, qui adoube sa campagne et rajoute une confiance et modernité à la candidate sans qu’elle ait besoin de s’approprier des codes loin de son ADN. Quand Barack apparaît sans cravate en tenue (vaguement) détendue, la serre dans ses bras, ou Michelle prononce un speech touchant (dans une robe en maille impeccablement pointue), ce couple apporte émotion et authenticité au discours policé et ultra-maîtrisé de cette routarde de la politique américaine. Une façon de lui repasser le flambeau du Yes You Can version féminine ?

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